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Maires de France
Solutions locales
juin 2019
Social

Chalon-sur-Saône lutte contre les violences intrafamiliales

La commune (45 450 hab., Saône-et-Loire) a structuré, depuis 2016, le réseau VIF pour apporter une aide concrète et immédiate aux victimes.

Thierry GUERRAZ
Illustration
© Thierry Guerraz
Sandra Barjon et Stéphanie Rousseau,  respectivement responsable et coordinatrice du réseau VIF, dans un des deux logements sécurisés pour une mise à l'abri immédiate de la victime.
Les chiffres font froid dans le dos. Chaque année, plus de 100 femmes meurent sous les coups de leur compagnon ou ex-compagnon. Une litanie macabre de noms et de vies volées. Les violences conjugales, qu’elles soient d’ordre physique ou psychologique, sont un fléau sociétal qu’il semble bien difficile d’endiguer. Face à des statistiques qui ne cessaient de démontrer l’ampleur du phénomène dans sa ville, Gilles Platret, maire de ­Chalon-sur-Saône (71), et son équipe municipale décident de prendre le problème à bras-le-corps à l’issue de leur élection en 2014 : « Nous avons fait de la lutte contre les violences conjugales une de nos priorités », assure l’élu. 

Objectif : briser l’omerta

C’est dans le cadre du conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) que la commune a lancé, en novembre 2016, son réseau « Violences intrafamiliales » (VIF). Un modèle du genre (1) qui a valeur d’exemple national : « Il nous a fallu deux années préparatoires pour finaliser le dispositif en collaboration avec plus d’une trentaine de partenaires institutionnels ou associatifs (police nationale et municipale, gendarmerie, TGI, hôpitaux, travailleurs sociaux, Caf, planning familial, protection judiciaire de la jeunesse…) », précise Gilles ­Platret. Chaque partenaire a un ou plusieurs référents VIF identifiés. Ainsi structuré, le réseau, copiloté par le maire et le procureur de la République, diagnostique, sensibilise et coordonne l’ensemble des interventions des professionnels concernés : « Ce maillage et cet échange d’informations assurent une bien meilleure prise en charge des victimes. Elles n’ont plus à répéter la même histoire à plusieurs interlocuteurs », se félicite Gilles Platret.

225 000 femmes sont victimes chaque année de violences physiques et/ou sexuelles au sein du couple, selon le ministère de l’Intérieur.

La mairie a construit peu à peu un véritable service public autour de cette question auquel elle consacre 100 000 euros par an. À Sandra Barjon, responsable du CLSPD et du réseau VIF, véritable cheville ouvrière à l’occasion des premiers mois du dispositif, se joint, en avril 2017, une coordinatrice, Stéphanie Rousseau. L’équipe se renforce et le réseau prend son rythme de croisière. Car l’intense campagne de communication réalisée par la mairie pour faire connaître le réseau porte ses fruits. Dépliants, cartes, badges et affiches fleurissent dans la ville. L’accroche est volontairement incitative : « Chaque jour, le silence tue ! Parlez-nous. » Elle attire le regard et l’attention. Objectif : briser l’omerta chez des victimes souvent emmurées dans la peur et la culpabilité. Un numéro gratuit, le 0 800 800 071, leur est proposé. Porte d’entrée du réseau VIF, ce numéro vert est accessible 24h/24 et 7 jours sur 7 : « Nous avons bâti un système d’astreintes qui implique du personnel communal et des travailleurs sociaux. Tous ont été formés au travail d’écoute et d’orientation », explique Hervé Dumaine, adjoint en charge de la sécurité publique et du réseau VIF au sein de la municipalité.
Stéphanie Rousseau ne se sépare jamais de son téléphone. C’est elle qui, dans la semaine, reçoit les appels de détresse, entre 1 et 8 par jour en moyenne. Dans son bureau, lors de ses permanences, elle s’entretient très vite avec celles qui lui ont téléphoné ou avec d’autres personnes qui lui ont été adressées par une structure VIF. Après une évaluation de la situation, elle les oriente en s’appuyant sur le réseau pour un accompagnement social, médical, psychologique ou juridique.    
La coordinatrice du réseau assure par ailleurs cinq demi-journées par semaine au sein du commissariat de Chalon-sur-Saône en tant qu’intervenante sociale. Un poste essentiel dans le dispositif VIF : «Dès l’enregistrement d’une plainte au commissariat, je suis à côté de la victime pour l’écouter puis l’orienter le cas échéant vers un ou plusieurs référents VIF », explique Stéphanie Rousseau. Tous les référents bénéficient d’ailleurs de sessions de formation dispensées par le docteur Petit, chef de service des urgences de l’hôpital de Chalon-sur-Saône. Ils se forgent ainsi une culture commune qui nourrit leurs pratiques et les affine (connaissances des violences, des conséquences sur les enfants et sur la santé des victimes…).
Pour les situations les plus urgentes, la commune a rénové et sécurisé deux logements de son parc immobilier pour des mises à l’abri immédiates. Le principe ? Faire en sorte que la victime s’autonomise rapidement et qu’elle arrive à se projeter dans une nouvelle vie. La victime peut bénéficier d’un hébergement pendant 15 jours, renouvelable une fois. S’il y a plusieurs demandes concomitantes, la responsable du VIF se tourne vers l’association l’Écluse, un centre d’hébergement membre du VIF, ou vers le 115.

