Dans le cadre des lois, de la légalité qu’il faut respecter, du droit pénal, on ne peut pas vivre dans une situation de crainte, d’expectative, de précautionnisme dans l’action publique car cela mène à l’abstention. La multiplicité des contrôles peut amener le responsable public, maire, élu, fonctionnaire à préférer la non-action plutôt que l’action. Dans notre lettre de mission, le Premier ministre nous a demandé d'éviter les instabilités pénales inutiles pesant sur les responsables publics locaux (élus, directeurs ou agents de la fonction publique), tout en conservant la sanction nécessaire quand il y a débordement. Le propos de notre rapport est centré sur la prise illégale d’intérêts et le délit de favoritisme.
Premièrement, nous suggérons de supprimer les conflits d’intérêts public-public entre la collectivité et la personne morale chargée d’une mission de service public administratif [un établissement public, un GIP, une association, NDLR]. Cela permettrait au maire d’être dans deux instances publiques qui se coordonnent et s’entraident, sans risquer la prise illégale d’intérêts.
Deuxièmement, aujourd’hui, il y a prise illégale d’intérêts quand une personne dépositaire de l'autorité publique (comme un élu) a un intérêt « de nature à compromettre son impartialité ». Cette définition est large. Nous proposons de la remplacer par le terme «compromettant » qui serait moins large. L’intérêt ne serait plus «potentiellement compromettant », il faudrait qu’il compromette véritablement la personne !
Troisièmement, il s’agirait d'exonérer de sanction pénale celui qui agit pour des motifs impérieux d'intérêt général, c’est-à-dire pour des motifs indiscutables. Par exemple, le maire d’une station touristique de montagne fait face à une chute de neige terrible et a 800 touristes bloqués. Son fils, dans la commune, dispose de 15 camions et 3 déneigeurs. L’élu pourrait ainsi passer un contrat avec la société de son fils, après peut-être un avis de la DGCCRF sur le prix pour ne pas être attaqué, car il y a un motif impérieux d’intérêt général de débloquer la situation.
Ces trois changements permettraient de réserver la sanction de prise illégale d’intérêts quand elle est vraiment fondée (dans le cas des contrats avec des entreprises familiales).
Notre mission était de maintenir les sanctions pénales en les limitant à ce pour quoi elles ont été faites. Nous proposons des petits réglages juridiques, mais la sécurité des décideurs y gagnerait.
Le favoritisme comprend quasi automatiquement un élément intentionnel quand il y a violation de la réglementation de la commande publique. Par exemple, donner au titulaire d’un marché de construction d’un immeuble de trois étages la réalisation de trois étages supplémentaires du fait [entre la passation et l’exécution du contrat] de l’augmentation imprévue du nombre d’usagers du bâtiment est aujourd’hui taxé de favoritisme car le montant du marché est multiplié par deux, en violation du droit de la commande publique. Dans ce type de cas, nous proposons qu’il n’y ait plus de sanction quand la personne agit en cas de motif impérieux pour l’intérêt général, par exemple si le bâtiment est un lycée et qu’il est impératif de terminer le chantier pour assurer la rentrée scolaire. Nous reconnaîtrions ainsi une marge de souplesse pour qu’il n’y ait plus de sanction pour favoritisme.
La règle du déport oblige les élus à sortir de la salle de l’assemblée délibérante pour assurer la légalité d’un acte [les concernant]. Nous proposons d’y déroger dans trois cas :
Ces dérogations limiteraient le va-et-vient et rendraient les assemblées délibérantes plus fluides.
L’ordonnance de 2022 sur la responsabilité financière des gestionnaires publics ne vise pas les élus, hormis dans quelques cas circonscrits : non-exécution de décision de justice, gestion de fait, infraction commise après réquisition du comptable ou dans le cadre de missions détachables du mandat.
La responsabilité financière est fondée sur le préjudice significatif causé à la chose publique mais avec un prisme plus restreint que le pénal : le juge financier ne va pas regarder le bénéficiaire d'une corruption, ni le réseau d’acteurs autour, il regarde uniquement le responsable public.
Mais cette réforme est encore trop récente pour tirer des conclusions. Nous, nous essayons de limiter le pénal à ce pour quoi il est fait. Nous n’avons pas choisi le parti pris par certains, comme le rapport Woerth, de dépénaliser, de retirer du droit pénal les sanctions du droit de la commande publique pour les transférer exclusivement à la justice financière car ce serait, selon nous, ne les traiter que selon une vision particulière.
En matière pénale, nous proposons d’étendre la protection fonctionnelle aux élus et aux agents publics en cas d’audition libre, au stade de témoin assisté, de garde à vue, de mise en examen et d’harmoniser les conditions d’octroi aux élus avec celles applicables aux agents publics. Quand un élu est convoqué au pénal parfois juste comme témoin assisté, il se sent très seul. Parfois, il n’est même plus maire. Dans ce cas, il n’a plus les archives, ne se souvient plus des actes qu’il a signés.
Dans le cadre du contentieux financier, la circulaire du secrétariat général du gouvernement [du 2 avril 2024 sur le nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics et la protection fonctionnelle, NDLR] et celle du Premier ministre [du 17 avril 2025 sur l’accompagnement des agents publics dans le cadre de responsabilité financière des gestionnaires publics, NDLR] vont au bout de ce qui peut se faire aujourd’hui dans le cadre de la loi actuelle, à savoir un accompagnement des agents.
Nous estimons souhaitable que les agents concernés se voient proposés cet accompagnement par leur administration. Et nous pensons qu’une réflexion pourrait également être engagée sur l’éventuelle extension de la protection fonctionnelle aux agents dans ce type de contentieux [la jurisprudence du Conseil d’État du 29 janvier 2025 interdit d’accorder la protection fonctionnelle aux agents dans le cadre de leur responsabilité financière, NDLR].
Premièrement, les archives ne sont pas des accusations mais sont aussi des justificatifs. Deuxièmement, les archives des structures publiques n'appartiennent pas à ceux qui représentent les structures publiques, elles appartiennent à la collectivité.
Les élus se protègent en déposant aux archives communales puis départementales des courriers, des consultations d’avocats, d’urbanistes, etc. Ils peuvent y retrouver des pièces justificatives de ce qu’ils ont fait et qui peuvent leur permettre de se défendre lorsqu’ils sont mis en cause : tout ce qui peut montrer qu’on n’agit pas sur un coup de tête, ni pour un intérêt particulier, mais bien pour l’intérêt général, tout ce qui est archive comprenant la mémoire de l'acte pour montrer qu’on a bien agi est important. Et en plus c'est conforme à la loi sur les archives des décideurs publics. Le droit est aussi fait pour protéger, pas que pour accuser.
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