Un service public ferroviaire trop souvent à deux vitesses
Le forum « Rétablir un service public ferroviaire pour tous », organisé le 20 novembre, a pu donner une drôle d'impression entre une première partie plutôt positive, avec une certaine connivence entre les trois grands acteurs (SNCF, Etat et régions), et une seconde montrant des élus confrontés souvent à des situations inextricables et sans réelle solution.
« Il faut associer les communes et les intercommunalités, qui connaissent bien leurs territoires, pour réussir le service public ferroviaire ». Frédéric Cuillerier, maire de Saint-Ay (45) et co-président de la commission transports de l’AMF, pointe le contre-exemple de la loi «Serm » (services express régionaux métropolitains) du 27 décembre 2023, qui se cantonne à «la consultation » des élus. L’autre coprésident de la commission transports de l’AMF, Sylvain Laval, maire de Saint-Martin-le-Vinoux (38), insiste pour sa part sur un «mode de transport indispensable, qui permet d’emporter le plus de monde et cela, de façon décarbonée ». Et de plaider pour ne «pas opposer les zones urbaines aux zones péri-urbaines et rurales ».
L’impact de l’ouverture à la concurrence
Tous deux coprésidaient le forum du congrès des maires qui traitait de la dégradation constante de la qualité et des infrastructures ferroviaires, avec le sentiment d’une France à deux vitesses laissant de côté une grande partie du territoire.
Jean-Pierre Farandou, le PDG de la SNCF, s’est voulu rassurant : «entreprise publique ayant près d’un siècle d’histoire, la SNCF a une vocation d’aménagement du territoire même si aucun texte ne le précise. C’est dans notre ADN ». Mais sur l’ouverture à la concurrence, le patron de la SNCF concède qu’elle l’éloigne de ces préoccupations «sachant qu’un concurrent privé vient juste pour gagner de l’argent ».
Jean-Pierre Farandou reconnaît que «la loi de 2018 a simplifié mais aussi complexifié l’organisation de la SNCF en créant cinq sociétés anonymes publiques». Admettant une certaine opacité pour les élus locaux, il indique avoir créé «un coordinateur régional dans chaque région avec, à ses côtés, un adjoint à la disposition des élus locaux pour leur répondre et les conduire vers le bon guichet ».
De quoi laisser dubitatifs de nombreux élus se disant souvent ballottés d’un interlocuteur à l’autre. La complexité vient aussi d’un paysage éclaté d’autorités organisatrices entre la SNCF (TGV), les régions (TER) et l’Etat (certaines lignes comme les trains d’équilibre du territoire - TET).
« Triptyque SNCF/régions/bloc local »
« Il faut stopper l’hyper-métropolisation et permettre de vivre dans les territoires ruraux », affirme Carole Delga, présidente de Régions de France. Soulignant «l’attachement des régions à l’aménagement du territoire », elle évoque «un partenariat local indispensable » qui s’appuie sur «le triptyque SNCF/régions/bloc local ». «C’est le maire et le président d’EPCI qui connaissent les habitudes d’un bassin de vie », estime la présidente de la région Occitanie.
Pour réussir à investir massivement dans la rénovation des infrastructures ferroviaires, elle juge «dépassées les modalités de financement » et prône une remise à plat complète en citant les concessions autoroutières, les certificats énergie, les péages, sans oublier une réforme du versement mobilité.
Affirmant que le plan de 100 Md€ pour rénover le ferroviaire, annoncé début 2023, reste à l’ordre du jour, le ministre délégué aux Transports, François Durovray, reconnaît «que plus on attend pour investir, plus cela coûtera cher ». Il a annoncé la tenue, à partir de février 2025, d’une «conférence nationale sur les mobilités pour identifier des pistes de recettes pérennes », en évoquant la possibilité d’une loi d'orientation ou de la transformation de l’AFITF (Agence de financement des infrastructures de transport).
« Il y a urgence, martèle Sylvain Laval. Nous en sommes là à cause d’un sous-investissement chronique sur le réseau ferroviaire durant des décennies ». Pragmatique, il appelle à «un effort partagé sans opposer l’Etat et les collectivités. Chacun doit prendre sa part de responsabilité ».
