Avant de chercher à évaluer les communes nouvelles, il faut garder à l’esprit le contexte de leur essor. La loi Pélissard-Beaune de 2015, initiée par l’AMF, a fait véritablement décoller un dispositif, balbutiant depuis 2010, alors que la loi NOTRe rationalisait la carte intercommunale générant la constitution d’EPCI de grande taille, et baissait des dotations. De fait, nombre de communes n’auraient pas franchi le pas si la tendance lourde n’était pas à leur « dévitalisation », surtout en milieu rural. « On nous a retiré l’urbanisme, les cartes d’identité, la capacité d’investir. On n’a plus guère que l’état civil, et les gens qu’on voit en mairie viennent surtout pour chercher des sacs poubelles ! », décrit Patricia Henry, l’une des maires-déléguées de Livarot-Pays-d’Auge (14). Résultat, un peu partout, des élus ont rejoint la « table commune », pour peser dans les intercommunalités XXL et grouper leurs moyens, volontairement ou parfois par dépit.
Les gains sont notamment financiers : avec la DGF sauvegardée et bonifiée. Mais aussi avec les nouvelles marges dégagées par la mutualisation : aux Premiers Sapins (25), une MSAP a vu le jour ; à Beaulieu (58), la mairie a été rénovée ; à Livarot-Pays d’Auge (14), les services techniques ont été réorganisés ; à Évry-Courcouronnes (91), de nouveaux services de proximité ont été créés.
Mais il suffit de se promener dans ces territoires, de parler aux élus, aux agents et aux habitants, comme nous l’avons fait, pour constater que, dans ces constructions d’envergure où le ciment est encore frais, la pilule n’est pas bien passée pour tout le monde. Certains ne voient pas les gains apportés par la fusion, souvent parce qu’il est trop tôt pour cela ; les nouveaux projets mettent parfois des années à voir le jour tandis que, même avec un lissage des taux sur douze ans, les impôts augmentent pour certains habitants ; mal informés ou peu curieux, certains ont même appris la création de la commune nouvelle seulement au bout de trois ans, en recevant leur carte électorale pour les élections européennes de mai. Le regroupement est un chantier si titanesque qu’il peut retarder ou masquer la mise en place de projets communs. Il faut déjà organiser les services : si toutes n’ont pas les problèmes d’Évry-Courcouronnes qui doit gérer 1 600 agents dont l’harmonisation des statuts, grades et régimes indemnitaires a nécessité 20 délibérations depuis janvier, il y a la question des secrétaires de mairie à remplacer, repositionner ou spécialiser, des cantonniers, ATSEM et autres.
Les élus, eux aussi, doivent passer à une échelle supérieure, changer leur mode de gestion, monter en compétence, se plonger dans des dossiers nouveaux. « Si vous voulez participer aux débats, il faut aller en commission », témoigne Alexandre Cointet, un maire délégué des Premiers Sapins. Plusieurs de ces maires délégués ont jeté l’éponge devant la charge de travail nouvelle, ou la déception de ne plus être l’interlocuteur principal du préfet et des habitants. Des conseillers municipaux ont cessé de participer. Dans les villages et les villes, les querelles de clochers se sont bien souvent doublées de querelles d’ego entre élus. Il est encore plus difficile pour les habitants de se retrouver dans ce bouillonnement institutionnel, d’autant que la concertation et la communication autour de la fusion apparaît comme l’un des points faibles du processus. Si certaines communes ont organisé une concertation pour faire circuler l’information et la parole, cela n’a pas empêché parfois un sentiment de perte d’identité pour certains habitants.
Il est encore trop tôt pour faire un vrai bilan. Selon Philippe Guillemot, maire de Livarot-Pays d’Auge, il faudra «une mandature » pour apprécier les choses. «Nous avons essuyé les plâtres mais, en 2020, nous pourrons repartir sur de nouvelles bases », acquiesce le maire de Beaulieu, Denis Soulier : « certains citoyens ont l’esprit de clocher, et vous pouvez leur expliquer par A+B les bénéfices de la commune nouvelle, ils ne changeront jamais d’avis ! » Un constat partagé par Thierry Defontaine aux Premiers Sapins. Et, comme l’a découvert Patricia Henry en préparant La commune nouvelle de Livarot-Pays d’Auge, certains villages, aujourd’hui peuplés de 100 habitants à peine, étaient déjà le produit de fusions parfois séculaires… Et aujourd’hui oubliées.
