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Maires de France


Dossiers et enquêtes
01/01/1970 - Novembre 2020 n°384
Culture

Les élus se démènent pour maintenir une vie culturelle

En pleine crise sanitaire, les communes accentuent  leurs efforts pour soutenir la vie culturelle, entre soutiens aux acteurs locaux, réorganisation des manifestations et adaptation du fonctionnement des équipements au regard des contraintes sanitaires. Une démarche qui implique réactivité et imagination. par Estelle CHEVASSU et Sarah FINGER

À Guingamp (22), la programmation intitulée « Musiques à l'été » a été maintenue avec une jauge réduite de spectateurs.
À Guingamp (22), la programmation intitulée « Musiques à l'été » a été maintenue avec une jauge réduite de spectateurs.
Avant que l’État décide de réinstaurer un confinement jusqu’au 1er décembre au moins, les élus avaient dû gérer une délicate remise en route de leurs structures à la sortie du confinement, en tenant compte de multiples contraintes. 
Le secteur culturel est à nouveau éprouvé depuis les nouvelles mesures décidées par le gouvernement afin d’endiguer la deuxième vague de covid-19. « Maintenir une riche offre culturelle en temps de covid, ce n’est pas la voie de la facilité, c’est un challenge », constate Frédérique Charpenel, maire de Soustons (7 800 hab., Landes). « Cela nécessite de se re-questionner et demande une volonté affirmée et partagée. » L’élue parle en connaissance de cause : l’inauguration de la médiathèque de Soustons était initialement prévue à l’heure même où la crise sanitaire s’est déclarée. Reportée au 12 septembre, l’ouverture de cette structure (800 m2) s’est faite dans un contexte forcément très particulier. « J’ai choisi de faire accompagner mes équipes par un consultant en hygiène et sécurité », souligne-t-elle. Le respect des mesures sanitaires et notamment des jauges limitées n’ont toutefois pas impacté l’offre des animations proposées au sein de cette médiathèque : « La fréquentation s’annonce telle que nous la souhaitions : dès la première semaine d’ouverture, nous avons eu 200 abonnés supplémentaires », se réjouit ­Frédérique Charpenel. 
Ainsi, malgré la pandémie, « la vie ne s’arrête pas », tient à rappeler Jean-Luc Savy, maire de Juvignac (10 600 hab., Hérault). Lui-même acteur et auteur de pièces de théâtre, il s’est employé à « maintenir le lien culturel sous forme numérique » durant le confinement. « L’école de musique a, par exemple, organisé des concerts, chaque musicien jouant chez lui. » Désormais, Jean-Luc Savy s’adapte aux nouvelles contraintes, lesquelles requièrent, selon lui, davantage d’organisation que de moyens supplémentaires : « Notre médiathèque, fermée pendant l’été, a été rouverte depuis la rentrée après avoir été en partie reconfigurée. Le stationnement prolongé est autorisé dans certaines zones et un parcours de déambulation, avec un sens de circulation, a été organisé autour des rayonnages. La zone centrale offre moins de possibilité de densité que par le passé. » Au sein de la médiathèque, les animations et activités sont choisies « sur mesure » en fonction des jauges, puis validées par le préfet. « Dans un tel cadre, nous allons plutôt privilégier des expositions puis, si possible, revenir à des rencontres, prévoit l’élu. Mais nous maintenons la contrainte des inscriptions, avec un listing tenu à jour afin de pouvoir tracer l’identité des participants si jamais l’un d’eux était positif au virus. »
Pour les plus petites communes, le respect des mesures sanitaires vire parfois au casse-tête. Ainsi à Saint-Just (3 300 hab., Hérault), le maire, Hervé Dieulefès, explique qu’il doit jongler depuis plusieurs mois : « Notre bibliothèque jouxte l’école. Des animations pour les enfants y sont proposées dans la journée tandis que cette structure est fréquentée en fin de journée par les adultes. Sa réouverture a nécessité une vraie réorganisation du travail des agents chargés du nettoyage, d’autant qu’ils s’occupent aussi du gymnase et de l’école… Tout désinfecter systématiquement prend beaucoup plus de temps. » 

