Inquiétudes chez les maires
Crise énergétique, décentralisation en trompe-l'oeil, abstention électorale grandissante, violences à l'égard des élus. La quatrième enquête de l'Observatoire de la démocratie de proximité AMF-Cevipof / SciencesPo révèle un contexte contrecarrant le « pouvoir d'agir » des maires.
À très court terme, pour tenter d’amortir le choc, 90 % des maires répondant à l’enquête envisageaient de réduire l’intensité ou l’amplitude horaire des éclairages publics, 86 % imaginaient baisser le chauffage dans les équipements sportifs, et 81 % dans les bâtiments municipaux. En revanche, pas question, pour le moment, de fermer les équipements sportifs ou de restreindre les horaires d’accès à ces installations.
En dehors de ces mesures d’urgence, à l’automne, les édiles envisageaient plutôt de réduire les dépenses sur d’autres postes : 54 % sur les achats de fournitures et prestations extérieures, 40 % sur le recrutement de personnel (soient en renonçant à recruter, soit en reportant). 33% pensaient couper dans les dépenses consacrées à la voirie. Un choix de très mauvais augure pour le secteur des travaux publics qui dépend à 70 % de l’investissement des collectivités. Plus inquiétant encore, au regard de la transition énergétique indispensable : 46 % des maires étaient prêts à renoncer aux projets de transition énergétique. Seuls 38 % se déclaraient prêts à les maintenir, quand 16 % n’avaient pas de tels projets.
Pas assez de liberté de faire
La seconde grande inquiétude des maires en cette fin 2022 porte sur la gouvernance territoriale et le décentralisation inachevée. La crise du covid-19 est venue réhabiliter le rôle des communes dans la gestion publique des affaires. Si le premier quinquennat d’Emmanuel Macron n’a pas été des plus décentralisateurs, le président de la République semble avoir tiré les leçons de la crise sanitaire en souhaitant davantage «faire avec » les collectivités. Il a même annoncé un nouveau chapitre de décentralisation le 10 octobre, à Château-Gontier-sur-Mayenne.
C’est ce que réclament à cor et à cri les élus locaux : 45,4 % des maires répondants veulent davantage de libertés locales ou de compétences ; 27,9 % veulent aller un peu plus loin dans la décentralisation. Ils considèrent même que l’État devrait complètement renoncer aux compétences qu’il a décentralisées (56,5 %). 78 % estiment que les décisions politiques locales doivent être différentes au niveau de chaque territoire au nom de l’efficacité. «Ici, ce n’est pas tant une opposition entre Girondins et Jacobins mais plutôt l’affirmation d’un principe d’attribution de responsabilité dans les choix municipaux » , commente Martial Foucault, professeur des universités à Sciences Po et directeur du Cevipof, qui a analysé les résultats de l’étude. Autrement dit : les maires veulent le pouvoir de faire ! Et à l’instar de la population, les édiles considèrent eux aussi qu’il y a trop de doublons entre les services de l’État et ceux des collectivités locales (60,1 %). Un rapport d’information du Sénat, paru en septembre, avait déjà révélé que les trois quarts des élus locaux estimaient que le service public de l’État s’était dégradé sur leur territoire, appuyés en ce sens par 44 % des préfets et des sous-préfets interrogés qui avaient la même opinion. «De tels constats confirment en creux les difficultés d’un pays construit historiquement autour d’un État fort et centralisateur, et pour qui les collectivités territoriales ont longtemps été perçues comme des sources de dépenses publiques et moins comme des interlocuteurs avec lesquels l’État pourrait contractualiser à propos des politiques publiques locales » , interprète Martial Foucault.
Culture de la contestation
Les autres inquiétudes des maires portent sur l’état démocratique du pays et le respect dû aux élus. Les élections municipales de 2020 comme les législatives de 2022 ne leur ont pas redonné le moral. Au contraire, ces rendez-vous ont démontré que la désaffection de la population pour la vie citoyenne se poursuit. En 2020, les maires (46 %) pensaient qu’il s’agissait déjà d’un phénomène profond de désintérêt politique. En 2022, cette inquiétude grandit puisqu’ils sont dorénavant 83 % à le dire. Or, relève Martial Foucault, «la dégradation du lien civique affaiblit la légitimité politique des acteurs politiques, y compris celles des élus locaux » , ce qui ne va pas aller sans poser problème à un moment donné… Autre facteur de crainte : les édiles (50,9 %) constatent sur le terrain un durcissement des opinions politiques depuis l’élection présidentielle 2022, en partie parce qu’elle a confirmé la polarisation de la vie politique française entre trois forces, dont deux aux extrêmes gauche et droite. Les élus (69 %) n’ont pas été surpris du résultat. Mais beaucoup plus inquiétant : un maire répondant sur quatre estime que les conditions d’un débat serein ne sont plus réunies… «Ce résultat signifie que la France s’engage lentement mais certainement dans une culture politique de la contestation », estime Martial Foucault.
Parmi les raisons avancées à cet état civique du pays : les fractures territoriales pour 55 % des répondants, les inégalités économiques et sociales (53 %) et le rejet de certains élus politiques (44 %). À noter que les sujets régaliens sur l’insécurité et l’immigration n’apparaissent qu’en quatrième et cinquième position dans la liste des explications avancées par les maires…
De plus en plus de menaces
Les maires restent «à portée de baffes » . Malheureusement, de plus en plus au sens propre du terme. Les maires sont de plus en plus menacés, insultés et injuriés. En 2020, ils étaient déjà 53 % des répondants à déclarer avoir été victimes d’actes d’incivilités (impolitesse, agressivité…). Deux ans plus tard, c’est dix points plus avec 63 % des répondants ! La même tendance se confirme pour les insultes et les injures (37 %, soit 8 points de plus par rapport à 2020). Les menaces verbales et écrites progressent elles aussi de façon très importante (+ 11 % et concernent 39 % des répondants). L’entourage familial immédiat est dorénavant menacé (12 %). Cette violence physique s’ajoute à la violence symbolique, tout aussi répréhensible, sur les réseaux sociaux : 37,3 % des répondants la subissent, alors qu’ils déclarent utiliser les réseaux sociaux à titre individuel assez modérément (62 % sont sur Facebook, 23 % sur LinkedIn et 12 % sur Twitter). Ils sont finalement beaucoup à renoncer à signaler toute forme de violence subie (y compris physique) en raisons conséquences attendues ou représailles. Si les maires baissent les bras devant la violence, c’est peut-être finalement ce qui devrait le plus inquiéter les responsables politiques et les citoyens…
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