Pas de profil type

Quatre communes de la première couronne chalonnaise situées en zone police ont rallié le dispositif : «Pourquoi ne pas envisager un troisième logement dédié sur une de ces communes sachant qu’un quart des situations prises en charge par le VIF sont situées dans le Grand ­Chalon ? », envisage Hervé Dumaine.
Après deux ans et demi de fonctionnement, 352 personnes (95 % de femmes, 5 % d’hommes), dont la majorité avec des enfants, ont été prises en charge par le réseau VIF : «Il n’y a pas de profil type, assure Sandra Barjon. Tous les âges, tous les rangs sociaux sont concernés. » Par ailleurs, la crainte de porter plainte n’est plus aussi prégnante comme l’explique Gilles Platret : «Avant l’existence du VIF, seules 25 % des victimes portaient plainte. Aujourd’hui, c’est près de 80 % ». 
Les moyens déployés par la commune se concrétisent donc par des résultats probants. Et par des témoignages émouvants comme celui recueilli par téléphone auprès de cette femme qui souhaite conserver l’anonymat : «J’étais perdue avec mes trois garçons. Je me disais tout cela va mal finir… J’ai appris l’existence du réseau et j’ai franchi le pas. On m’a trouvé un logement et accompagnée rapidement dans toutes mes démarches. Je tenais à dire un grand merci aux personnes qui m’ont aidé ! » Loin du quotidien des insultes, des manipulations ou des coups, des victimes sortent de l’enfer… 


(1) www.chalon.fr/fileadmin/PDF/DEPLIANT_VIF_2018_WEB_DEF.pdf

À savoir
En 2018, une femme a été tuée par son compagnon ou ex-compagnon tous les trois jours. En 2017, on a dénombré 109 victimes. Les principaux motifs sont une dispute ou une séparation. À peine 10 % des victimes au sein du couple déposent plainte, ce qui signifie que 90 % des auteurs restent impunis, selon l’État. 

Ressources
• Loi n°2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles dont la lutte contre le cyber-harcèlement sur les réseaux sociaux. 
• Le site https://stop-violences-femmes.gouv.fr/ sur lequel on trouve la lettre de l’Observatoire national des violences faites aux femmes. 
• Fédération nationale des centres d’information sur les droits des femmes et des familles : www.infofemmes.com/v2/accueil.html 
• Fédération nationale solidarité femmes : www.solida ritefemmes.org/


Avis d’expert
Muriel Domenach,
secrétaire générale du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation
« C’est l’implication des acteurs locaux qui fait la différence »
Les collectivités locales se mobilisent-elles suffisamment dans la lutte contre les violences conjugales ?
C’est une priorité pour nos élus locaux qui sont les capteurs de notre société. Ce sera donc une priorité de notre prochaine stratégie nationale de prévention de la délinquance, annoncée par le Premier ministre. Le rôle de l’État est d’initier des partenariats locaux, soutenus par le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), pour prévenir les violences, accueillir les victimes et suivre les auteurs afin d’éviter la récidive. Mais c’est l’implication des acteurs locaux qui fait la différence. 
Le financement des intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie (ISCG) reste encore incertain. Comment voyez-vous leur avenir ?
C’est un dispositif concret d’accueil et d’orientation des victimes qui fait consensus entre les différents acteurs. L’État soutient donc pleinement le développement des ISCG.  Aujourd’hui, nous avons 261 ISCG sur le territoire financés en majorité par le FIPD mais qui ont besoin d’un soutien dans la durée des collectivités locales. Les enjeux et attentes de notre société sont tels qu’il faut trouver ensemble le moyen de pérenniser le dispositif dans l’intérêt général. C’est le sens de la concertation que nous avons engagée avec l’Association nationale des ISCG et les associations d’élus.
 


Un plan d’ampleur
Dans le cadre du 5e Plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes (2017-2019), le gouvernement a lancé, en 2018, un plan de lutte contre les violences conjugales. Il comporte : 
• la création d’une plateforme de signalement en ligne des violences sexuelles pour faciliter le dépôt des plaintes (www.service-public.fr) ; 
• un numéro d’écoute nationale 39 19 destiné aux victimes de violences, à leur entourage et aux professionnels concernés, avec la création de trois postes d’écoutantes. Objectif : aucun appel ne doit être laissé sans réponse ;
• les premiers contrats locaux contre les violences : dispositif de partage d’alertes entre professionnels de la justice, de la police, de la santé et les travailleurs sociaux, autour des préfets et en partenariat avec les deux grandes associations de défense des femmes : le CNIDFF et la FNSF pour intervenir «avant qu’il ne soit trop tard ».

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