Des spectacles reportés, et non annulés 

Les risques sanitaires peuvent menacer une organisation fragile : « Dans les villages, on vit au jour le jour, résume Hervé Dieulefès. On a le plan A, mais pas forcément le plan B. Si, par exemple, notre bibliothécaire tombe malade, je n’ai pas de plan B ! » Pour autant, les élus des territoires ruraux se battent pour maintenir en vie leurs structures ­culturelles, essentielles pour la dynamisation de leurs villages. La communauté de communes des Terres d’Apcher-Margeride-Aubrac s’est ainsi investie dans la gestion d’un « ciné-théâtre » qui permet, depuis 2013, de maintenir sur le nord de la Lozère une offre proposant cinéma, spectacles vivants, concerts et poésie. Située à Saint-Chély-d’Apcher (4 200 hab.), cette salle de 150 places a pu rouvrir ses portes en juin. Depuis, hélas, la fréquentation affiche une baisse de 50 %. Le virus n’est pas seul responsable : selon Samuel Le Cabec, directeur de ce ciné-théâtre, c’est surtout l’absence ou le report de grosses productions cinématographiques qui ont pénalisé l’activité estivale de la salle. Celle-ci n’a pourtant pas chômé : « Dans le cadre de l’opération nationale “ l’été culturel et apprenant ”, nous avons engagé des artistes et proposé aux résidents de notre EHPAD une animation musicale autour d’images d’archives des années 1960, explique-t-il. Ce spectacle, initialement prévu fin mai au sein de l’EHPAD, avait été annulé. À la demande de la directrice, il a donc été reprogrammé au ciné-théâtre. » 
Pour Christine Hugon, maire de Saint-Chély-d’Apcher, maintenir un tel lieu en vie s’impose comme une évidence : «Le 31 juillet, le conseil communautaire a donc voté à l’unanimité 20 000 € supplémentaires pour son budget de fonctionnement qui s’élève à 400 000 €. » Cela suffira-t-il ? « Le problème, souligne l’élue, c’est que dans le contexte sanitaire actuel, les gens ont du mal à se projeter dans l’avenir, ce qui se traduit par une baisse des réservations pour les spectacles. » Mais l’EPCI ne ménage pas ses efforts : la plupart des spectacles prévus durant le confinement ont été reportés, et non annulés. Le directeur de la salle a décidé de ne pas réduire les activités afin de conserver le même nombre de séances. «Et nous n’avons jamais eu autant de scolaires inscrits par enseignants à nos spectacles », se félicite-t-il. 
L’épidémie de covid-19 a parfois donné un coup de fouet à des projets culturels. C’est le cas dans l’agglomération de Rodez (Aveyron), où les élus ont misé sur l’organisation d’ateliers artistiques au sein de deux équipements-phares de la ville-centre, les musées Fenaille et Denys-Puech. «Cette offre attrayante permettait de respecter plus aisément les contraintes sanitaires que lors des visites guidées », explique Dominique Gombert, vice-présidente de l’agglomération en charge de la culture. Pari gagné pour l’élue : «Ces ateliers ont eu beaucoup de succès, tant auprès des locaux que des touristes qui ont été aussi nombreux dans nos musées qu’en 2019. » Le challenge se poursuit : chacun sait que, dans les mois à venir, il faudra encore composer avec les risques sanitaires. Les élus se disent prêts à relever le défi, même si le virus s’est imposé comme un acteur aussi encombrant qu’incontournable dans la programmation culturelle.

