L'actu
20/11/2025
107e Congrès de l'AMF 2025

Sébastien Lecornu au 107e Congrès des maires : les élus restent sur leur faim !

Le Premier ministre s'est rendu, le 20 novembre, au Congrès de l'AMF. Pragmatique, il a annoncé un « méga-décret » devant simplifier les rigidités «du quotidien » pour la fin de l'année. Mais il est resté évasif sur la décentralisation et les finances locales.

La résolution de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, adoptée à l’unanimité par le bureau, formulait un message clair. Avant de penser à tout nouvel acte de décentralisation, il faut déjà que l’État réponde à des préalables, estiment les élus : subsidiarité, réelle libre administration des collectivités, autonomie financière et fiscale, pouvoir réglementaire local, inscription dans la Constitution de la clause de compétence générale des communes.

Des principes répétés tout au long de son discours par le président de l’AMF, David Lisnard : «si l’on veut un avenir, il faut de la liberté et de la responsabilité locales » ! Le 107e Congrès des maires avait pour thème la liberté des communes pour mieux démontrer la «recentralisation » en cours depuis une quinzaine d’années, en particulier au travers d’un «étouffement financier » des collectivités, de la «multiplication des normes », de «l’éparpillement de l’État » local, selon les termes de l’Association et de son président. «La liberté n’existe que par la responsabilité », a-t-il rappelé celui-ci devant le Premier ministre.

L'AMF à disposition pour avancer sur la décentralisation

David Lisnard a, une nouvelle fois, indiqué que l’AMF était «force de propositions » et «à disposition du Premier ministre » pour échanger sur le chantier de la décentralisation, proposé par Sébastien Lecornu dès son discours de politique générale, en octobre.

L’ambition décentralisatrice du Premier ministre semble cependant émoussée. Devant les maires, celui qui fut maire de Vernon (27) pendant quelques mois, s’est montré plutôt humble et pragmatique. Pas de grandes annonces mais une autre méthode : «les plus belles des réformes se font à partir du terrain. Je vous propose de repartir du terrain pour toutes les politiques publiques », citant l’exemple de nouvelles France santé. Sur quelques sujets, il y a cependant «urgence », comme sur le logement.

L’AMF n’est pas favorable à une décentralisation par thématiques. La décentralisation ne se fait pas «en pièces détachées », a prévenu David Lisnard. Le Premier ministre semble pourtant s’orienter dans cette voie, sous le prétexte de l’urgence sociale.

Le Premier ministre propose des idées de débats 

Tout en reconnaissant les blocages dans l’administration du pays (normes mais qui existent pour répondre «à une demande très forte de protection » de la part des Français, risque pénal, risque administratif des maires qui font que tous «les acteurs de la chaîne agissent en étant sur le défensif », strates de collectivités, surtransposition du droit européen…), il a plutôt lancé de grandes idées de débats à traiter. «Jacobinisme parisien » versus «jacobinisme régional ». «Il va falloir trancher le débat entre la liberté et l’égalité : sommes-nous prêts à consentir à la différenciation ? »  «Il y a un débat encore plus profond, a-t-il ajouté. Il va falloir rompre avec la défiance et se faire confiance », autrement dit ne plus accuser d’autres acteurs institutionnels (Europe, État…) pour se défausser «sinon le prochain mandat municipal va être un enfer », prédit-il.

Sur la décentralisation, «la question essentielle à poser est de savoir ce qu’on attend de l’État ». Lutte contre le narcotrafic ? Réarmement pour défendre notre souveraineté ? Une manière pour Sébastien Lecornu de répondre à la demande de subsidiarité et donc de proximité. «Le pouvoir doit circuler dans ce pays », estime-t-il. «Pour la démocratie, comme pour la démocratie sociale… ».

"Il faut se faire confiance"

« Pour réformer l’État, il faut se faire confiance », a-t-il poursuivi pour annoncer par exemple un rééchelonnement des obligations d’automatisation du chauffage et ventilation des bâtiments (décret tertiaire) qui devaient s’appliquer dès 2027. L’échéance serait portée à 2030. En matière de commande publique, le seuil de 100000 euros pour passer des marchés de travaux simplifiés en deçà de cette somme sera «prolongé ». L’achat de fournitures sans formalités (de gré à gré) en deçà du seuil de 40000 euros deviendra possible jusqu’à 60000 euros.

En s’appuyant sur les rapports Ravignon, Woerth, et propositions de Gilles Carrez, président du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), le Premier ministre prévoit pour décembre 2025 «un méga-décret » simplifiant toute une série de «rigidités » du quotidien : fin de l’obligation annuelle de vidange des piscines, assouplissements dans la gestion administrative des agents publics territoriaux, autorisation de la visio-conférence pour un certain nombre de réunions, etc. En tout une trentaine de mesures. L’AMF sera également saisie sur une seconde phase de simplification prévue pour janvier et février (environ 70 mesures). Objectif : «que le prochain mandat municipal soit plus simple ! »

Une prime de 500 euros

Sur les finances locales, Sébastien Lecornu a reconnu «des ratés. Nous arrivons au bout d’un cycle. Plus personne n’y comprend rien. » Quant à la polémique concernant le coût, pour les contribuables concernés, de la révision des bases locatives de la taxe foncière par les services de l'Etat, il a botté en touche soulignant que les bases existaient «depuis 1959 », et qu’à un moment il fallait bien avancer.

