Le magazine des maires et présidents d'intercommunalité
Maires de France
Dossiers et enquêtes
01/01/1970 Juillet/Août 2019 - n°370
Vie locale

Voyage au pays des communes nouvelles

Par la souplesse et la liberté qui les caractérisent, les communes nouvelles sont une manifestation inédite de la décentralisation. Sans cadre ­précis, les élus ont bien souvent avancé à tâtons, surmontant les difficultés pour construire cette « nouvelle commune » dont les bénéfices émergent peu à peu.

© Montage illustration koya979 - MDF
Pour faire un premier bilan, Maires de France est allé à la rencontre de quatre communes aux profils différents mais aux problématiques similaires.

Avant de chercher à évaluer les communes nouvelles, il faut garder à l’esprit le contexte de leur essor. La loi Pélissard-Beaune de 2015, initiée par l’AMF, a fait véritablement décoller un dispositif, balbutiant depuis 2010, alors que la loi NOTRe rationalisait la carte intercommunale générant la constitution d’EPCI de grande taille, et baissait des dotations. De fait, nombre de communes n’auraient pas franchi le pas si la tendance lourde n’était pas à leur « dévitalisation », surtout en milieu rural. « On nous a retiré l’urbanisme, les cartes d’identité, la capacité d’investir. On n’a plus guère que l’état civil, et les gens qu’on voit en mairie viennent surtout pour chercher des sacs poubelles ! », décrit Patricia Henry, l’une des maires-déléguées de Livarot-Pays-d’Auge (14). Résultat, un peu partout, des élus ont rejoint la « table commune », pour peser dans les intercommunalités XXL et grouper leurs moyens, volontairement ou parfois par dépit.
Les gains sont notamment financiers : avec la DGF sauvegardée et bonifiée. Mais aussi avec les nouvelles marges dégagées par la mutualisation : aux Premiers Sapins (25), une MSAP a vu le jour ; à Beaulieu (58), la mairie a été rénovée ; à Livarot-Pays d’Auge (14), les services techniques ont été réorganisés ; à Évry-Courcouronnes (91), de nouveaux services de proximité ont été créés.
Mais il suffit de se promener dans ces territoires, de parler aux élus, aux agents et aux habitants, comme nous l’avons fait, pour constater que, dans ces constructions d’envergure où le ciment est encore frais, la pilule n’est pas bien passée pour tout le monde. Certains ne voient pas les gains apportés par la fusion, souvent parce qu’il est trop tôt pour cela ; les nouveaux projets mettent parfois des années à voir le jour tandis que, même avec un lissage des taux sur douze ans, les impôts augmentent pour certains habitants ; mal informés ou peu curieux, certains ont même appris la création de la commune nouvelle seulement au bout de trois ans, en recevant leur carte électorale pour les élections européennes de mai. Le regroupement est un chantier si titanesque qu’il peut retarder ou masquer la mise en place de projets communs. Il faut déjà organiser les services : si toutes n’ont pas les problèmes d’Évry-Courcouronnes qui doit gérer 1 600 agents dont l’harmonisation des statuts, grades et régimes indemnitaires a nécessité 20 délibérations depuis janvier, il y a la question des secrétaires de mairie à remplacer, repositionner ou spécialiser, des cantonniers, ATSEM et autres. 

774 communes nouvelles regroupant 2 508 communes ont été créées depuis 2016, soit une moyenne de 3,2 communes regroupées par création. Elles ont fait diminuer le nombre total de communes françaises d’environ 5 % : elles sont aujourd’hui 34 790.

Changer de mode de gestion

Les élus, eux aussi, doivent passer à une échelle supérieure, changer leur mode de gestion, monter en compétence, se plonger dans des dossiers nouveaux. « Si vous voulez participer aux débats, il faut aller en commission », témoigne Alexandre Cointet, un maire délégué des Premiers Sapins. Plusieurs de ces maires délégués ont jeté l’éponge devant la charge de travail nouvelle, ou la déception de ne plus être l’interlocuteur principal du préfet et des habitants. Des conseillers municipaux ont cessé de participer. Dans les villages et les villes, les querelles de clochers se sont bien souvent doublées de querelles d’ego entre élus. Il est encore plus difficile pour les habitants de se retrouver dans ce bouillonnement institutionnel, d’autant que la concertation et la communication autour de la fusion apparaît comme l’un des points faibles du processus. Si certaines communes ont organisé une concertation pour faire circuler l’information et la parole, cela n’a pas empêché parfois un sentiment de perte d’identité pour certains habitants.
Il est encore trop tôt pour faire un vrai bilan. Selon Philippe Guillemot, maire de Livarot-Pays d’Auge, il faudra «une mandature » pour apprécier les choses. «Nous avons essuyé les plâtres mais, en 2020, nous pourrons repartir sur de nouvelles bases », acquiesce le maire de Beaulieu, Denis Soulier : « certains citoyens ont l’esprit de clocher, et vous pouvez leur expliquer par A+B les bénéfices de la commune nouvelle, ils ne changeront jamais d’avis ! » Un constat partagé par Thierry Defontaine aux Premiers Sapins. Et, comme l’a découvert Patricia Henry en préparant La commune nouvelle de Livarot-Pays d’Auge, certains villages, aujourd’hui peuplés de 100 habitants à peine, étaient déjà le produit de fusions parfois séculaires… Et aujourd’hui oubliées.