Emmanuel GUILLEMAIN D’ECHON et Ludovic GALTIER
À Beaulieu, village de 33 habitants dans la Nièvre – 170 depuis la création de la commune nouvelle en janvier 2016 –, on s’y connaît en matière d’exode rural et de recul des services publics : la mairie, refaite à neuf en 2017 grâce au regroupement de trois villages, perdus entre champs et pâtures, est installée dans le bâtiment de «la première école de la Nièvre… à avoir fermé, dans les années 1920 ! », raconte le maire, Denis Soulier. Ce n’est peut-être pas un hasard si Beaulieu est devenu la première commune nouvelle d’un département qui n’en compte que deux en tout et pour tout. Pour les habitants de Beaulieu, où presque chaque adulte avait déjà été élu, la commune nouvelle était simplement une question de survie : «Aux dernières élections, quasiment personne ne voulait se représenter. On s’est dit qu’on se fixait le mandat pour fusionner avec les voisins », raconte Denis Soulier. Les discussions ont naturellement commencé avec le village voisin de Michaugues, qui partage son église et son cimetière avec Beaulieu. Puis le maire de Dompierre-sur-Héry, un peu plus gros (80 habitants), s’est aussi intéressé au projet. L’affaire a été rapidement conclue : « Le sous-préfet nous a dit : “ il faut un lieu pour la mairie et un nom, surtout pas trop farfelu ! ” » La mairie de Dompierre, trop proche de la grand-route, ne convenait pas ; Michaugues voulait garder sa salle des fêtes ; la mairie a donc été installée à Beaulieu qui a donné son nom à l’ensemble.
Aux Premiers Sapins, dans le Doubs (1 561 habitants), une commune nouvelle créée en janvier 2016, l’enjeu était de sauvegarder les quelques commerces restants et, de manière générale, l’héritage de la communauté de communes des Premiers Sapins, créée en 1997 par six villages au seuil des grandes forêts jurassiennes, avant qu’elle ne se fonde au sein de la grande communauté de communes des Portes du Haut-Doubs (47 communes, 25 869 habitants).
À l’actif de l’ancienne «comcom » : une zone artisanale, une maison médicale et une école unique, basées à Nods, le bourg le plus important. Et déjà un embryon d’identité commune, dont est témoin le club de foot, l’ES Les Sapins, qui vient de fêter ses 30 ans – si le stade est situé à Nods, le bourg le plus important, les habitants de tout le territoire viennent s’y entraîner. Pour autant, les blocages au projet de commune nouvelle sont nombreux, car l’identité communale rejoint des questions plus prosaïques. La question très sensible de l’exploitation commerciale des 1 000 hectares de forêts communales n’a pas été réglée : « La première fois que j’ai entendu parler de ce projet de commune nouvelle, j’ai pensé que ce ne serait pas possible au vu de notre histoire : nos anciens se sont battus pour le bornage des forêts », explique Véronique Mercier, maire-déléguée de Chasnans. « Un habitant me disait l’autre jour : “ Ils (Les Premiers Sapins) vont tout nous prendre (…) Ils vont couper nos bois pour faire leurs projets ” », relate Isabelle Nicod, maire-déléguée d’Hautepierre-le-Châtelet. Même histoire pour les associations communales de chasse agréées, qui figurent parmi les groupements les plus actifs dans les territoires ruraux et de montagne, et gardent leur gibier jalousement. À tel point qu’il a fallu un décret, publié le 28 juin 2018, pour préciser qu’elles n’étaient pas obligées de fusionner en cas de commune nouvelle.
À Beaulieu, Denis Soulier s’est bien gardé de s’en préoccuper. « Je ne veux absolument pas m’en occuper, ils passent leur temps à se disputer ! » Seule solution en attendant : mettre ces sujets sensibles de côté. Mais comment réussir à créer une dynamique collective sur l’ensemble du territoire ?