Être inventif, astucieux et malin
Comment aider les acteurs culturels à traverser cette crise ? L’une des réponses, « qui demande courage et sens des responsabilités », lâchent certains élus, passe par le maintien des manifestations avec des organisations forcément adaptées. « Nous inventons, faisons au cas par cas, presque dans la dentelle. On veut leur montrer qu’on ne les abandonne pas », explique Jocelyne Guérin, maire de Luzy (2 000 hab., Nièvre). Et de donner pour exemple la fête de l’accordéon, organisée chaque année en août, annulée dans sa forme initiale mais proposée dans une taille moindre. « Soyons astucieux et malins », lance de son côté Laurence Besserve, maire de Betton (12 000 hab., Ille-et-Vilaine) : la programmation culturelle a repris telle que prévue en septembre, mais la commune a adapté la jauge en misant sur des animations en plein air à l’instar d’une grande exposition de sculptures monumentales hors les murs, reportée, qui débutera en décembre, « ce qui permet de répondre au contexte sanitaire, même si demain les conditions viennent à se durcir ». À Guingamp (7 000 hab., Côtes-d’Armor), le maire, Thierry Le Goff, a choisi d’adopter « une position offensive » en poursuivant les animations sous de petites formes, « conçues avec les associations et les partenaires », en réduisant aussi les jauges. « En cette année de l’Afrique, par exemple, les animations de musique, de lecture… ont bien lieu. Sauf le salon du livre reporté en mars 2021. C’est un geste en direction des acteurs de cette filière et des librairies indépendantes. » Pour l’équipe municipale d’Aurillac (25 000 hab., Cantal), proposer en cette rentrée une programmation culturelle était aussi une évidence. « Au Musée, l’offre est un peu différente mais maintenue. L’ouverture de la saison du théâtre s’est bien passée dans le respect des gestes barrières. En termes de fréquentation, c’est toutefois plus compliqué », reconnaît le maire, Pierre Mathonier, confiant aussi ses incertitudes pour la salle de spectacle. Selon lui, « il faut profiter de ces temps pour interroger notre façon de faire de l’art. D’autant que nous ne savons pas à quel moment cette crise va s’arrêter ». 

5 M€
Le montant du «fonds festival » reconduit par l’État en 2021 pour soutenir les organisateurs.
2 Mds€  
Le montant du volet culturel du plan de relance (dont 1,015 MdE pour le patrimoine).

Réussir à anticiper, alors même qu’une année est souvent nécessaire pour préparer une programmation culturelle, l’exercice est compliqué et périlleux pour des élus. «Nous avons préféré décaler les manifestations et spectacles importants et densifier l’offre de janvier à juin pour nous concentrer, cet automne, sur l’éducation artistique et culturelle avec 3 000 enfants touchés », détaille Florence Portelli, maire de Taverny (26 000 hab., Val-d’Oise). «Résidences d’artistes avec les scolaires, ateliers de création musicale à destination des centres sociaux, collèges et lycées ou encore classes orchestre ou comédie musicale au primaire… Quel que soit le milieu social, l’objectif est que tout le monde accède à la culture ! », souligne l’élue. Un dispositif qui permet de soutenir l’activité des artistes. C’est aussi la priorité de Rolland Douriaux, maire et vice-président de la communauté de communes du Pays de Sancey-Belleherbe (5 500 hab., Doubs) en charge de la culture : «Permettre aux artistes de se produire malgré tout, pour ne pas perdre le fil, pour continuer d’exister… J’y suis d’autant plus sensible que je suis moi-même musicien intervenant scolaire. »