Emmanuel GUILLEMAIN D’ECHON et Ludovic GALTIER


Trois questions à... Vincent Aubelle,
professeur associé à l’Université de Paris-Est Marne-la-Vallée 2000
«La commune nouvelle est une construction collective permanente»
Quel bilan tirez-vous de la loi Pélissard-Beaune ?
Cela fait deux siècles qu’on parle de rationalisation communale, mais on n’a jamais eu autant de résultats depuis 2016, de surcroît à l’initiative des élus locaux ! Ces dernières années, la décentralisation s’est plutôt faite dans une logique, pour l’État, d’imposer les choses. Alors, lorsque l’on crée un cadre large et qu’on laisse les élus libres de prendre leurs responsabilités, cela donne de très beaux résultats !
Après l’enthousiasme des premiers mois, on rencontre aussi des «déçus ». Comment l’expliquer ?
La commune nouvelle est une création récente. Les premiers à se lancer dans l’aventure ont passé du temps à résoudre des problèmes techniques non résolus dans la loi, parfois contre l’avis des préfets ou des DDFiP. La commune nouvelle reste une construction collective permanente : elle évolue et dépend des femmes et des hommes qui la font. Difficile d’y appliquer une théorie, des outils qui doivent venir en relais d’un projet.
Certains élus semblent avoir eu du mal à s’impliquer dans les dossiers...
C’est là le cœur du sujet. Des maires se plaignent que leurs adjoints et conseillers n’aient pas réussi le passage à un échelon géographique supérieur. Être adjoint à la voirie d’une petite commune rurale et avoir le même poste dans une commune nouvelle plus étendue, ce n’est pas pareil. Il faut avoir une capacité de projection sur tout le territoire.
La question du nom de la commune nouvelle a-t-elle souvent été trop peu étudiée ?
La commune nouvelle n’a rien à voir avec une question technique : à 99 %, c’est une question de sensibilité. La question du nom peut paraître anecdotique. En réalité, c’est une question de fond, qui mérite de prendre du temps. Idem pour les changements de nom de rue. Sinon, on obtient des résultats négatifs. Il faut arriver à faire comprendre aux habitants qu’on crée un nouveau territoire. Tous les détails (cimetière, église...) sont en réalité très importants.

 


 

Un outil complexe mais facteur de redynamisation rurale

La commune nouvelle peut être le moyen de redonner un nouveau souffle aux projets municipaux, mais aussi à la vie associative et festive des villages. Exemple à Beaulieu (58) et aux Premiers Sapins (25).

À Beaulieu, village de 33 habitants dans la Nièvre – 170 depuis la création de la commune nouvelle en janvier 2016 –, on s’y connaît en matière d’exode rural et de recul des services publics : la mairie, refaite à neuf en 2017 grâce au regroupement de trois villages, perdus entre champs et pâtures, est installée dans le bâtiment de «la première école de la Nièvre… à avoir fermé, dans les années 1920 ! », raconte le maire, Denis Soulier. Ce n’est peut-être pas un hasard si Beaulieu est devenu la première commune nouvelle d’un département qui n’en compte que deux en tout et pour tout. Pour les habitants de Beaulieu, où presque chaque adulte avait déjà été élu, la commune nouvelle était simplement une question de survie : «Aux dernières élections, quasiment personne ne voulait se représenter. On s’est dit qu’on se fixait le mandat pour fusionner avec les voisins », raconte Denis Soulier. Les discussions ont naturellement commencé avec le village voisin de Michaugues, qui partage son église et son cimetière avec Beaulieu. Puis le maire de Dompierre-sur-Héry, un peu plus gros (80 habitants), s’est aussi intéressé au projet. L’affaire a été rapidement conclue : « Le sous-préfet nous a dit : “ il faut un lieu pour la mairie et un nom, surtout pas trop farfelu ! ” » La mairie de Dompierre, trop proche de la grand-route, ne convenait pas ; Michaugues voulait garder sa salle des fêtes ; la mairie a donc été installée à Beaulieu qui a donné son nom à l’ensemble.
Aux Premiers Sapins, dans le Doubs (1 561 habitants), une commune nouvelle créée en janvier 2016, l’enjeu était de sauvegarder les quelques commerces restants et, de manière générale, l’héritage de la communauté de communes des Premiers Sapins, créée en 1997 par six villages au seuil des grandes forêts jurassiennes, avant qu’elle ne se fonde au sein de la grande communauté de communes des Portes du Haut-Doubs (47 communes, 25 869 habitants). 

