Le magazine des maires et présidents d'intercommunalité
Maires de France


Interco et territoires
15/05/2025 MAI 2025 - n°434
AMF Sécurité - sécurité civile

Sécurité : les plans départementaux laissent les élus septiques

Lancés en février par l'État, ils doivent privilégier la proximité et renforcer le continuum de sécurité.

Par Thierry Guerraz
Parce que le trafic de drogue gagne désormais la ruralité, la mairie de Saint-Vallier (26) souhaite que le plan pour restaurer la sécurité ne se concentre pas sur les grandes villes.
© Ville de Saint-Vallier
Parce que le trafic de drogue gagne désormais la ruralité, la mairie de Saint-Vallier (26) souhaite que le plan pour restaurer la sécurité ne se concentre pas sur les grandes villes.
Présentés à Valence (26), le 21 février, par le ministre de l’Intérieur, les plans d’action départementaux de restauration de la sécurité au quotidien (PADRSQ) se mettent en place. Bruno Retailleau avait cadré le dispositif dans une circulaire du 19 novembre 2024 adressée aux préfets (lire ci-dessous). Ils reposent sur une stratégie clairement posée : les mesures arrêtées doivent coller aux réalités du terrain et non pas à des décisions prises de Paris et souvent déconnectées des réalités locales. À chaque département donc, ses enjeux et ses priorités d’action.

En revanche, la méthode menée pour élaborer les plans ne diffère pas d’un département à l’autre : elle est censée reposer sur une large concertation entre les forces de l’ordre, y compris les polices municipales, les autorités judiciaires, les services de l’État (DDPP, DDETS…), les collectivités territoriales, les bailleurs sociaux et les acteurs privés. Selon Frédéric Masquelier, maire de Saint-Raphaël (83) et co-président de la commission prévention de la délinquance et sécurité de l’AMF, «ces plans vont dans le bon sens, les avancées sont positives mais limitées. Car d’une part, je considère que le spectre départemental n’est pas le plus pertinent pour aborder des problématiques locales. Travailler sur les bassins de vie plutôt que dans le cadre des limites administratives me semble davantage judicieux en matière de lutte contre la délinquance. D’autre part, les préfets, selon la nature de leur engagement, ont plus ou moins bien associé les maires à l’élaboration de ces plans. D’où le constat que la culture du régalien a la vie dure ».

Une opinion partagée par Ubald ­Chenou, maire de Lagraulière (1 180 habitants, 19) : «Je n’attends pas monts et merveilles des plans départementaux de restauration de la sécurité au quotidien. Je n’y ai d’ailleurs pas été directement associé. » (lire ci-dessous).
 

Trois priorités d’action dans la Drôme

Dans la Drôme, deux mois auront été nécessaires pour constituer ce plan : «Nos échanges ont porté sur le choix et la définition des actions et sur le renforcement du continuum de sécurité », témoigne le préfet de la Drôme, Thierry Devimeux. Pour bâtir le plan, il a sollicité dix-sept communes du département soumises à une insécurité préoccupante et disposant d’une police municipale : «dix d’entre elles ont répondu à un questionnaire les incitant à révéler les difficultés auxquelles elles étaient confrontées », précise-t-il.  

À la suite de ce diagnostic territorial concrétisé par une cartographie précise et complète de la délinquance dans le département, les actions du plan se concentrent sur trois priorités : la lutte contre le narcotrafic, le communautarisme et le séparatisme, et la délinquance routière (avec une multiplication des contrôles). «Ce PADRSQ ne prétend pas tout révolutionner, concède Thierry Devimeux. Il a pour ambition de [permettre aux acteurs locaux de] travailler mieux en réorganisant et en renforçant la présence et la visibilité des forces de l’ordre. Mais cette nouvelle approche ne s’accompagne pas de moyens supplémentaires. » Ce qui n’interdit pas de faire appel ponctuellement à des renforts (compagnie de CRS) comme ce fut le cas par le passé à Valence, Romans-sur-Isère ou Montélimar.

Parmi les dix-sept communes contactées figure Saint-Vallier (4 241 habitants, 26) : «Notre police municipale a été interrogée sur son fonctionnement, sur ses besoins », indique Frédérique Sapet, maire de la commune. Ici, un troisième policier municipal ne serait pas de trop mais le PADRSQ porte plus sur une réorganisation des moyens que sur l’augmentation [des effectifs]. » La maire espère en tout cas que le plan départemental ne se concentrera pas sur les grandes villes car «les trafics ont tendance à se déplacer de plus en plus dans des zones rurales, moins surveillées ».
 