Dans les très petites communes comme Beaulieu, la vie associative et festive joue un rôle crucial. Il n’y a pas beaucoup de possibilités d’investissements qui puissent mobiliser les gens : une fois la mairie rénovée, le projet suivant était celui de la reconstruction de la salle des fêtes située à Michaugues. Prévue dès le début de mandat, elle a été reportée après un conflit entre élus qui a culminé dans la démission du maire précédent (lire ci-dessous). En attendant, il y a toujours les manifestations habituelles : les commémorations du 11 novembre et du 8 mai ont été particulièrement suivies l’an dernier, avec 60 personnes réunies au monument aux morts, situé à côté de l’église de Dompierre, mais qui arbore désormais des nouvelles plaques, aux noms des morts de Michaugues et Beaulieu également. Pour que ces derniers conservent leur trophée des Villages fleuris, des plates-bandes ont été plantées à Dompierre, au grand plaisir des riverains. Il y a aussi la brocante de Beaulieu en été, l’enduro équestre de Michaugues, mais surtout, la grande fête du 14 juillet, créée en 2016, où les habitants des trois villages se retrouvent pour un grand banquet en plein air – 120 convives en 2018. « Les gens aiment bien, beaucoup viennent de Dompierre, qu’on voit moins par ailleurs », affirme Denis Soulier. À Beaulieu, en attendant la future salle des fêtes, les habitants sont occupés, comme tous les mercredis soir, à plier des fleurs en papier crépon pour orner le char du village, qui défilera lors du comice agricole à Brinon-sur-Beuvron, le bourg le plus proche.
C’est l’occasion d’ailleurs pour certains habitants de demander « quand est-ce qu’on l’aura, cette salle ? » à Bernadette Denis, la troisième adjointe, venue avec sa fille pour donner un coup de main. Réponse : pas avant 2020 ! En attendant, Francis Bégusseau, habitant de la commune depuis six ans, et rédacteur bénévole du bulletin municipal, fait valoir que la fusion a permis de mettre en commun les talents des «17 artistes » de la commune (dont lui-même) qui seront mis à contribution pour peindre les décors du char.
Dans le Doubs, la fête est aussi employée pour rapprocher les citoyens de la commune nouvelle : cette année, pour la première fois, en plus des équipes de chaque village, une équipe des Premiers Sapins va concourir aux épreuves intervillages de la fête pastorale : défilé de chars, dîner surprise, tiercé de cochons… Dans une commune de cette taille, le maintien des commerces est aussi très important, et le maire, Pierre-François Bernard, fait valoir l’acquisition par la mairie, en 2018, des locaux d’une ancienne fromagerie transformée en café-restaurant. La convivialité étant importante en ruralité, c’est d’ailleurs la formule du « café-citoyen » que le maire des Premiers Sapins a retenu pour favoriser les échanges avec les habitants (lire ci-dessus).
Désormais, « les comités des fêtes parlent de fusionner », affirme Denis Soulier, qui, là encore, refuse soigneusement de s’en occuper : place aux habitants ! Aux Premiers Sapins, les cinq comités existants veulent garder leur indépendance, mais mettent leur caisse en commun pour les jeux intervillages. Une étape importante pour la constitution d’une identité et d’une dynamique commune, qui, selon certains élus, prendra « une petite génération ».
E. G. E. et L. G.
Mets l’urne ici, comme ça on aura la place de mettre tous les bulletins de vote ! » Casse-tête pour les agents de la commune nouvelle de Livarot-Pays d’Auge, occupés en ce 23 mai à installer l’un des bureaux de vote pour les élections européennes, et leurs listes pléthoriques, à la mairie annexe de Notre-Dame-de-Courson. Cette année, les bureaux ont été centralisés dans les quatre bourgs principaux qui, à partir de 2020, accueilleront encore une mairie annexe ; les mairies des villages seront fermées. Il faut dire que cette commune nouvelle du Calvados détient le record de France : pas moins de 22 communes et 6 525 habitants pour une superficie totale de 180 kilomètres carrés, soit près de deux fois la taille de Paris intra-muros !