Identité et économie 

À l’actif de l’ancienne «comcom » : une zone artisanale, une maison médicale et une école unique, basées à Nods, le bourg le plus important. Et déjà un embryon d’identité commune, dont est témoin le club de foot, l’ES Les Sapins, qui vient de fêter ses 30 ans – si le stade est situé à Nods, le bourg le plus important, les habitants de tout le territoire viennent s’y entraîner. Pour autant, les blocages au projet de commune nouvelle sont nombreux, car l’identité communale rejoint des questions plus prosaïques. La question très sensible de l’exploitation commerciale des 1 000 hectares de forêts communales n’a pas été réglée : « La première fois que j’ai entendu parler de ce projet de commune nouvelle, j’ai pensé que ce ne serait pas possible au vu de notre histoire : nos anciens se sont battus pour le bornage des forêts », explique Véronique Mercier, maire-déléguée de Chasnans. « Un habitant me disait l’autre jour : “ Ils (Les Premiers Sapins) vont tout nous prendre (…) Ils vont couper nos bois pour faire leurs projets ” », relate Isabelle Nicod, maire-déléguée d’Hautepierre-le-Châtelet. Même histoire pour les associations communales de chasse agréées, qui figurent parmi les groupements les plus actifs dans les territoires ruraux et de montagne, et gardent leur gibier jalousement. À tel point qu’il a fallu un décret, publié le 28 juin 2018, pour préciser qu’elles n’étaient pas obligées de fusionner en cas de commune nouvelle.
À Beaulieu, Denis Soulier s’est bien gardé de s’en préoccuper. « Je ne veux absolument pas m’en occuper, ils passent leur temps à se disputer ! » Seule solution en attendant : mettre ces sujets sensibles de côté. Mais comment réussir à créer une dynamique collective sur l’ensemble du territoire ?
Dans les très petites communes comme Beaulieu, la vie associative et festive joue un rôle crucial. Il n’y a pas beaucoup de possibilités d’investissements qui puissent mobiliser les gens : une fois la mairie rénovée, le projet suivant était celui de la reconstruction de la salle des fêtes située à Michaugues. Prévue dès le début de mandat, elle a été reportée après un conflit entre élus qui a culminé dans la démission du maire précédent (lire ci-dessous). En attendant, il y a toujours les manifestations habituelles : les commémorations du 11 novembre et du 8 mai ont été particulièrement suivies l’an dernier, avec 60 personnes réunies au monument aux morts, situé à côté de l’église de Dompierre, mais qui arbore désormais des nouvelles plaques, aux noms des morts de Michaugues et Beaulieu également. Pour que ces derniers conservent leur trophée des Villages fleuris, des plates-bandes ont été plantées à Dompierre, au grand plaisir des riverains. Il y a aussi la brocante de Beaulieu en été, l’enduro équestre de Michaugues, mais surtout, la grande fête du 14 juillet, créée en 2016, où les habitants des trois villages se retrouvent pour un grand banquet en plein air – 120 convives en 2018. « Les gens aiment bien, beaucoup viennent de Dompierre, qu’on voit moins par ailleurs », affirme Denis Soulier. À Beaulieu, en attendant la future salle des fêtes, les habitants sont occupés, comme tous les mercredis soir, à plier des fleurs en papier crépon pour orner le char du village, qui défilera lors du comice agricole à Brinon-sur-Beuvron, le bourg le plus proche. 

