Dossiers et enquêtes
01/09/2019
Écoles, éducation, alimentation Ruralité

Le combat des élus pour maintenir l'école en milieu rural

Dans des territoires ruraux, l'école est le dernier service public. Les élus se mobilisent contre sa fermeture. Le défi démographique conjugué aux réalités financières obligent les maires à repenser l'organisation de l'école. Panorama des différents dispositifs et rappel des positions de l'AMF.

Les maires ne sont pas voués à s’enchaîner aux grilles de l’établissement pour défendre l’école de leur village. » Cette expression d’une élue locale résume le dilemme auquel les élus ruraux sont de plus en plus confrontés : perdre ou conserver leur école, et dans ce cas à quelles conditions ? Car le défi démographique pour les écoles rurales est plus menaçant aujourd’hui et pour les années à venir que dans les années passées. La baisse des effectifs dans le premier degré va s’amplifier au moins jusqu’en 2023. Si les maires fustigent la gestion comptable de la carte scolaire par l’Éducation nationale, ils ne peuvent nier la loi des chiffres. Comme l’exprime Agnès Le Brun, maire de Morlaix (29) et rapporteure de la commission éducation de l’AMF, la « désertification rurale est le problème », avec une déprise démographique parfois « très violente ». Le chef de l’État a-t-il rassuré les élus en assurant, à l’issue du Grand Débat au printemps dernier, qu’« aucune école ne fermera sans l’accord du maire » ? Pas sûr, car Emmanuel Macron a assorti cette promesse d’exceptions (l’école pourra fermer en raison d’un nombre trop faible d’élèves ou d’un projet de réorganisation locale faisant consensus entre élus et Éducation nationale). Le ministre Jean-Michel Blanquer l’a confirmé en mai, interrogé par un sénateur sur l’avenir de l’école rurale : « des fermetures de classes restent possibles dans le cadre de la carte scolaire lorsque les effectifs d’élèves ne sont plus suffisants pour un enseignement de qualité ». C’est le même argument que celui utilisé pour la fermeture de maternités ou de services chirurgicaux.
Les élus n’ont cependant pas attendu que l’épée de Damoclès plane au-dessus de leurs écoles communales pour réfléchir à de nouvelles organisations. « Ils doivent comprendre que la gestion comptable des écoles n’amènera rien à terme d’un point de vue qualitatif. Il faut inventer autre chose en matière d’organisation scolaire sachant qu’il n’y a pas de modèle unique », estime Alain Duran, sénateur de l’Ariège, qui a rendu au gouvernement, en avril, un rapport sur les conventions ruralité lancées en 2015. « Si le dialogue n’est pas entretenu de manière constante et dynamique, s’il n’est pas enrichi à travers la réalisation de projets communs, le postulat de la décision administrative s’imposera inéluctablement, au risque de reléguer les acteurs locaux à de simples figurants dans le déroulement annuel de la carte scolaire », explique-t-il. Comment l’école doit-elle évoluer ? Pour l’AMF, il n’y a pas de solution unique. Les maires défendent les spécificités propres à chaque territoire. Ce qui suppose que l’Éducation nationale soit à leur écoute. Cette exigence devrait être au centre des propositions que doivent rendre en septembre les sénateurs Laurent Lafon (94) et Jean-Yves Roux (04) (lire p. 38). « Faute d’anticiper les difficultés, on en prend conscience trop tard, et c’est la fermeture des classes, voire des écoles. C’est ce qu’il faut changer », préviennent-ils.

Des moyens toujours inégaux

L’autre question est de savoir si les communes rurales ont encore les moyens de maintenir leurs écoles. « Dans nos territoires, l’éducation reste une priorité même si nos moyens sont réduits, réagit Jean-Yves Roux. J’ai été maire de la commune du Brusquet (957 habitants) – où 45 % du budget était consacré à l’école en incluant les dépenses du centre de loisirs, de la cantine… Nous nous sommes donnés les moyens de conserver l’école car sinon les parents auraient été inscrire leurs enfants ailleurs. » Les dépenses que les communes consacrent à leur école peuvent en effet atteindre entre 20 et 25 % et être le premier poste budgétaire. 
Cela s’est particulièrement vu lors de la réforme des rythmes scolaires. Pour Agnès Le Brun, cette réforme a certainement été la réforme qui, « sur le fond et la forme », a « le plus perturbé les maires ». Elle a en revanche montré que les écoles rurales pouvaient mettre en place des activités d’aussi bonne qualité que les écoles urbaines. Mais pas sans coup de pouce. La majorité des communes rurales sont ainsi revenues à la semaine de 4 jours à partir de la rentrée 2017. Les activités périscolaires ont pu parfois disparaître, essentiellement par manque de moyens humains et financiers, expliquent les élus qui mettent en cause la difficulté à recruter des animateurs qualifiés. L’école rurale a ses faiblesses, celles du milieu rural. « Mais on doit continuer à se battre si l’on veut fixer la population », estime le maire de ­Drincham, dans le Nord (lire p. 36). Persuadé que l’école sera l’un des principaux thèmes de campagne des prochaines élections municipales. 

400 écoles environ devaient ­fermer à la rentrée 2019. Dont 250 en raison de regroupement ou de fusion. Seules 153 étaient des fermetures simples. 41 ont été annulées faute d’accord des mairies.

(Source : ministère de l’Éducation nationale).

Emmanuelle STROESSER

questions à...  
Agnès Le Brun,  
rapporteure de la commission éducation de l’AMF, maire de Morlaix (29)
« Faisons confiance à l’intelligence territoriale ! »
L’école rurale sort-elle renforcée ou fragilisée des dernières réformes ? 
Elles ont été éprouvées par la réforme des rythmes scolaires. Cela faisait longtemps que les élus n’avaient pas reçu d’injonctions aussi contraignantes de l’État, tenant aussi peu compte des ­difficultés territoriales, en matière de locaux ou de recrutement d’intervenants. D’ailleurs, très vite, beaucoup de communes ont été obligées de facturer les activités périscolaires. C’est pourquoi la grande majorité d’entre elles, notamment rurales, sont revenues à la semaine de 4 jours.  

Les communes rurales ont-elles toujours les moyens de faire vivre leurs écoles ?
Quand vous parcourez les territoires, vous voyez des écoles primaires plutôt pimpantes. Les maires n’ont pas lésiné sur les dotations en matériel numérique non plus. Je ne pense donc pas que l’école soit en déshérence en milieu rural. Ce sont en revanche les moyens généraux qui manquent pour toutes les collectivités. Mais il existe des moyens mis à disposition des territoires ruraux : conventions ruralité, dotation DETR, etc.

De quoi les maires ont-ils besoin pour penser l’avenir de leur école ?  
Nous sommes dans le principe de réalité. Nous demandons que l’on fasse confiance à l’intelligence territoriale. Et que l’on cesse la politique du «yo-yo » qui oblige à rendre des postes une année même si le maire prévient que sa population augmentera l’année suivante ou au pire l’année d’après, parce qu’un lotissement se construit.

Quel enjeu vous semble majeur à l’avenir ? 
La couverture numérique du territoire ! Car le désenclavement de la ruralité passe aussi par là. Ma ­culture musicale a commencé à l’école, où l’on écoutait France Musique à la radio. Aujourd’hui, l’ordinateur et le numérique permettent de faire des visites virtuelles de musée. Cela participe au désenclavement culturel, essentiel pour les écoles de demain et la réussite des jeunes générations.
n°371 - septembre 2019