Dans le cadre d’un dispositif de résidence d’artistes organisé par le département, la Comcom ne s’est pas désengagée et a accueilli pendant une semaine, début octobre, les artistes d’une compagnie locale en mettant à leur disposition les moyens d’imaginer et de présenter aux habitants leur spectacle. « Dans nos contrées, le spectacle vivant, il n’y en a pas tant que ça, notamment pour des raisons financières. Nous aurions pu baisser les bras. Mais nous voulons vraiment le faire vivre et développer la culture. » Dans ce climat difficile, le soutien financier aux acteurs du secteur et aux organisateurs est d’autant plus important que l’avenir est incertain, comme le confirme Pierre Mathonier, à Aurillac : « La 35e édition du Festival international de théâtre de rue a dû être annulée, les conditions sanitaires étant trop difficiles à faire appliquer. Nous avons toutefois décidé de maintenir les moyens financiers de l’association au regard des frais engagés. » L’équipe municipale de La Roque-d’Anthéron (5 600 hab., Bouches-du-Rhône), qui accueille un prestigieux festival de piano, a pris, elle aussi, des engagements. « Nous avons naturellement et par conviction décidé de consacrer les moyens qu’il fallait pour soutenir les associations culturelles, même si elles ont moins d’activité. Les subventions sont en hausse par rapport aux années précédentes. Mais ce ne sera pas suffisant et nous y travaillons. Il y aura aussi des arbitrages à effectuer », explique le maire, Jean-Pierre Serrus (lire aussi p. 38). Pas toujours évident de pouvoir dégager des moyens supplémentaires alors que la covid-19 impacte déjà les budgets. « On fait très attention », reconnaît Laurence Besserve, même si «il n’y a pas eu de débat pour exonérer de loyer jusqu’à la fin de l’année la libraire qui occupe un local municipal. » Jocelyne Guérin concède qu’« en l’absence de manifestations ou d’événements, les subventions ne seront pas versées. En revanche, nous avons provisionné pour 2021 une somme pour doubler et même tripler cette aide afin de soutenir organisateurs et associations dans une organisation qui sera certainement plus exigeante et plus coûteuse. C’est un message d’espoir que nous voulons leur envoyer ». « Notre rôle, selon Florence Portelli, est aussi d’informer les acteurs ­culturels sur les aides mises en place par la région, l’État… et les dispositifs dont ils peuvent bénéficier ». Une aide des plus précieuses.

Témoignage
Jean-Pierre Serrus, maire de La Roque-d’Anthéron (5 600 habitants, Bouches-du-Rhône)
« SOUTENIR LES ARTISTES À TOUT PRIX »
« Nous avons essayé de maintenir le plus d’événements culturels possibles, en prenant un peu plus de temps pour les organiser et en formant les bénévoles aux gestes barrières. Le festival international de piano, du 1er au 20 août, a fait de nous un emblème. Pour le préfet, le maintenir était inconcevable. Nous nous sommes mis au travail, avons accepté de nous soumettre à toutes les contraintes. La jauge de 2 000 personnes est passée à 700, avec une réorganisation complète. Le modèle économique n’est plus du tout le même mais il fallait que nos artistes soient défendus. C’est tout un secteur qui souffre. Vous pouvez avoir les meilleurs équipements, ils ne sont rien sans contenu, sans les artistes. 
De la même façon que l’économie doit être soutenue et accompagnée, la culture, atout d’attractivité et élément majeur de cohésion sociale, doit l’être. Une association qui disparaît, il faut des années pour la reconstruire. 
Un événement culturel qui disparaît, il faut des années pour recréer l’équivalent. Très franchement, il peut y avoir des dégâts et le risque d’avoir une crise du tissu associatif. Cette résistance de la culture n’est pas chose aisée mais il va falloir la diffuser et la généraliser, car notre République se nourrit de ce lien social. »

 

Mesures d’urgence et budget culture en 2021
Lors des États généraux des festivals, organisés début octobre, à Avignon, la ministre de la Culture a détaillé les mesures d’urgence pour le secteur culturel : le chômage partiel reste pris en charge à 100 % pour les acteurs de la culture, a confirmé Roselyne Bachelot. Le Fonds solidarité pour les entreprises du secteur culturel est porté de 1 500 à 10 000 € mensuels. Un fonds d’aide à la billetterie, pour compenser les «effets de jauge », a été doté de 100 M€. Un «fonds festival », créé cet été, «va être prolongé en 2021 et sera redoté de 5 M€ de plus ». Le 22 octobre, l’État a débloqué 
115 M€ supplémentaires pour le spectacle vivant et le cinéma. 
Le budget 2021 du ministère de la Culture est en hausse de 
167 M€ (à 3,82 Mds€, soit + 4,8 %/2020). Ces crédits budgétaires seront complétés par ceux du plan France Relance, dont 2 Mds€ sont alloués à la culture (notamment 113 M€ pour soutenir l’emploi et la création artistique, 426 M€ pour le spectacle vivant et 1,015 Md€ pour le patrimoine).

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n°384 - Novembre 2020
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