Premiers Sapins : un « café-citoyen » pour parler
Pierre-François Bernard, maire de la commune nouvelle, a créé la formule du «café-citoyen » pour libérer la parole des mécontents, dans une forme précoce de «grand débat ». Six soirées ont été organisées depuis 2017 : si certains habitants s’y affirmaient optimistes, d’autres ont reproché aux élus de concentrer tous les investissements à Nods. Le maire, lui, rappelle la liste des travaux faits dans chaque village, dont… la remise à neuf du café associatif d’Hautepierre-le-Châtelet. La principale réalisation du mandat, il est vrai, s’est faite à Nods : il s’agit de l’inauguration, en mai, de la nouvelle mairie et d’une maison de services au public (MSAP, photo), qui abrite entre autres la médiathèque. Auparavant associative et payante 
(6 euros par an), celle-ci est devenue municipale et l’inscription gratuite, avec 50 nouvelles inscriptions en un mois seulement – et une création d’emploi pour la bibliothécaire, jusqu’ici bénévole. Mais sa portée est bel et bien au niveau de la commune nouvelle : «Le soir de l’inauguration, j’ai reçu un SMS d’un habitant qui disait qu’il était fier d’habiter aux Premiers Sapins, fier de sa commune. Ça m’a beaucoup touché », confie le maire.

Rôle crucial de la vie associative

C’est l’occasion d’ailleurs pour certains habitants de demander « quand est-ce qu’on l’aura, cette salle ? » à Bernadette Denis, la troisième adjointe, venue avec sa fille pour donner un coup de main. Réponse : pas avant 2020 ! En attendant, Francis Bégusseau, habitant de la commune depuis six ans, et rédacteur bénévole du bulletin municipal, fait valoir que la fusion a permis de mettre en commun les talents des «17 artistes » de la commune (dont lui-même) qui seront mis à contribution pour peindre les décors du char.
Dans le Doubs, la fête est aussi employée pour rapprocher les citoyens de la commune nouvelle : cette année, pour la première fois, en plus des équipes de chaque village, une équipe des Premiers Sapins va concourir aux épreuves intervillages de la fête pastorale : défilé de chars, dîner surprise, tiercé de cochons… Dans une commune de cette taille, le maintien des commerces est aussi très important, et le maire, Pierre-François Bernard, fait valoir l’acquisition par la mairie, en 2018, des locaux d’une ancienne fromagerie transformée en café-restaurant. La convivialité étant importante en ruralité, c’est d’ailleurs la formule du « café-citoyen » que le maire des Premiers Sapins a retenu pour favoriser les échanges avec les habitants (lire ci-dessus).
Désormais, « les comités des fêtes parlent de fusionner », affirme Denis Soulier, qui, là encore, refuse soigneusement de s’en occuper : place aux habitants ! Aux Premiers Sapins, les cinq comités existants veulent garder leur indépendance, mais mettent leur caisse en commun pour les jeux intervillages. Une étape importante pour la constitution d’une identité et d’une dynamique commune, qui, selon certains élus, prendra « une petite génération ».

E. G. E. et L. G.

Des maires parfois bousculés par une nouvelle gouvernance
« Il y a deux problèmes : les gens attachés à leur clocher, et l’ego des maires ; et ça, c’est le pire », assure Denis Soulier, maire de la commune nouvelle de Beaulieu (58), qui en sait quelque chose car il s’est opposé frontalement à son prédécesseur, Jean Lesort, au sujet du coût du projet de salle des fêtes, jusqu’à refuser de voter le budget 2018 – ce dernier, se sentant désavoué, a démissionné. Le maire-délégué de Dompierre-sur-Héry, François Mouron, s’est aussi mis en retrait. « C’est surtout le maire qui a un problème, les habitants, eux, ne sont pas plus fâchés que ça, tempère Fanny Van Haperen, conseillère municipale à Dompierre. Tous les élus n’arrivent pas à se projeter sur le nouveau territoire dans son intégralité. » Aux Premiers Sapins (25), « un tiers des maires délégués disent qu’ils n’ont plus de pouvoir mais ils ne l’ont pas pris. Je m’occupe de l’urbanisme et des services techniques. Eux, ils ne travaillent plus les ­dossiers », constate Thierry Defontaine, deuxième adjoint aux Premiers Sapins et maire-délégué.

 


 

Livarot-Pays d’Auge : bilan contrasté trois ans après le regroupement

La commune nouvelle (Calvados, 22 communes) a été créée en janvier 2016. Malgré des bénéfices certains, elle peine à rassembler élus et habitants.