Par ailleurs, François Durovray affirme que «le réseau ne peut pas couvrir tout le territoire » en avançant l’alternative, dans certains cas, «de nouvelles solutions techniques adaptées aux petites lignes ou de choix routiers de massification comme les cars express ».
« Des interlocuteurs qui se renvoient la balle »
Les témoignages de maires ont tous décrit des rapports très compliqués avec les acteurs du ferroviaire. Jean-Louis Millet, maire de Saint-Claude (39), raconte son combat permanent pour sauver la ligne des Hirondelles (TER de 120 km entre Dijon et Saint-Claude) construite en 1867. «Elle nécessite des rénovations importantes mais le dossier n'avance pas », regrette-t-il en pointant la responsabilité de la région même s’il reconnaît «un désengagement de l'État depuis longtemps ».
« Il faut que l’Etat, la SNCF et la région participent aux 100 M€ de travaux », argumente le maire de Saint-Claude qui défend sa ligne pour les étudiants mais aussi pour sa valeur patrimoniale et touristique. Admettant qu’elle ne peut pas faire le plein à chaque voyage, il dénonce «une approche purement comptable, car dans ce cas on fermerait toutes nos piscines et nos salles de sport ».
Contexte différent à Vierzon (18) avec les travaux importants menés depuis 2016 sur la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT), mais même sentiment d’impuissance. «Depuis des années, les différents interlocuteurs se renvoient la balle et nous n’avons pas de réponse, déplore Corinne Ollivier, maire de Vierzon. La situation occasionne beaucoup de gêne pour les voyageurs, en particulier ceux qui vont travailler à Paris ». Face aux nombreux trains annulés ou en retard pour des problèmes techniques, l'association «Urgence Ligne POLT », dont Vierzon est adhérente, a déjà organisé plusieurs manifestations.
Damien Barré, maire de Saint-Benoît-du-Sault (36), dénonce lui aussi l’absence de dialogue sur ce dossier et les tensions fortes avec la SNCF et l’Etat. «Il existe un vrai mépris des élus », lance-t-il, en regrettant que «la discussion ne soit possible qu’après des coups de force médiatiques, en stoppant des trains».
« Une évolution comparable à celle de La Poste »
Sans en arriver jusque-là, David Marti, maire du Creusot (71), se bat lui aussi pour la réduction du nombre d’arrêts de TGV en gare du Creusot-Montceau-les-Mines «pourtant essentiels aux entreprises impliquées dans la réindustrialisation de notre territoire ». Explication ? «La rentabilité et l’ouverture à la concurrence », regrette-t-il. «Avec des interlocuteurs SNCF, Etat et région pas toujours sur la même ligne ». Cela ne l’empêche pas d’aller frapper à toutes les portes, également pour demander plus de rames TER afin de garder sa population étudiante.
Dans ce contexte, Frédéric Cuillerier s'inquiète d’une évolution de la SNCF comparable à celle de La Poste «en ouvrant certaines lignes à la concurrence et en privant la SNCF de recettes, avec pour résultat de se retourner vers les collectivités ». «Plus que jamais, elles doivent être étroitement associées pour ne pas oublier les territoires peu denses », insiste-t-il.
Parmi les dernières grandes lignes non électrifiées, la ligne 4 reliant Paris à Troyes a trouvé son salut grâce à la participation des collectivités. Raphaëlle Lanthiez, présidente de la communauté de communes du Nogentais (10), évoque «une solidarité locale ayant permis de trouver une issue à une bataille de plus de 25 ans ». Résultat : une électrification réalisée à l’été 2022 jusqu’à Nogent-sur-Seine (la seconde partie, jusqu’à Troyes, le sera en 2028) grâce à un conventionnement entre l’Etat, la SNCF et les collectivités (régions Grand Est et Ile-de-France, département de l’Aube, EPCI et communes).
Revoir la vidéo du forum " Rétablir un service public ferroviaire pour tous " :
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