Jean-Pierre Dard, un habitant de Notre-Dame-de-Courson, passé déposer un dossier à la mairie annexe, s’interroge : «Maintenant on a des adresses à rallonge ! On a l’impression de perdre notre commune. On l’a rattachée à Livarot, qui se paie les travaux de son centre-ville avec nos impôts ! Si ça continue comme ça, on va être rattachés à Lisieux ? Et pourquoi pas Paris ? » La remarque est certes exagérée – et en partie fausse, les travaux étaient prévus bien avant la commune nouvelle –, mais comme le confirme la secrétaire de mairie, ce n’est pas le seul à penser ainsi.
Dans la salle de vote, tous les portraits des présidents de la République depuis René Coty sont restés accrochés… Tous, sauf celui d’Emmanuel Macron : comme il n’y a plus, légalement, qu’une seule commune, la préfecture n’a envoyé qu’un portrait, accroché dans la mairie de Livarot, devenue mairie de Livarot-Pays d’Auge. «Quand il y a un mariage, tout le monde nous fait la remarque ! Les gens ne sont pas contents », rapporte la secrétaire, qui travaille désormais à temps partiel avec les autres agents administratifs, à Livarot.
La centralisation des bureaux de vote a aussi mécontenté des élus, notamment des petites communes. La veille, au pot de l’amitié qui a suivi le conseil municipal, les langues se sont déliées ; la décision a été portée par la commission « modernisation » (22 conseillers municipaux). Et, selon Stéphanie Ernoult, maire-déléguée de La Croupte, un petit village de 119 habitants proche de Fervaques, l’un des quatre futurs pôles de Livarot-Pays d’Auge, « on a eu très peu d’infos dessus ». Frédéric Legouverneur, premier adjoint de la commune nouvelle et maire-délégué de Saint-Michel-de-Livet, réplique que « beaucoup de maires-délégués avaient du mal à maintenir un bureau de vote. (…) Quand on est maire-délégué, aller dire à ses habitants : “ J’étais contre ”, c’est se désolidariser du vote démocratique, une fois la décision prise, il faut se ranger derrière ! », ajoute-t-il, arguant du fait qu’« il n’y a pas d’opposition » au conseil municipal. « Il faudrait qu’il y en ait une ! », rétorque Stéphanie Ernoult.
Plus mesuré, mais également déçu, l’adjoint au maire-délégué du petit village du Mesnil-Durand, Arnaud Philippe, trouve qu’il n’y a plus assez de débats sur la situation et les projets de la commune nouvelle et que «tout le monde a oublié la charte, sur laquelle on a pourtant passé des nuits à changer le moindre mot ! En conseil municipal, les adjoints en disent le moins possible, c’est dommage, ils n’ont pourtant rien à cacher ! Dans notre ancien conseil, les réunions duraient au moins trois heures, on débattait beaucoup plus directement », regrette le conseiller qui «croit à la commune nouvelle en tant que structure ; mais on a aussi besoin d’avoir confiance dans les humains », ajoute-t-il en regrettant l’ancien maire de la commune nouvelle, Sébastien Leclerc, élu député en juin 2017, qui « répondait toujours aux questions en conseil municipal ».
Son successeur, Philippe Guillemot, a décidé de supprimer les « questions diverses » en fin de conseil, « car on nous posait trop de questions dont nous n’avions pas la réponse ; il est toujours possible d’en poser, mais par écrit et au moins 48 heures à l’avance », se justifie-t-il.
De plus, le déséquilibre démographique a joué en défaveur de la représentation des ruraux au sein du conseil municipal. La loi prévoyait soit de conserver l’intégralité des 234 conseillers municipaux, impossible à gérer, soit d’adopter une représentation proportionnelle pour 85 conseillers, forcément à l’avantage de Livarot, qui concentre plus du tiers de la population totale avec 2 300 habitants, quand d’autres en comptent moins de cent.
Pourtant, la commune nouvelle a déjà apporté des gains indéniables comme en témoigne son ancien maire (lire ci-dessus). En plus du bonus de DGF (dotation globale de fonctionnement), des économies sur les assurances et les abonnements téléphoniques, la gestion du personnel a été remise à plat. Les services techniques ont été réorganisés avec un petit retard – les élus ont attendu le départ à la retraite de leur ancien directeur, en 2018, pour mutualiser agents et matériel dans deux pôles, l’un à Livarot, l’autre à Fervaques, pour les communes excentrées. Les anciens cantonniers travaillent désormais à deux avec tracteur et camions, pour plus d’efficacité mais aussi de sécurité. « On se casse moins le dos, on travaille plus intelligemment ! », explique Patrick Bernard, pendant qu’il installe le bureau de vote de Fervaques.