Mets l’urne ici, comme ça on aura la place de mettre tous les bulletins de vote ! » Casse-tête pour les agents de la commune nouvelle de Livarot-Pays d’Auge, occupés en ce 23 mai à installer l’un des bureaux de vote pour les élections européennes, et leurs listes pléthoriques, à la mairie annexe de Notre-Dame-de-Courson. Cette année, les bureaux ont été centralisés dans les quatre bourgs principaux qui, à partir de 2020, accueilleront encore une mairie annexe ; les mairies des villages seront fermées. Il faut dire que cette commune nouvelle du Calvados détient le record de France : pas moins de 22 communes et 6 525 habitants pour une superficie totale de 180 kilomètres carrés, soit près de deux fois la taille de Paris intra-muros !
Jean-Pierre Dard, un habitant de Notre-Dame-de-Courson, passé déposer un dossier à la mairie annexe, s’interroge : «Maintenant on a des adresses à rallonge ! On a l’impression de perdre notre commune. On l’a rattachée à Livarot, qui se paie les travaux de son centre-ville avec nos impôts ! Si ça continue comme ça, on va être rattachés à Lisieux ? Et pourquoi pas Paris ? » La remarque est certes exagérée – et en partie fausse, les travaux étaient prévus bien avant la commune nouvelle –, mais comme le confirme la secrétaire de mairie, ce n’est pas le seul à penser ainsi. 
Dans la salle de vote, tous les portraits des présidents de la République depuis René Coty sont restés accrochés… Tous, sauf celui d’Emmanuel Macron : comme il n’y a plus, légalement, qu’une seule commune, la préfecture n’a envoyé qu’un portrait, accroché dans la mairie de Livarot, devenue mairie de Livarot-Pays d’Auge. «Quand il y a un mariage, tout le monde nous fait la remarque ! Les gens ne sont pas contents », rapporte la secrétaire, qui travaille désormais à temps partiel avec les autres agents administratifs, à Livarot.
La centralisation des bureaux de vote a aussi mécontenté des élus, notamment des petites communes. La veille, au pot de l’amitié qui a suivi le conseil municipal, les langues se sont déliées ; la décision a été portée par la commission « modernisation » (22 conseillers municipaux). Et, selon Stéphanie Ernoult, maire-déléguée de La Croupte, un petit village de 119 habitants proche de Fervaques, l’un des quatre futurs pôles de Livarot-Pays d’Auge, « on a eu très peu d’infos dessus ». Frédéric Legouverneur, premier adjoint de la commune nouvelle et maire-délégué de Saint-Michel-de-Livet, réplique que « beaucoup de maires-délégués avaient du mal à maintenir un bureau de vote. (…) Quand on est maire-délégué, aller dire à ses habitants : “ J’étais contre ”, c’est se désolidariser du vote démocratique, une fois la décision prise, il faut se ranger derrière ! », ajoute-t-il, arguant du fait qu’« il n’y a pas d’opposition » au conseil municipal. « Il faudrait qu’il y en ait une ! », rétorque Stéphanie Ernoult.

44 le nombre de communes nouvelles dans le Calvados, 2e département en nombre de création derrière la Manche voisine.

Nécessaire concertation

Plus mesuré, mais également déçu, l’adjoint au maire-délégué du petit village du Mesnil-Durand, Arnaud Philippe, trouve qu’il n’y a plus assez de débats sur la situation et les projets de la commune nouvelle et que «tout le monde a oublié la charte, sur laquelle on a pourtant passé des nuits à changer le moindre mot ! En conseil municipal, les adjoints en disent le moins possible, c’est dommage, ils n’ont pourtant rien à cacher ! Dans notre ancien conseil, les réunions duraient au moins trois heures, on débattait beaucoup plus directement », regrette le conseiller qui «croit à la commune nouvelle en tant que structure ; mais on a aussi besoin d’avoir confiance dans les humains », ajoute-t-il en regrettant l’ancien maire de la commune nouvelle, Sébastien Leclerc, élu député en juin 2017, qui « répondait toujours aux questions en conseil municipal ». 
Son successeur, Philippe Guillemot, a décidé de supprimer les « questions diverses » en fin de conseil, « car on nous posait trop de questions dont nous n’avions pas la réponse ; il est toujours possible d’en poser, mais par écrit et au moins 48 heures à l’avance », se justifie-t-il. 
De plus, le déséquilibre démographique a joué en défaveur de la représentation des ruraux au sein du conseil municipal. La loi prévoyait soit de conserver l’intégralité des 234 conseillers municipaux, impossible à gérer, soit d’adopter une représentation proportionnelle pour 85 conseillers, forcément à l’avantage de Livarot, qui concentre plus du tiers de la population totale avec 2 300 habitants, quand d’autres en comptent moins de cent.
Pourtant, la commune nouvelle a déjà apporté des gains indéniables comme en témoigne son ancien maire (lire ci-dessus). En plus du bonus de DGF (dotation globale de fonctionnement), des économies sur les assurances et les abonnements téléphoniques, la gestion du personnel a été remise à plat. Les services techniques ont été réorganisés avec un petit retard – les élus ont attendu le départ à la retraite de leur ancien directeur, en 2018, pour mutualiser agents et matériel dans deux pôles, l’un à Livarot, l’autre à Fervaques, pour les communes excentrées. Les anciens cantonniers travaillent désormais à deux avec tracteur et camions, pour plus d’efficacité mais aussi de sécurité. « On se casse moins le dos, on travaille plus intelligemment ! », explique Patrick Bernard, pendant qu’il installe le bureau de vote de Fervaques.

