« La décentralisation est morte très tôt, l’Etat a réduit à néant les principes de libre administration et d’autonomie financière des collectivités en établissant une centralisation administrative et en supprimant la fiscalité locale, a résumé Géraldine Chavrier, professeure de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Les collectivités sont devenues des exécutrices, sans pouvoir d’innovation, et cette maladie du centralisme semble incurable ! », a-t-elle déploré en pointant la responsabilité du Conseil constitutionnel «qui n’a pas fait respecter les principes de la décentralisation en dépit de violations manifestes » par les gouvernements successifs.
« La décentralisation a dérayé, a confirmé Guy Geoffroy, maire Combs-la-Ville (77) et coprésident du groupe de travail législatif et règlementaire de l’AMF. L’organisation décentralisée de la République, inscrite dans la Constitution, est mise à mal, notamment à travers l’autonomie financière et fiscale des collectivités qui n’est pas respectée ».
Pour Jean-François Debat, maire de Bourg-en-Bresse (01), «une décentralisation sans moyens n’a guère de réalité ». Il estime aussi que la décentralisation «est un état d’esprit fondé sur la confiance entre l’Etat et les collectivités, qui s’est perdue. L’Etat n’est plus en mesure de décider ni de payer, il en est réduit à contrôler les collectivités ».
« La décentralisation ne peut réussir que si elle permet au maire, véritable entrepreneur sur son territoire, d’être agile et de pouvoir agir dans un cadre simple », a plaidé Jocelyn Sapotille, maire de Lamentin et président de l’association des maires de Guadeloupe. Or, tel n’est pas le cas.
Pour Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières (08) et auteur d’un rapport sur «le coût de l'enchevêtrement des compétences » entre l’Etat et les collectivités -qu’il évaluait à 7,5 milliards d’euros -, remis au gouvernement en mai 2024, «tout le monde a aujourd’hui un petit bout de compétence. Ce morcèlement pose un problème de responsabilité, d’efficacité de l’action publique. Il engendre des financements croisés complexes. Il est donc urgent de clarifier la répartition des rôles ».
Répartition des compétences, financement pérennes octroyés aux collectivités garantissant leur autonomie financière, réduction du poids des normes entravant l’action locale et pesant sur les budgets des collectivités, octroi d’un pouvoir règlementaire aux élus : Guy Geoffroy a énoncé «ces principes fondateurs de la décentralisation » que l’AMF a rappelé au chef du gouvernement dans un courrier adressé, le 2 octobre, à Sébastien Lecornu.
Des principes posés comme des préalables à toute discussion sur l’évolution des compétences des collectivités. Géraldine Chavrier estime nécessaire de les compléter par une «véritable protection constitutionnelle des collectivités » via l’adoption «d’une loi organique fixant les termes de leur libre administration ».
L’Etat, lui, doit se recentrer sur ses compétences régaliennes et rompre avec une forme de défiance à l’égard des élus locaux. «La décentralisation n’est pas un sujet de répartition des pouvoirs. C’est attribuer et se répartir des compétences publiques pour garantir l’efficacité des politiques pour les citoyens », a résumé Boris Ravignon.
Une position partagée par la ministre de la Décentralisation et de l’Aménagement du territoire. «Nous sommes dans le brouillard, le citoyen ne sait plus qui fait quoi, a admis Françoise Gatel. Le Premier ministre souhaite sortir de l’impasse. Nous devons redéfinir le rôle de l’Etat et celui des collectivités, nous mettre d’accord sur le qui fait quoi. L’Etat doit se déconcentrer autour du préfet de département. Ce dernier doit être un facilitateur pour les élus, il doit avoir un pouvoir d’appréciation pour adapter l’application de la loi car notre pays a besoin de différenciation. Nous devons aussi simplifier et arrêter la boulimie de normes. En résumé, privilégier le bon sens et le circuit court de la décision ».
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