Alerte. « Je suis membre du conseil d’exploitation de la régie intercommunale Eau potable quand, en mars 2018, l’exploitant nous alerte : situé sur notre commune, l’un des six châteaux d’eau dont il s’occupe a besoin d’une rénovation.
Le coût est estimé à 135 000 euros ! Auquel s’ajouterait un budget d’entretien important. Nous pourrions désaffecter l’édifice mais le risque est qu’il se dégrade encore. Reste le démantèlement. Le château d’eau n’a rien de notable sur le plan technique ou esthétique, et des pompes de surpression le remplaceront sur le réseau pour assurer la continuité d’alimentation des populations desservies par ce réservoir. Toutefois, préalablement à sa destruction, nous faisons savoir qu’il est à vendre. Il n’intéresse personne. Nous lançons, fin 2018, un appel d’offres pour trouver la société qui le détruira. Deux entreprises postulent. La mieux disante (40 000 euros) est retenue en février 2019. »
" Le béton est perforé, puis scié comme un arbre. Le bâtiment s’affaisse sur lui-même, et s’affale. "
Report. « Le château d’eau est bordé par un champ et une route. Il n’y a pas de bâtiment autour, ce qui ouvre la voie à l’abattage et non à un “ grignotage ” par le haut. Courant 2019, nous obtenons du propriétaire du champ que l’édifice tombe chez lui. La terre arable est mise de côté pour ne pas être mélangée aux gravats. Par ailleurs, l’édifice est mis hors service : ses 200 m3 d’eau ne sont pas renouvelés, les pompes prennent son relais. En 2020, le confinement décale trois fois la date de destruction. La quatrième est la bonne, nous sommes le 8 décembre. La route est coupée, le périmètre est sécurisé. Sur place, il y a des habitants, des élus et des journalistes. Le château, qui desservait 160 abonnés sur plusieurs villages et hameaux, va être mis à terre. »
Poussière. « L’opération dure peu de temps. Le béton est perforé puis scié comme un arbre. Soudain, le bâtiment s’affaisse sur lui-même, et
s’affale. De la poussière s’élève. Personne n’applaudit. Ce symbole de modernité n’est plus. Des personnes sont émues. Ils avaient assisté à sa construction en 1964. Moi qui suis arrivé ici plus tard, je suis satisfait. Le bâtiment était comme des milliers d’autres en France. En outre, excentré, il ne représentait rien pour les villageois, ni un lieu de promenade ou de rendez-vous. On l’oubliera vite ! La terre arable a été remise, les gravats sont partis et je ne savais même plus où était cette “ balise ”. On va désormais se repérer avec les éoliennes que nous avons accueillies dans les années 1990. »
Ce qu’il retient
•
Évaluer le bien : « Détruire un bâtiment nécessite d’y regarder à deux fois. Peut-on faire autrement ? A-t-il une valeur technique ou architecturale, ou affective, compte tenu de sa nature “publique” ? Il est utile de bien prendre son temps avant de décider. »
•
Gérer les déchets : « Les gravats du château d’eau ont été emportés et recyclés. Un chantier public doit être propre. Si cela pouvait être un signal pour tous les agriculteurs qui, chez nous ou ailleurs, continuent de polluer les eaux et nappes de leurs sulfates… »
•
Fixer le souvenir : « L’EPCI a fait filmer la chute du château d’eau par un
drone. Ces images importent pour le souvenir car l’édifice a joué un rôle important dans notre vie quotidienne. »
Remerciements
« Je félicite les ouvriers qui, avec leur disqueuse et mini-pelle, ont “ scié ” un château de 39 mètres de haut. Ils avaient de l’expérience et ont rondement mené l’affaire. Je remercie aussi le directeur de régie intercommunale qui a obtenu l’autorisation de l’exploitant et du propriétaire agricoles, piloté l’appel d’offres et l’ensemble du démantèlement. Mention spéciale, enfin, au président de régie qui a donné l’impulsion, lancé la réflexion et su recueillir les opinions des conseillers pour lancer la destruction. Il a l’art, rare, de susciter l’unanimité. »
n°389 - AVRIL 2021