Frédéric Collier/Ville de Calais
La plateforme « monshoppingcestcalais.fr », qui compte 120 commerçants et 6 200 produits référencés, propose aussi un service de livraison en partenariat avec une association d'insertion.
Si des pionnières comme Le Puy-en-Velay (43) ou Sceaux (92) se sont lancées, il y a quelques années, la crise sanitaire a accéléré voire suscité, dans les communes, le développement de sites internet permettant aux usagers de faire leurs achats en ligne… Pas chez Amazon ou Carrefour, mais dans les commerces de centre-ville. Dans certains territoires, le projet était déjà en place avant le premier confinement, comme à Calais (62), où il a été lancé en novembre 2019, après une phase de test d’un an. L’idée part du constat que les commerçants de centre-ville sont, pour beaucoup, restés au XX
e siècle. « Un sur deux n’avait aucune présence en ligne, deux sur trois étaient absents des réseaux sociaux, alors que six Français sur dix, aujourd’hui, se renseignent sur internet avant d’acheter en magasin », quand ils ne le font pas directement en ligne, explique Nicole Heux, maire adjointe au commerce. Après un départ poussif, la fermeture des commerces « non-essentiels » a servi d’électrochoc. De 30 commerçants, sur un total de 908, et moins de 1 000 produits vendus sur monshoppingcest calais.fr, « on est passé à 120 commerçants pour 6 200 références, et nous sommes assaillis de demandes », détaille Julie Seulin, directrice du département animation et promotion. Les résultats ne sont pas anecdotiques : pendant le premier confinement, de mars à mai 2020, le site a généré 56 000 € de chiffre d’affaires… Au deuxième confinement, en novembre, le chiffre d’affaires était de 330 000 € et de 373 000 € en décembre ! Sans compter les achats réalisés directement en magasin, après avoir consulté le site, « notamment pour les vêtements ». « Le site sert de vitrine pour les commerçants, et même pour une dizaine de restaurateurs à qui il donne une belle visibilité », affirme Nicole Heux. À Calais, le système est particulièrement intégré : c’est la ville qui encaisse directement les achats faits par les clients, et reverse le tout aux commerçants, par virement, deux fois par mois – tous les jours, pendant le pic de la crise. Mieux encore, un système de livraison, le jour de l’achat, a été mis en place, en partenariat avec une association d’insertion, en vélo-cargo dans le centre, et en voiture dans l’agglomération – pour 80 livraisons par jour en moyenne.
Accompagner les commerçants
La mairie travaille également avec Carrefour market pour compléter l’offre des commerçants avec des produits du quotidien. « On s’est rendu compte que les clients avaient besoin d’une offre complète ; en plus de leur viande chez le boucher, ils peuvent aussi prendre du produit-vaisselle, faute de quoi, ils préfèrent tout acheter en une fois en grande surface », explique Julie Seulin. Le gros du travail est d’accompagner les commerçants : d’abord, il faut les convaincre de se lancer dans le numérique. Ensuite, tous ne sont pas à l’aise avec l’outil : « Certains n’ont pas de téléphone portable, voire pas de fixe, pas d’ordinateur. » Une rencontre a été mise en place tous les lundis pour expliquer le système aux intéressés. Une agente est dédiée à l’animation du site, elle doit souvent se rendre chez eux pour prendre des photos de bonne qualité de leurs produits, afin de les référencer sur le site. À Luzy (lire témoignage ci-contre), dans la Nièvre, ce travail d’accompagnement représente la moitié du temps de travail de la chargée de développement de la commune. Cette dernière a fait le choix de la plateforme « Achetez à », qui a déployé son premier magasin en ligne de collectivité pour l’agglomération du Puy-en-Velay, en 2012, et qui, depuis 2016, en a créé une centaine dans toute la France… dont cinquante rien qu’en 2020. « Nous travaillons essentiellement avec les intercommunalités ; avec la Covid, les élus qui pensaient se lancer pendant ce nouveau mandat en ont tous fait leur priorité », affirme Renaud Quintin, directeur commercial de la société.
