« L'épidémie de Covid-19 a suscité des recours fondés sur ses effets, réels ou supposés »
Maires de France fait le bilan du contentieux relatif aux élections municipales des 15 mars et 28 juin 2020 avec Philippe Bluteau, avocat associé au cabinet Oppidum. Propos recueillis par Xavier Brivet
• Les annulations des résultats des élections municipales de 2020 se sont multipliées depuis janvier. Avons-nous assisté à une inflation par rapport au scrutin de 2014 ?
Je constate un plus grand nombre de recours contre les élections municipales qu’en 2014, ce qui pourrait avoir un lien avec l’épidémie de la Covid-19, au moins de trois façons. D’abord, le confinement mis en place juste après le premier tour a justifié un allongement du délai pendant lequel un recours pouvait être introduit : au lieu d’expirer le vendredi qui suivait le scrutin, donc le 19 mars, il a expiré le 25 mai, soit plus de deux mois après le scrutin. Qui dit plus de temps, dit nécessairement plus de recours. Deuxièmement, l’épidémie a suscité des recours fondés sur ses effets, réels ou supposés : les candidats perdants ont pu soutenir qu’ils avaient été gênés dans leurs actions pendant les derniers jours de la campagne électorale ou que leur électorat n’avait pas voulu se rendre aux urnes par crainte des contaminations. Enfin, en réduisant le nombre de votants, l’épidémie a réduit, en valeur absolue, l’écart de voix entre les candidats, ce qui a pu laisser les protestataires espérer que l’annulation du scrutin serait facile à obtenir.
• En dépit de la crise sanitaire, peu de scrutins semblent avoir été annulés à cause d’un taux d’abstention important dû à l’épidémie. Confirmez-vous et cela vous surprend-il ?
Je vous le confirme et ce n’est pas surprenant. Le Conseil d’État a rendu, dès le 15 juillet 2020, une décision importante. Il a considéré qu’un fort taux d’abstention ne justifiait pas l’annulation de l’élection sans une « autre circonstance relative au déroulement de la campagne électorale ou du scrutin dans la commune qui montrerait, en particulier, qu’il aurait été porté atteinte au libre exercice du droit de vote ou à l’égalité entre les candidats ». Autrement dit, pour que l’épidémie justifie à elle seule l’annulation d’une élection, il faut qu’elle ait empêché d’ouvrir des bureaux de vote ou qu’elle ait eu des effets plus contraignants pour une liste que pour une autre, et que ces circonstances aient eu, en plus, évidemment, un effet décisif sur le scrutin. On ne peut donc pas s’étonner que les tribunaux administratifs aient massivement rejeté les recours qui étaient uniquement fondés sur ce grief.
• Quelles sont les irrégularités «classiques » sanctionnées par le juge ?
L’introduction d’un élément nouveau dans la campagne électorale à une date à laquelle le candidat visé n’a pas eu la capacité de répondre est un grand classique du contentieux électoral. Le cru 2020 n’a pas dérogé à la règle : de nombreuses annulations ont été prononcées sur ce motif. Les différences de signatures, pour un même électeur, entre les deux tours de scrutin, également. Enfin, l’utilisation par le maire sortant des supports de communication ou des moyens matériels et humains de la commune continue de fonder des annulations (et, dans les communes de plus de 9 000 habitants, des rejets de comptes de campagne). En revanche, heureusement, avec le temps, les cas de fraude électorale, c’est-à-dire de manipulation directe des suffrages, ont tendance à se raréfier.
• Le contentieux a-t-il particulièrement concerné l’utilisation d’internet et des réseaux sociaux ?
Tout à fait. L’impossibilité pour les candidats de faire campagne au second tour dans des conditions classiques, en raison de l’épidémie, a encore renforcé le recours aux outils numériques, de sorte que la moitié des contentieux que j’ai eu à connaître cette année concernait, au moins en partie, la campagne numérique. Par rapport à 2014, on peut toutefois noter une rupture : alors que les réseaux tels que Facebook ou Twitter sont de nouveaux forums, dans lesquels un débat public peut avoir lieu, il en va différemment avec les « boucles » des réseaux fermés WhatsApp ou Telegram : non seulement l’adversaire n’a pas immédiatement connaissance de l’attaque dirigée contre lui, mais il est plus difficile d’évaluer l’ampleur totale de la diffusion d’un message, qui est pourtant un critère important, en contentieux électoral, pour décider si le scrutin doit, ou non, être annulé.
Cet article a été publié dans l'édition :
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