Associer les habitants

Sur un territoire si vaste, les couacs sont inévitables. Mais le problème principal réside dans la communication insuffisante des informations, entre élus ou habitants. L’exemple le plus parlant – et le plus sensible – est celui de la refonte de l’adressage. Comme il fallait harmoniser les noms des rues pour éviter les répétitions, la commune en a profité pour travailler avec La Poste sur un adressage métrique, permettant d’attribuer une adresse précise à chaque maison, même isolée, pour la rendre visible des livreurs, pompiers ou gendarmes. Avec très peu de concertation. Ainsi, Bernadette Hendy, habitante du hameau du Val Miesse, s’est vue attribuer du jour au lendemain l’adresse du «428, Chemin perdu », à son grand dam. « Mon fils a une entreprise de paysagiste, belle publicité ! », s’exaspère-t-elle. Un changement qui paraît arbitraire et inéluctable, alors qu’il n’en est rien en réalité : la DGS, Isabelle Giraud, explique qu’elle attend la fin du réadressage, toujours en cours, pour traiter les cas des mécontents. Mais l’information ne circule pas. Même si le bulletin municipal est distribué dans chaque boîte aux lettres, il n’est pas forcément lu ; et lors de la fusion, il n’y a pas eu de consultation poussée de la population. Philippe Guillemot ne peut que constater qu’au bout de deux ans, il « croise régulièrement des habitants qui ne (le) connaissent pas ! » En dépit de ses efforts, il faudra encore beaucoup de temps – et de communication – pour ancrer la commune nouvelle.

E. G. E.

Témoignage
Sébastien Leclerc
, ancien maire de Livarot, député du Calvados
« La commune nouvelle a été salvatrice ! »
« Le changement a été difficile à accepter pour certains maires. Mais la baisse des dotations nous faisait approcher du gouffre : la commune nouvelle a été salvatrice ! Sans elle, beaucoup de communes historiques seraient aujourd’hui dans l’embarras. Elle a permis de gros travaux, notamment de voirie, dans des communes comme Familly ou Meulles qui n’auraient jamais pu se les permettre. Elle a permis de tenir certains engagements de l’ancienne communauté de communes : traversées de bourg, lotissements… La communauté de communes avait beaucoup de compétences, qui ont été ­restituées aux communes par la nouvelle communauté d’agglomération, et que les communes historiques n’auraient pu assumer seules. Nous avons aussi remis à plat la gestion du personnel, notamment dans les écoles, où sont appliquées des règles qui ne l’étaient pas forcément avant, comme sur le taux d’encadrement. Tout le personnel a les mêmes conditions de ­travail et de rémunération. Les prix de la cantine ont été tirés vers le bas. Le policier municipal peut désormais intervenir sur les conflits de voisinage. C’est peut-être vrai que mon départ a cassé une dynamique, mais il y a aussi eu le fait que le préfet nous a imposé de reprendre l’intégralité des conseillers municipaux de Livarot. Nous aurions voulu plus de poids pour les petites communes ! Mais j’ai bon espoir que les habitants vont réaliser petit à petit qu’il fallait faire la commune nouvelle et que nous avons gagné du temps. »

 

Un poids dans l’agglomération difficile à assumer
« L’idée, c’était que plus on serait nombreux à se regrouper, plus on pèserait dans la nouvelle communauté d’agglomération de Lisieux », 54 communes et 74 829 habitants, explique Philippe Guillemot, maire de la commune nouvelle. Et en effet, la commune très rurale de Livarot-Pays d’Auge compte 23 délégués communautaires sur 135, et deux vice-présidences. Mais en 2020, elle devrait retomber à 6 sur 90 compte tenu de l’application des règles de droit commun. « Et les 23 délégués ne sont pas tous motivés, certains se disent qu’ils ­risquent de ne plus y être l’an prochain. D’autres n’ont pas le temps de venir en commission, là où se fait le vrai ­boulot ! », explique Frédéric Legouverneur, premier adjoint de la commune nouvelle et maire-délégué de Saint-Michel-de-Livet. « Passer d’un petit village à une agglomération de 78 000 habitants, ce n’est pas évident. » D’autant que ladite agglomération a mis deux ans à s’organiser, entre recrutements, transferts et délégations.