Tous ne sont pas autant impliqués qu’à Calais ou Luzy : à Angers (49), les élus ont considéré que « ce n’était pas le rôle de la ville de faire une plateforme en direct », explique Stéphane Pabritz, adjoint au commerce : « On s’était dit que les commerçants le feraient eux-mêmes, mais rien ne s’est passé. On leur a dit : “on veut vous aider, faites-nous une proposition” ». La ville s’est appuyée sur une association de commerçants dynamique – ce qui n’existe pas partout, car seulement 35 % des commerçants sont adhérents d’une union commerciale. La Covid a accéléré les choses et le lancement s’est fait en mars 2020, avec un coût de 130 000 € pour la commune, « pour amorcer la pompe », car, comme presque partout en raison du contexte de crise, le service est pour l’instant gratuit. À Calais, la plateforme et le service de livraison représentent 230 000 euros répartis sur trois ans, auxquels s’ajoutent 6 postes en interne pour la gestion et le dévelop-pement ; à Luzy, l’investissement est de 120 000 €, financés à 80 % par des subventions, plus un équivalent temps-plein. La plateforme seule a coûté 50 000 €, le reste est passé en logiciels de gestion et frais d’animation, permettant la possibilité, pour les parents, de payer la cantine ou d’autres services municipaux en ligne.
Stratégie de revitalisation
Un point fait consensus : un magasin en ligne, seul, ne suffit pas : il faut l’adosser à une stratégie globale de revitalisation du centre-ville. À Calais, une véritable campagne de communication a été lancée, avec des affiches personnalisées créées pour plus de 200 commerçants, en plus d’une aide au loyer pour les nouvelles installations, et la distribution à la population, en 2020, d’1,6 M€ de bons d’achats subventionnés à 30 %, entièrement réinjectés dans l’économie locale. Le plan de stationnement et de circulation a aussi été modifié. Résultat, en trois ans, le taux de vacance commerciale a baissé de 26 à 13 %. Idem à Luzy, engagé depuis quatre ans dans une opération « Village du futur », financée en partie par le Pays nivernais-Morvan, avec la réfection de bâtiments publics, de façades de magasin et une stratégie globale d’attractivité. Le numérique et l’e-commerce en sont cependant devenus le bras armé presque incontournable.
Un soutien de 20 000 € par commune
Le gouvernement a intégré dans son plan de relance, via l’Agence nationale de la cohésion des territoires, un soutien aux communes qui se lancent dans l’e-commerce (1), en trois volets : une aide directe de 20 000 € maximum à la création d’une place de marché en ligne (catalogue de prestataires sur www.clique-mon-commerce.gouv.fr) ; de l’aide à l’ingénierie pour l’élaboration d’une stratégie numérique (80 % du coût de la mission, plafonnés à 20 000 €) ; le cofinancement d’un « manager de centre-ville », chargé de faire le lien avec les commerçants (20 000 € pendant deux ans, dans la limite de 80 % du coût du poste).
Par ailleurs, une mission interministérielle sur les impacts de l’augmentation du commerce en ligne, et donc des livraisons, sur le trafic routier, l’environnement et la fiscalité devrait rendre son rapport bientôt, alors que certaines grandes villes comme Strasbourg cherchent à réguler la livraison au dernier kilomètre.
(1)
www.economie.gouv.fr/plan-numerisation-commercants#
Témoignage
Jocelyne Guérin, maire de Luzy (Nièvre)
« Multiplier les chances
d'être un territoire attractif »
" Le site
achetezaluzy.fr n’est pas qu’un site de commerce en ligne pour notre petite commune. C’est une manière de montrer la richesse de notre territoire : sur le site, nous avons les commerçants de centre-ville mais aussi les agences immobilières, les artisans, les associations qui peuvent y faire de la billetterie. 2020 a permis d’accélérer, on a plus que doublé le nombre de visiteurs, de professionnels adhérents (130 aujourd’hui), de produits référencés (2 700). Pendant le confinement, nous avons organisé en urgence, puis pérennisé un système de livraison. C’est un vrai “plus” pour les commerçants : ils ont gagné des clients qui allaient auparavant en grande surface. Pour les communes rurales, c’est l’avenir ! La démarche est longue, c’est un travail de fourmi, il faut de l’ingénierie pour accompagner les commerçants. Mais une fois le projet lancé, il multiplie l’activité et les chances d’être un territoire attractif ! "
n°387 - FEVRIER 2021