La prise illégale d’intérêt, définie à l’article 432-12 du Code pénal, réprime le fait, notamment pour une personne investie d’un mandat électif public, « de prendre, recevoir ou conserver, de manière directe ou indirecte, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement ». Trois éléments sont donc constitutifs du délit de prise illégale d’intérêts :
– un mandat électif,
– l’administration et la surveillance,
– l’intérêt.
Cette disposition punit non seulement ceux qui ont délibérément cherché à profiter de leurs fonctions, mais elle a aussi pour but de prévenir tout soupçon dont les élus pourraient faire l’objet concernant la confusion de leurs intérêts privés et des intérêts de la commune. De par ce caractère très général, le délit de prise illégale d’intérêt est fréquent. Beaucoup d’élus le commettent, sans forcément s’en rendre compte et sans avoir l’impression de tirer profit de la décision prise. On peut citer par exemple le cas d’un adjoint au maire viticulteur, condamné pour prise illégale d’intérêt pour avoir livré du vin, à prix coûtant, à la maison de retraite municipale. Le maire, les adjoints et les conseillers municipaux doivent donc agir avec la plus extrême prudence dès lors que leur commune doit traiter d’une affaire susceptible de les concerner personnellement, même de très loin.
L’administration et la surveillance sont appréciées de manière très large par la jurisprudence (préparation, proposition, présentation de rapport ou d’avis en vue de la prise de décisions par d’autres personnes…). En clair, même quand l’élu « intéressé », simple conseiller municipal, ne dispose pas d’un pouvoir de décision, s’il a joué un rôle, même modeste, dans la proposition ou la préparation de la décision, il pourra être condamné. Le juge estime que le seul fait, pour un élu local « intéressé », de participer, même sans voter, et même dans le cas où il quitte la salle au moment du vote, à la réunion de l’organe délibérant de sa collectivité vaut surveillance ou administration de l’opération. Pour prévenir le risque de condamnation, mieux vaut donc adopter une stricte attitude de retrait, ne jouer aucun rôle dans la préparation de la décision, s’abstenir de toute participation à des réunions ou commissions dans lesquelles le projet est simplement examiné et ne pas participer à la réunion au cours de laquelle la délibération est prise. Toutefois, ceci n’est pas toujours suffisant car, concernant les maires en particulier, le juge va jusqu’à sanctionner une suspicion d’influence. La jurisprudence considère en effet que les maires conservent le contrôle et la surveillance des affaires de la commune, même pour les affaires pour lesquelles ils accordent délégation à leurs adjoints. Concrètement, cet exercice de la surveillance est tellement mécanique que lorsqu’un maire a un intérêt dans une affaire, même s’il veille à en rester éloigné, s’il se garde d’évoquer le sujet avec les autres membres du conseil municipal, s’il ne participe pas aux commissions ni à la délibération, il risque quand même d’être inquiété. S’agissant des adjoints ou conseillers délégués, le juge se réfèrera à l’arrêté portant délégation pour savoir si le fait incriminé relevait de leurs pouvoirs propres ou délégués, et donc de leur surveillance. Il résulte de cette large interprétation du pouvoir de surveillance qu’a priori, les élus, et tout particulièrement les maires, ne doivent avoir aucun rapport d’intérêt avec la collectivité qu’ils administrent (ne pas être entrepreneur ou fournisseur, ne pas acheter, louer ou vendre un bien à la commune, etc.).
La notion de l’intérêt est, elle aussi, interprétée de façon très large par le juge. Elle ne couvre pas seulement un profit personnel ou la perception directe de bénéfices, d’avantages pécuniaires ou matériels. Elle s’étend à un intérêt moral ou affectif. Elle peut être directe ou indirecte, par personnes interposées. Le juge recherche le lien avec le patrimoine personnel, au-delà des montages juridiques pouvant le dissimuler, et considérera que l’intérêt est établi lorsque le patrimoine de la famille – et également celui des amis – est concerné. Attribuer à un proche un marché public, recruter comme agents communaux les enfants de ses adjoints, et même instruire le dossier de sa propre entreprise dans le cadre d’une procédure d’aide aux entreprises (alors qu’elle est parfaitement éligible aux aides) constitue une prise illégale d’intérêt. Un maire qui, pour favoriser l’installation rapide d’une entreprise créatrice d’emploi, avait procédé à un échange de terrains qu’il possédait en propre avec le propriétaire de ceux nécessaires à l’installation de l’entreprise, puis qui avait cherché à récupérer la compensation des terrains abandonnés sous forme d’attribution directe par la voie du remembrement ou de cession par la commune a aussi été condamné.
L’article 432-12 du Code pénal prévoit des exceptions au profit des élus des petites communes : il leur donne une petite marge de manœuvre concernant l’exécution de marchés modestes. Dans les communes de moins de 3 500 habitants, les maires, adjoints ou conseillers municipaux délégués ou agissant en remplacement du maire peuvent ainsi traiter avec la commune dont ils sont élus pour le transfert de biens mobiliers ou immobiliers, ou la fourniture de services, dans la limite d’un montant annuel fixé à 16 000 euros. En dessous de ce seuil, un entrepreneur local pourra donc se voir confier l’exécution de travaux au profit de la commune dont il est élu. L’article autorise également, de façon explicite, les élus de ces petites communes à acquérir une parcelle d’un lotissement communal pour y édifier leur habitation personnelle, à conclure des baux d’habitation avec la commune pour leur propre logement, ou à acquérir un bien appartenant à la commune pour la création ou le développement de leur activité professionnelle. Dans ces cas de figure, après estimation des biens concernés par le service des domaines, l’acte doit être autorisé par une délibération motivée du conseil municipal. Le maire, l’adjoint ou conseiller intéressé ne doit pas participer à la délibération relative à la conclusion ou à l’approbation du contrat. Il faut cependant rester très prudent avec ces exceptions, qui sont d’interprétation limitative. La conclusion d’un bail commercial ou d’un bail rural, par exemple, non mentionnés dans l’article 432-12, constitue une prise illégale d’intérêt. Par ailleurs, la Cour de cassation contrôle le strict respect des procédures et refuse à l’élu qui ne les a pas respectées le bénéfice exonératoire de responsabilité pénale de ces dispositions. Ainsi, la possibilité d’invoquer ces dérogations a été refusée à un maire d’une commune de moins de 3 500 habitants qui avait décidé, seul, de l’attribution à son beau-frère d’un contrat de maîtrise d’œuvre pour la rénovation d’un bâtiment communal.
(1) Cour de cassation, chambre criminelle, audience publique du jeudi 5 avril 2018. N° de pourvoi : 17-81912. www.legifrance.gouv.fr