 


 

Évry-Courcouronnes : la commune nouvelle donne du «peps » aux élus

Dans ce secteur très urbain, deux élus de sensibilités politiques opposées ont su aboutir à un projet commun.

On travaille ensemble tous les jours, on forme une sorte de duo qui me surprend moi-même. Vous m’auriez dit ça il y a deux ans, je vous aurais répondu : “ Ça ne va pas la tête ? ” » Danielle Valéro, maire-déléguée d’Évry et première adjointe de la commune nouvelle d’Évry-Courcouronnes, née le 1er janvier 2019 du regroupement de la préfecture de l’Essonne et de son satellite, la première historiquement de gauche, la seconde, passée à droite en 2001, ne revient pas encore de ce rapprochement. Même si, il ne s’agit, selon elle, que de «réparer une erreur historique », les deux communes faisant partie, avec Lisses et Bondoufles, de la ville nouvelle d’Évry, créée en 1970, et partageant une gare de RER commune (« Évry-Courcouronnes »). «Nous avons failli fusionner dix fois avec Courcouronnes, Lisses et Bondoufle, mais les maires ne se sont jamais entendus », explique-t-elle.
C’est paradoxalement la diversité politique qui a permis le rapprochement : le départ surprise de Manuel Valls, député, pour Barcelone, en septembre 2018, a été suivi de l’élection de Francis Chouat, maire (PS) d’Évry, à l’Assemblée nationale sous l’étiquette LREM. Les conseillers municipaux l’ont soutenu lors de cette élection parfois contre les candidats de leur propre parti et ont perdu leurs étiquettes. Les partis ont de fait été privés de toute ingérence dans la gestion municipale, facilitant l’aboutissement du projet de création de la commune nouvelle menée par Danielle Valéro, première adjointe d’Évry et maire par intérim fin 2018.
Le projet de regroupement étant déjà bien avancé, c’est finalement Stéphane Beaudet, le maire LR de la plus petite ville (Courcouronnes compte 13 606 habitants, contre 55 420 pour Évry), qui a été élu maire du nouvel ensemble en janvier.
Danielle Valéro se souvient de certains militants socialistes ou écologistes lui disant : «On ne va tout de même pas donner la ville à la droite ? » Pourtant, sur le fond, rapporte l’élue, et «sur certaines politiques, il n’y a pas une feuille de papier à cigarettes entre Stéphane Beaudet et moi ». La réforme des rythmes scolaires, en 2013, avait déjà été menée de concert ; les villes partageaient un contrat local de santé. Le plus important, selon elle, est que «nous soyons tous les deux très attachés à ce territoire. Notre but est de sortir la ville de l’ornière, d’être plus forts dans Grand Paris Sud ». «Le travail de fusion a redonné du “ peps ” à toute l’équipe, c’est comme si on entamait un nouveau mandat ! », s’enthousiasme Danielle Valéro. L’équipe municipale tient à montrer aux habitants les apports de la commune nouvelle : il est désormais possible de faire carte d’identité et passeport dans la mairie annexe de Courcouronnes ; dix nouvelles permanences sociales ont été installées dans les quartiers et divers dispositifs vont être généralisés à la rentrée (offre de fournitures gratuites aux écoliers…).                         

E. G. E.

Priorité à la communication
S’il n’y a pas eu de réelle concertation sur le projet, les élus ont œuvré sans relâche pour communiquer dessus. En plus d’une campagne de vidéos, « nous avons fait des réunions publiques, d’appartement, beaucoup de présence sur les manifestations culturelles et sportives », explique le maire, Stéphane Beaudet. Près de la moitié des agents (700 sur 1 600) a planché en atelier sur la charte de la commune nouvelle ; une vingtaine d’entre eux a joué les «ambassadeurs » pour répondre aux questions des citoyens. Une séance de questions-réponses en direct sur le Facebook de la ville, organisée en juin, a été suivie par plus de 5 000 personnes.