Sur un territoire si vaste, les couacs sont inévitables. Mais le problème principal réside dans la communication insuffisante des informations, entre élus ou habitants. L’exemple le plus parlant – et le plus sensible – est celui de la refonte de l’adressage. Comme il fallait harmoniser les noms des rues pour éviter les répétitions, la commune en a profité pour travailler avec La Poste sur un adressage métrique, permettant d’attribuer une adresse précise à chaque maison, même isolée, pour la rendre visible des livreurs, pompiers ou gendarmes. Avec très peu de concertation. Ainsi, Bernadette Hendy, habitante du hameau du Val Miesse, s’est vue attribuer du jour au lendemain l’adresse du «428, Chemin perdu », à son grand dam. « Mon fils a une entreprise de paysagiste, belle publicité ! », s’exaspère-t-elle. Un changement qui paraît arbitraire et inéluctable, alors qu’il n’en est rien en réalité : la DGS, Isabelle Giraud, explique qu’elle attend la fin du réadressage, toujours en cours, pour traiter les cas des mécontents. Mais l’information ne circule pas. Même si le bulletin municipal est distribué dans chaque boîte aux lettres, il n’est pas forcément lu ; et lors de la fusion, il n’y a pas eu de consultation poussée de la population. Philippe Guillemot ne peut que constater qu’au bout de deux ans, il « croise régulièrement des habitants qui ne (le) connaissent pas ! » En dépit de ses efforts, il faudra encore beaucoup de temps – et de communication – pour ancrer la commune nouvelle.
E. G. E.
On travaille ensemble tous les jours, on forme une sorte de duo qui me surprend moi-même. Vous m’auriez dit ça il y a deux ans, je vous aurais répondu : “ Ça ne va pas la tête ? ” » Danielle Valéro, maire-déléguée d’Évry et première adjointe de la commune nouvelle d’Évry-Courcouronnes, née le 1er janvier 2019 du regroupement de la préfecture de l’Essonne et de son satellite, la première historiquement de gauche, la seconde, passée à droite en 2001, ne revient pas encore de ce rapprochement. Même si, il ne s’agit, selon elle, que de «réparer une erreur historique », les deux communes faisant partie, avec Lisses et Bondoufles, de la ville nouvelle d’Évry, créée en 1970, et partageant une gare de RER commune (« Évry-Courcouronnes »). «Nous avons failli fusionner dix fois avec Courcouronnes, Lisses et Bondoufle, mais les maires ne se sont jamais entendus », explique-t-elle.
C’est paradoxalement la diversité politique qui a permis le rapprochement : le départ surprise de Manuel Valls, député, pour Barcelone, en septembre 2018, a été suivi de l’élection de Francis Chouat, maire (PS) d’Évry, à l’Assemblée nationale sous l’étiquette LREM. Les conseillers municipaux l’ont soutenu lors de cette élection parfois contre les candidats de leur propre parti et ont perdu leurs étiquettes. Les partis ont de fait été privés de toute ingérence dans la gestion municipale, facilitant l’aboutissement du projet de création de la commune nouvelle menée par Danielle Valéro, première adjointe d’Évry et maire par intérim fin 2018.
Le projet de regroupement étant déjà bien avancé, c’est finalement Stéphane Beaudet, le maire LR de la plus petite ville (Courcouronnes compte 13 606 habitants, contre 55 420 pour Évry), qui a été élu maire du nouvel ensemble en janvier.
