Damien Valente
Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, souhaite qu'une plus grande latitude soit donnée aux collectivités pour « fixer localement
la réglementation des compétences qu'elles exercent ».
Un texte pour rien ? Pas vraiment, mais le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification, baptisé « 4D » (même si le « D » de « décomplexification » a disparu de son intitulé) et présenté le 12 mai, en Conseil des ministres, laisse les élus sur leur faim. Au terme d’un processus de concertation engagé en 2020, perturbé par la crise sanitaire et qui a donné lieu à plusieurs versions provisoires du texte, Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, affirme, dans l’exposé des motifs, que son objectif « est de répondre aux besoins de proximité et d’efficacité exprimés par les élus et les citoyens ». L’AMF déplore, pour sa part, un texte « sans réelle ambition décentralisatrice », à l’instar du CNEN qui a rendu, le 1
er avril, un avis défavorable sur la version qui lui était soumise, et de Régions de France. Dans une tribune publiée dans
Le Monde du 11 mai, 47 présidents de conseils départementaux estiment que « les départements sont les oubliés d’une loi “ 4D ” sans relief », tandis que le Sénat a souligné que le texte « ne répond pas tout à fait aux attentes » (lire ci-dessous). À plusieurs reprises, et notamment lors du Bureau de l’Association du 7 avril, François Baroin, président de l’AMF, a souligné l’urgence d’approfondir la décentralisation dans les domaines de la santé, de la transition écologique, du logement, de la culture et du sport. Au sortir de l’état d’urgence sanitaire, il estime que le gouvernement n’a pas tiré les leçons de la crise sanitaire, économique et sociale liée à la pandémie : à savoir la nécessité de « renforcer les libertés locales ». La gestion ultra-centralisée de la crise sanitaire a montré, selon lui, « les limites d’un État qui ne peut plus tout gérer tout seul » et la nécessité d’engager une nouvelle étape de la décentralisation « dont les maîtres mots seront liberté, subsidiarité, proximité, responsabilité » mais aussi « confiance dans la capacité des collectivités à répondre, à ses côtés, aux nombreux défis de notre société ». Le projet de loi, que le Sénat devrait examiner à partir du 5 juillet (
https://bit.ly/3v3ngjV), comporte un premier titre relatif à la « différenciation territoriale » dont l’objectif est d’adapter l’organisation des compétences des collectivités aux spécificités locales. Un premier jalon a été posé en la matière par la loi du 19 avril 2021 relative à la simplification des expérimentations. Le projet de loi 4D « souhaite développer les possibilités de délégation de compétences entre collectivités territoriales et EPCI à fiscalité propre pour la réalisation de projets structurants sur les territoires et non sur l’ensemble d’une compétence », dans le cadre des conférences territoriales de l’action publique (CTAP).
La crise sanitaire, économique et sociale a montré « la nécessité de renforcer les libertés locales », selon l’AMF.
L’AMF estime à ce stade que le dispositif envisagé est peu clair, souhaite une réorganisation préalable du fonctionnement des CTAP et juge impératif de préserver le principe de libre administration et de non tutelle d’une collectivité sur une autre. Le gouvernement veut aussi « élargir le champ d’action du pouvoir règlementaire local », de sorte que les collectivités puissent « fixer localement la réglementation des compétences qu’elles exercent ». Mais l’AMF déplore le champ très réduit de ce pouvoir règlementaire que le texte borne, en l’état actuel, notamment à « la fixation du nombre d’élus au conseil d’administration des CCAS et CIAS », au « délai de publication de la liste des terrains qui n’ont pas fait l’objet d’une mise en défense », au « nombre de bestiaux admis au pâturage et au panage » ou encore à « la facturation de redevance d’occupation pour travaux ».
« Achever » le transfert de certaines compétences
Le volet relatif à la décentralisation consiste moins à attribuer de nouvelles compétences aux collectivités qu’à « permettre d’achever le transfert de certains blocs de compétences », explique le gouvernement. Parmi les mesures envisagées, « les départements et les métropoles pourront se voir confier les tronçons de routes nationales liés aux réseaux routiers dont ils ont déjà la responsabilité ». Les régions pourront « poursuivre leurs actions de préservation de la biodiversité via la gestion des sites Natura 2000 » et voient leur chef de filât en matière d’énergie renforcé. Les collectivités pourront « financer des établissements de santé ou recruter du personnel soignant pour les centres de santé qu’elles gèrent ». Le texte réforme la gouvernance des agences régionales de santé (ARS) en transformant leur conseil de surveillance en un conseil d’administration afin, notamment, de « conforter le poids des élus en son sein » (avec 2 postes de vice-présidents). Les objectifs de production de logement social issus de la loi SRU du 13 décembre 2000 applicables aux communes « seront pérennisés [au-delà de 2025] tout en prenant davantage en compte les réalités locales ». La recentralisation de la gestion et du financement du revenu de solidarité active par l’État « sera expérimentée [dès janvier 2022] dans les départements volontaires ». Le volet relatif à la « déconcentration » attribue la fonction de délégué territorial de l’Ademe au préfet de région « afin de renforcer la cohérence de l’action de l’État dans les territoires », et consolide le rôle du préfet dans l’attribution des aides des agences de l’eau dont la présidence sera confiée au préfet coordonnateur de bassin. Au final, l’AMF déplore « une succession de mesures dont les objectifs en terme de décentralisation et de déconcentration n’apparaissent pas ambitieux ». L’évolution proposée de la gouvernance des ARS est, selon elle, « insuffisante alors que la crise sanitaire a révélé l’impérieuse nécessité d’une plus forte territorialisation des politiques de santé, en reconnaissant le rôle joué par les maires ». Elle juge inacceptable « la recentralisation de la politique locale de l’eau » qui « remet en cause les fondements même des comités de bassin, organes délibérants et décentralisés ». Elle estime que les communes et les intercommunalités « ne peuvent être réduites à un rôle de sous-traitant des politiques nationales ou régionales en matière de transition énergétique, alors que les élus souhaitent pouvoir décider au plus près du terrain des modalités de l’atteinte des objectifs nationaux », une position qu’elle défend aussi au sujet du projet de loi «climat » en cours de discussion au Parlement (lire p. 19). L’AMF souhaite aussi que le texte renforce le couple maire-préfet « pour mieux répondre à la diversité des situations locales ».
Le Sénat se réinvite aux débats
La mobilisation des Gilets jaunes et la pandémie ont fait « la démonstration d’un État fragilisé par ses rigidités » et souligné, au contraire, « l’agilité et la réactivité des collectivités territoriales », a affirmé le président du Sénat, le 11 mai, à la veille de la présentation du projet de loi 4D. Or, ce texte « ne répond pas tout à fait aux attentes », selon Gérard Larcher, et le Sénat «s’attachera à l’enrichir » lors de sa discussion en juillet. La Haute assemblée avait présenté, dès le 2 juillet 2020, 50 propositions « pour le plein exercice des libertés locales » (
https://bit.ly/3wgf4x0), avec le soutien de Territoires unis, dont elle espère réintroduire une grande partie par voie d’amendements. « Le Sénat propose de pousser le texte plus loin, ou une lettre plus loin, pour atteindre le E d’ “ efficacité” », a indiqué Françoise Gatel, présidente de la Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Le Sénat souhaite notamment que la médecine scolaire et les compétences médico-sociales soient transférées aux départements, et que les compétences des régions soient renforcées en matière de santé, d’emploi et d’économie.
n°391 - JUIN 2021