 


 

Des ajustements à venir pour les communes nouvelles

La proposition de loi portée par Françoise Gatel, discutée cet été au Parlement, propose des assouplissements, notamment en matière de gouvernance.

Pour les communes nouvelles créées ces trois dernières années, le mandat 2020-2026 devrait être celui de la concrétisation : les équipes municipales pourront être élues sur un projet de territoire clair et consolidé, tandis que les effectifs parfois pléthoriques de certains conseils municipaux devront être revus à la baisse. Dans cette période transitoire, la proposition de loi (PPL) portée par la sénatrice Françoise Gatel, adoptée le 10 juillet à l’Assemblée nationale, et qui sera examinée en deuxième lecture au Sénat le 25 juillet, propose plusieurs adaptations de la loi dans les domaines de la gouvernance des communes nouvelles, de leur fonctionnement et de leur organisation avec l’intercommunalité. 
La mesure la plus importante, et cruciale pour la préparation des listes à l’approche des municipales, permettra aux communes de ne pas trop écrémer les conseils municipaux : le texte précise que le nombre de conseillers ne pourra être «inférieur au tiers » de l’effectif initial élu lors des élections précédentes (augmenté d’une unité en cas de nombre pair), avec toutefois un maximum de 69 élus en 2020. Les communes nouvelles auraient le droit d’avoir un nombre de conseillers correspondant à celui de la strate démographique supérieure. Lors d’une audition, le 25 juin, à l’Assemblée nationale, le ministre chargé des Collectivités territoriales s’est dit «tout à fait ouvert » à certains aménagements, en particulier sur la question du nombre de conseillers municipaux, prônant un «amortissement du choc provoqué par les effets de seuil », par exemple à travers un «mandat tampon de six années » parce que «tout ne peut pas se faire en une seule fois ». Mais Sébastien Lecornu a insisté sur le caractère « temporaire » d’une telle mesure, excluant des dérogations pérennes car à terme, «une commune nouvelle est une commune comme les autres, dans sa strate ».

Créer la « commune-communauté » 

La proposition de loi comporte aussi une mesure permettant à une commune nouvelle englobant la totalité d’un EPCI à fiscalité propre d’exercer à la fois les compétences de la commune et celles de l’intercommunalité, sans être obligée d’adhérer à un EPCI à fiscalité propre de plus grande taille, créant ainsi un nouveau type de collectivité, la « commune-­communauté ». Sébastien Lecornu s’est dit « ouvert », estimant que « cela peut fonctionner à condition de définir un cadre précis ». Mais ce dispositif ne sera pas rétroactif et, au vu de la refonte de la carte intercommunale et du gigantisme de certains EPCI, il pourrait ne concerner que quinze à vingt d’entre eux, selon l’AMF.
Le mandat prochain pourrait être aussi celui d’une nouvelle vague de créations de communes nouvelles. L’État va-t-il encourager la poursuite de ce processus, par la carotte financière… ou le bâton ? Certains élus en sont persuadés : « Le gouvernement va continuer à mettre la pression via les préfets », prédit Philippe Guillemot, maire de Livarot-Pays-d’Auge (14). Le ministre chargé des Collectivités territoriales, Sébastien Lecornu, s’en est défendu, le 25 juin, assurant que le mouvement doit se poursuivre dans la plus grande « liberté » possible. « Là où cela a fonctionné, c’est parce que les élus se sont mis d’accord entre eux sans intervention du préfet », a-t-il déclaré. « L’État doit éviter la tentation de la contrainte. Ce qui fait l’intérêt de la commune nouvelle, c’est que c’est un processus libre », insiste Vincent Aubelle, professeur associé à l’université de Marne-la-Vallée.                    

E. G. E.

Quel sort pour les communes déléguées ?
La question se pose encore, dans la plupart des communes nouvelles, de l’avenir des mairies des communes historiques : à conserver, à vendre, à transformer en bibliothèque ou local associatif ? Comme le rappelle l’AMF, c’est le conseil municipal de la commune nouvelle qui choisit – avec l’accord du maire-délégué – le maintien ou non des communes déléguées, de leurs mairies, et le titre même de maire-délégué. Pour les panneaux routiers à l’entrée du territoire communal, là encore, toute latitude est laissée au conseil municipal. La PPL Gatel devrait permettre de choisir le nombre des communes déléguées que les élus souhaitent conserver. La plupart des communes souhaitent impliquer aussi les habitants dans le choix.  Lire l’article du 2 janvier 2019 sur www.maire-info.com
 

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Cet article a été publié dans l'édition :

n°370 - Juillet/Août 2019
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