Nouvelle stratégie pour la délinquance

Saint-Vallier n’ignore pas cette réalité. En décembre dernier s’y est déroulée une saisie importante de stupéfiants, d’armes et d’argent liquide : «Tout est parti trois mois plus tôt d’une réunion de notre conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), au sein duquel règne une très bonne coopération, et au cours duquel j’ai fait part de mes questionnements à propos de l’étrange dysfonctionnement d’un commerce local », raconte l’élue. Des CLSPD que les départements, qui en sont exclus depuis la loi du 21 mars 2024, souhaiteraient réintégrer comme l’a signifié François Sauvadet, président de Départements de France, précisément pour améliorer la coordination des acteurs locaux.

Le département du Gard, lui, se focalise sur quatre priorités : le narcobanditisme et les trafics induits, les violences intra-familiales, les cambriolages et l’insécurité routière. Depuis le lancement du PADRSQ, en février, le quartier Pissevin à Nîmes (157 000 habitants), classé quartier de reconquête républicaine (QRR), fait l’objet de toutes les attentions. Plus de 150 policiers sont mobilisés chaque jour, renforcés par une compagnie de CRS et par des effectifs de la police municipale de Nîmes. En trois semaines, de fin février à mi-mars 2025, 2 132 personnes ont été contrôlées dont 121 avec une suite judiciaire et 13 personnes écrouées. Jérôme Bonet, le préfet du Gard, rappelle «que ces opérations se poursuivront autant que nécessaire ».
 

Gard : pérenniser les renforts

Pour Richard Schieven, adjoint au maire de Nîmes chargé de la sécurité, «ces renforts, même s’ils sont évidemment très appréciés, restent trop ponctuels. Il faudrait qu’ils se pérennisent à l’image du déploiement d’unités mobiles de sécurité dans d’autres grandes villes du sud. À moins de s’orienter vers un net accroissement des effectifs de la brigade départementale d’intervention ». L’élu regrette aussi que de nouveaux moyens ne soient pas au programme alors que la municipalité nîmoise réclame, à cor et à cri, davantage de policiers nationaux.

Dans le cadre de son PADRSQ, le département du Gard a souhaité mettre l’accent sur les violences intra-familiales : «Chaque jour, nous dénombrons au moins une victime ou un mis en cause placé en garde à vue », observe Jérôme Bonet. Un de nos objectifs est d’améliorer la prise en charge des victimes par le système judiciaire, à l’image de la salle “Mélanie” en voie de création à Alès (30). Cette salle offre un accueil spécifique et une décoration adaptée pour créer les conditions favorables à la libération de la parole des mineurs de moins de 15 ans. »

 

Les plans doivent associer les maires
Dans une circulaire NOR : INTK2431138J du 19 novembre 2024 sur la lutte contre la délinquance du quotidien, adressée aux préfets, le ministre de l’Intérieur indique que les plans départementaux doivent comporter un «diagnostic territorial » et une «cartographie des sites nécessitant une action prioritaire » puis définir «des modes d’actions spécifiques ».
Chaque plan doit également décrire la façon dont sera mobilisée «l’intégralité des acteurs du continuum de sécurité » : maires et polices municipales, administrations, mais aussi «assureurs, bailleurs, services de transport… » Le «dialogue avec les maires » et la population doit être priorisé pour répondre à leurs «attentes concrètes ».
Les préfets sont encouragés à signer des conventions «avec les collectivités, les bailleurs, les opérateurs, les associations » afin d’apporter «des améliorations visibles » pour les habitants. Ils sont par ailleurs invités à intégrer un volet «sécurité » dans les conventions Petites villes de demain.

 

témoignage
Ubald Chenou, maire de Lagraulière
(1 180 habitants, Corrèze)
« Les grands plans ne révolutionneront pas les choses »
« Je n’attends pas monts et merveilles des plans départementaux de restauration de la sécurité au quotidien. Je n’y ai d’ailleurs pas été directement associé.
De fait, les échanges, fréquents et productifs, avec les brigades [de gendarmerie] du secteur (Seilhac et Uzerche) se sont significativement améliorés au fil du temps. Car la commune subit depuis trois ans des vagues de cambriolages, près de cinq par an, dont la plupart ont été résolus. En général, ce sont des petits larcins qui provoquent néanmoins un certain traumatisme chez les victimes et un sentiment d’insécurité dans la population.
De notre côté, nous mettons l’accent sur la prévention en envoyant des messages de vigilance. C’est notre manière d’agir sur la sécurité au quotidien, au-delà de grands plans qui, à mon sens, ne révolutionneront pas les choses. »

 

Suivez Maires de France sur

Logo

Maires de France est le magazine de référence des maires et élus locaux. Chaque mois, il vous permet de décrypter l'actualité, de partager vos solutions de gestion et vous accompagne dans l'exercice de votre mandat. Son site Internet, mairesdefrance.com, vous permet d’accéder à toute l'information dont vous avez besoin, où vous voulez, quand vous voulez et sur le support de votre choix (ordinateur, tablette, smartphone, ...).