En Dordogne, les élus recomposent l'action sociale intercommunale
La communauté d'agglomération bergeracoise (CAB) souhaite harmoniser ses prestations, garantir l'égalité entre les usagers et préserver le service de proximité.
Dans les locaux du CCAS de Bergerac, les élus du CIAS Au Cœur des trois cantons ont l’habitude de se réunir avec ceux de Bergerac. «On alterne les lieux pour ne pas faire de jaloux », glisse en souriant Gilbert Blanc, l’hôte du jour, vice-président du CCAS de Bergerac. Tout ce qui permet de renforcer la «cohésion » est favorisé. Car il s’agit bien de coproduire pour ces élus qui doivent faire face à un paysage social complexe. À la communauté d’agglomération bergeracoise, on explique qu’il a fallu intégrer beaucoup d’autres – et d’importantes – compétences comme la Gemapi et, aujourd’hui, celle de l’eau et l’assainissement, avant d’envisager celle du social. D’autant que la CAB exerce déjà une forme d’action sociale à travers la gestion des crèches et des centres de loisirs. Soucieux d’éviter un traitement inégalitaire entre les habitants de l’agglomération et d’adapter l’offre aux besoins sociaux, les élus ont lancé, au printemps 2018, une démarche de réflexion sur la prise de compétence sociale. Une idée suggérée par l’Union des CCAS de Dordogne. La CAB s’est pour cela attachée les services du pôle Territoires conseils, de la Caisse des dépôts, pour être accompagnée tout au long de sa démarche conduite par les élus directement.
Des élus réticents
Les élus du CIAS Au Cœur des trois cantons, porté par le syndicat mixte à vocation sociale (SIAS), n’ont d’emblée pas franchement apprécié ce qu’ils ont perçu comme une injonction. « On croyait qu’on allait nous obliger à fusionner le CIAS et le CCAS de Bergerac », se souvient sa présidente, Marie-Christine Tourenne, ancienne présidente du CIAS de Sigoulès et conseillère municipale de Gardonne. « On n’avait pas forcément envie de partir sur des réunions pour des réunions », ajoute Claude Choplin, vice-président du CIAS, élu de La Force. Il a fallu aussi convaincre les maires, inquiets d’avoir à remettre la main au porte-monnaie. «Car à la création du SIAS, il a fallu harmoniser la subvention que chacun versait à son CIAS. Or, il y avait de fortes disparités entre celui de Sigoulès, où la participation était de 2,75 e par habitant, et celui de La Force où elle atteignait 13,60 e ! », explique la présidente. Des écarts dus à des dysfonctionnements que la fusion a permis de régler, explique-t-on sans vouloir entrer dans les détails de ce qui a été visiblement douloureux. La hausse a, bien sûr, été progressive. La subvention demandée est passée à 8 e et elle atteint aujourd’hui 10,05 e par habitant.
Passées ces réticences, la démarche a été engagée et comprend plusieurs étapes. La première est essentielle : il s’agit pour les élus de faire le diagnostic social de leur territoire. Quatre réunions ont été organisées sur les quatre cantons. Avec une participation plutôt faible et inégale des élus communaux. L’implication s’est améliorée par la suite, «quand les élus ont compris qu’on ne leur demandait pas forcément d’argent », ironise Gilbert Blanc, vice-président du CCAS de Bergerac.
Les élus arrivent aujourd’hui au terme de cette démarche. Le groupe de pilotage, qui réunit les vice-présidents du CIAS et du CCAS de Bergerac, a fait un premier point devant le bureau communautaire fin avril. La «restitution » générale s’est déroulée le 16 mai. Il s’agissait de livrer à l’ensemble des partenaires associés à cette démarche (élus, acteurs sociaux, institutionnels, habitants) les orientations retenues pour la mise en œuvre d’une politique sociale intercommunale sur la communauté d’agglomération de Bergerac. Les élus ont confirmé la nécessité « d’organiser et de déployer l’action sociale ». Cela passe par la nécessité de « structurer et développer la coopération entre le CCAS de Bergerac et le CIAS Au Cœur des trois cantons ». Reste à définir sous quelle forme : mettre en place un conseil communautaire de la solidarité ? Signer une convention de partenariat entre CCAS et CIAS ? « Peu importe la structure, pourvu qu’on ait la volonté politique », insiste Marie-Christine Tourenne.