Il a averti les maires sur les conséquences de ne pas avoir de budget en 2026 ("zéro péréquation de l’Etat, aucune dotation d’investissement"). S'agissant du budget des collectivités, le Premier ministre ne s’est engagé à rien. Tout juste a-t-il précisé qu'’il « a donné mandat aux ministres de trouver le meilleur équilibre sur les finances publiques » , pour donner « de la clarté financière pour l’année prochaine ».

On ne sait si cela a été annoncé pour faire passer la pilule, le Premier ministre s’est réjoui des avancées sur le statut de l’élu [le parcours législatif n’est cependant pas terminé, ndlr] et a annoncé «une prime régalienne » de 500 euros attribuée à chaque maire, quelle que soit la taille de la commune, "pour reconnaître et sécuriser sa capacité à prendre un certain nombre d’actes au nom de l’Etat".

Ce que dit l’AMF est entendu et reconnu

Ces annonces ont été diversement accueillies par les élus selon les réactions reccueillies par Maires de France… Le président de l’AMF, David Lisnard, a lui apprécié le fait que le Premier ministre «soit venu » et qu’il ait «entendu » les remontées de terrain. «Ce que dit l’AMF est entendu et reconnu : le harcèlement textuel et règlementaire des communes est reconnu au plus haut niveau de l’Etat. Le Premier ministre fait des annonces très concrètes de suppression de normes, cela est positif.

Il reste deux énormes angles morts : premièrement, les intentions du gouvernement en matière de décentralisation : qu’est-il prévu en matière de réorganisation des pouvoirs publics ? Le Premier ministre mentionne le transfert de la compétence logement aux collectivités parce que c’est une patate chaude ! Si cela consiste à transférer la responsabilité sans les moyens, ce n’est pas la peine.

Deuxièmement, le Premier ministre n’a fait aucune annonce sur les finances locales. Il faut pourtant sortir d’un mode de fonctionnement qui consiste tous les ans pour l’Etat à prélever toujours plus sur les entreprises, les ménages et les collectivités sans jamais remettre en cause le périmètre de l’action publique. Au mieux, les collectivités se font un peu piller, au pire elles se font dépouiller. »

Pas assez loin sur les finances locales

La secrétaire générale de l'AMF, Murielle Fabre, salue également la venue du Premier ministre : "il y a des choses qui entrent en résonnance avec ce que l'on dit., commente-t-elle. On voit qu'il a été maire. Sur les finances locales, il n'est pas allé assez loin sur ce que l'on demande et qui ont été bien soulignées dans la résolution. Sur la simplification et les petits irritants, c'est très positif mais il y a encore légion derrière et il va falloir continuer à travailler. Sur la décentralisation, le fait que l'on va enfin entrer sur la politique du logement est positif car cela fait longtemps qu'on la demande. Mais il n'y a pas que ça. Nous restons un peu sur notre faim. Le fait que les textes sur les polices muncipales et le statut de l'élu seront adoptés, c'est quelque chose qu'on appelait de nos voeux. Sur la prime de 500 euros, je ne me prononce pas. L'AMF avait fait une proposition en ce sens mais avec des proportions bien supérieures..."

Volonté d'aller vers

Guy Geffroy, vice-président de l'AMF, préfère saluer la "sincérité" du propos et "une simplicité, mais aussi une combativité. Les annonces ne sont pas mirifiques mais avec un possible que l'on pourra rapidement vérifier". Dominique Peduzzi, également membre du bureau de l'Association, y voit "une volonté d'aller vers. On a vécu tellement de défiance de la part de la haute fonction publique [de l'État], des gouvernements à notre encontre... Il a rétabli le lien État-communes. Maintenant il faut voir." 

Un écart entre les annonces et les enjeux

Autre membre du bureau de l'AMF, Frédréric Leturque se montre plus dur et juge le discours du Premier ministre "scandaleux. Il y a un grand écart entre la résolution [de l'AMF], le discours de David Lisnard qui n'était pas vindicatif et un Premier ministre qui est le chef du gouvernement et qui doit animer un mouvement constructif entre le politique et toute la machinerie d'État. Si c'est pour entendre qu'on va pouvoir organiser les vidanges des piscines et avoir possiblement un candidat qui se présente contre nous parce qu'il n'est pas d'accord avec le nombre de vidanges, où va-t-on? Les mesures de simplification sont nécessaires et souhaitables. Mais il y a un écart entre des mesurettes qui sont posées sur la table pour montrer qu'on s'intéresse à nous et les enjeux financiers, de décentralisation, de mise en responsabilité et agilité des collectivités locales.  

  

 

Par Bénédicte Rallu (avec X.B.)
n° -