Danielle Valéro se souvient de certains militants socialistes ou écologistes lui disant : «On ne va tout de même pas donner la ville à la droite ? » Pourtant, sur le fond, rapporte l’élue, et «sur certaines politiques, il n’y a pas une feuille de papier à cigarettes entre Stéphane Beaudet et moi ». La réforme des rythmes scolaires, en 2013, avait déjà été menée de concert ; les villes partageaient un contrat local de santé. Le plus important, selon elle, est que «nous soyons tous les deux très attachés à ce territoire. Notre but est de sortir la ville de l’ornière, d’être plus forts dans Grand Paris Sud ». «Le travail de fusion a redonné du “ peps ” à toute l’équipe, c’est comme si on entamait un nouveau mandat ! », s’enthousiasme Danielle Valéro. L’équipe municipale tient à montrer aux habitants les apports de la commune nouvelle : il est désormais possible de faire carte d’identité et passeport dans la mairie annexe de Courcouronnes ; dix nouvelles permanences sociales ont été installées dans les quartiers et divers dispositifs vont être généralisés à la rentrée (offre de fournitures gratuites aux écoliers…).
E. G. E.
Pour les communes nouvelles créées ces trois dernières années, le mandat 2020-2026 devrait être celui de la concrétisation : les équipes municipales pourront être élues sur un projet de territoire clair et consolidé, tandis que les effectifs parfois pléthoriques de certains conseils municipaux devront être revus à la baisse. Dans cette période transitoire, la proposition de loi (PPL) portée par la sénatrice Françoise Gatel, adoptée le 10 juillet à l’Assemblée nationale, et qui sera examinée en deuxième lecture au Sénat le 25 juillet, propose plusieurs adaptations de la loi dans les domaines de la gouvernance des communes nouvelles, de leur fonctionnement et de leur organisation avec l’intercommunalité.
La mesure la plus importante, et cruciale pour la préparation des listes à l’approche des municipales, permettra aux communes de ne pas trop écrémer les conseils municipaux : le texte précise que le nombre de conseillers ne pourra être «inférieur au tiers » de l’effectif initial élu lors des élections précédentes (augmenté d’une unité en cas de nombre pair), avec toutefois un maximum de 69 élus en 2020. Les communes nouvelles auraient le droit d’avoir un nombre de conseillers correspondant à celui de la strate démographique supérieure. Lors d’une audition, le 25 juin, à l’Assemblée nationale, le ministre chargé des Collectivités territoriales s’est dit «tout à fait ouvert » à certains aménagements, en particulier sur la question du nombre de conseillers municipaux, prônant un «amortissement du choc provoqué par les effets de seuil », par exemple à travers un «mandat tampon de six années » parce que «tout ne peut pas se faire en une seule fois ». Mais Sébastien Lecornu a insisté sur le caractère « temporaire » d’une telle mesure, excluant des dérogations pérennes car à terme, «une commune nouvelle est une commune comme les autres, dans sa strate ».
La proposition de loi comporte aussi une mesure permettant à une commune nouvelle englobant la totalité d’un EPCI à fiscalité propre d’exercer à la fois les compétences de la commune et celles de l’intercommunalité, sans être obligée d’adhérer à un EPCI à fiscalité propre de plus grande taille, créant ainsi un nouveau type de collectivité, la « commune-communauté ». Sébastien Lecornu s’est dit « ouvert », estimant que « cela peut fonctionner à condition de définir un cadre précis ». Mais ce dispositif ne sera pas rétroactif et, au vu de la refonte de la carte intercommunale et du gigantisme de certains EPCI, il pourrait ne concerner que quinze à vingt d’entre eux, selon l’AMF.
Le mandat prochain pourrait être aussi celui d’une nouvelle vague de créations de communes nouvelles. L’État va-t-il encourager la poursuite de ce processus, par la carotte financière… ou le bâton ? Certains élus en sont persuadés : « Le gouvernement va continuer à mettre la pression via les préfets », prédit Philippe Guillemot, maire de Livarot-Pays-d’Auge (14). Le ministre chargé des Collectivités territoriales, Sébastien Lecornu, s’en est défendu, le 25 juin, assurant que le mouvement doit se poursuivre dans la plus grande « liberté » possible. « Là où cela a fonctionné, c’est parce que les élus se sont mis d’accord entre eux sans intervention du préfet », a-t-il déclaré. « L’État doit éviter la tentation de la contrainte. Ce qui fait l’intérêt de la commune nouvelle, c’est que c’est un processus libre », insiste Vincent Aubelle, professeur associé à l’université de Marne-la-Vallée.
E. G. E.