Sur ces territoires finalement assez petits et ruraux, chacun faisait dans son coin, sans savoir ce que faisait l’autre. L’année de réflexion, les rencontres avec les partenaires, les réunions du comité de pilotage «nous ont permis de savoir ce qui existait. Cela nous a ouvert des portes, nous a porté à échanger sur nos pratiques, on a vu un partenariat naître entre le CCAS et le CIAS, explique Gilbert Blanc. Les collègues savent que le CCAS de Bergerac est là, en appui si besoin. » Car ce dernier a une forte ossature, des travailleurs sociaux, dispose des contacts et d’une visibilité que n’a pas encore le CIAS Au Cœur des trois cantons.
« On a mis deux ans à faire connaître notre service d’aide à domicile avec des assistances sociales », confirme Martine Borderie, vice-présidente, élue à Prigonrieux. Cette coopération rend « plus réactif ce qui, concernant des situations de personnes en difficulté, est inestimable », souligne l’élue. Elle note aussi que «les gens ne viennent pas frapper au CIAS quand ils osent aller au CCAS. Car ils se dirigent en priorité vers les assistantes sociales dans les cantons. Les maires eux-mêmes ont encore ce réflexe de les orienter vers elles ».
Maintenir la proximité
« On travaille en confiance, mais un jour ou l’autre, il faudra un CIAS », glisse Gilbert Blanc. Il y a urgence sociale. Le diagnostic «démontre que la précarité est plus forte ici qu’à Périgueux, mais il y a moins d’infrastructures pour y répondre. Par exemple, il y a plus de places d’hébergement d’urgence à Périgueux qu’ici », pointe la présidente du CIAS. Le CCAS de Bergerac constate aussi la précarisation d’un nombre grandissant de personnes. Les autres faiblesses du territoire portent sur la fracture numérique et sur les questions d’isolement et de mobilité. Les élus savent enfin qu’« il faut veiller aux questions de proximité ». Lors de la création du CIAS Au Cœur des trois cantons, le déplacement du siège à La Force, au cœur du territoire, a été mal vécu par certains. La suppression d’une antenne sur La Creysse a donné l’impression aux habitants qu’ils perdaient un service. D’autant que l’agent en poste intervenait «au-delà de ses missions »… Le centre de gestion avait conseillé aux élus de supprimer l’autre antenne de Sigoulès, pour des raisons de coût, «mais nous avons choisi de la garder pour maintenir une proximité auprès des bénéficiaires et pour les agents ». Cette proximité, c’est le cœur de notre action, affirme Marie-Christine Tourenne, impatiente que l’ensemble des maires s’emparent de ces questions.
Lors de la création du CIAS Au Cœur des trois cantons, en 2017, il a fallu harmoniser les pratiques des trois CIAS préexistants, surtout entre les services d’aide à domicile existants. «Les gens et les agents y ont gagné. Nous avons sectorisé les interventions, créé un CHSCT, mais ces changements ont été mal vécus par des agents qui ont été bousculés dans leurs pratiques, qui ont eu l’impression de perdre de l’autonomie ». Une période «difficile », se souvient la présidente du CIAS Marie-Christine Tourenne. L’aide à domicile est une compétence que le CCAS de Bergerac n’assure pas. Ce sont des associations qui couvrent ce secteur. Autre différence, le CIAS Au Cœur des trois cantons ne gère pas d’établissement. Le CCAS gère, lui, une maison d’accueil temporaire, 3 résidences autonomie, une épicerie sociale, et assure l’accompagnement social et l’aide sociale aux indigents.
Cet article a été publié dans l'édition :
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