Devant de telles interrogations, notre groupe de travail, à l’origine du Vade-mecum sur la laïcité publié par l’AMF en novembre 2015 (www.amf.asso.fr, réf. BW14082), a été réactivité ». Lors de la mission d’information sur les services publics face à la radicalisation, qu’il a menée en 2018, le député Éric Diard a, lui aussi, recueilli le témoignage d’élus confrontés à des atteintes à la laïcité : «De nouveaux problèmes apparaissent, comme la demande d’horaires adaptés à une prière quotidienne pour des agents techniques, ou de créneaux réservés aux femmes dans les piscines municipales, détaille le député. Des élus sont aussi confrontés à des agents refusant de serrer la main d’une collègue, ou au prosélytisme religieux d’éducateurs sportifs... Et même à des contestations concernant le contenu de colis offerts aux agents à Noël. » L’un des problèmes récurrents auxquels les maires sont confrontés concerne les cantines scolaires, avec la question de l’offre d’un menu de substitution au porc. À Chalon-sur-Saône, ces menus de substitution ont été supprimés en 2015 afin de «rétablir un fonctionnement neutre et laïc » des cantines. Cette mesure, annulée par la justice à deux reprises, a été réexaminée par le Conseil d’État. Sa décision, rendue en décembre dernier, rappelle que proposer des menus de substitution n’est pas obligatoire mais ne contrevient pas non plus au principe de laïcité. Lorsqu’elles choisissent d’assurer une restauration scolaire, les collectivités «doivent prendre en compte l’intérêt général qui s’attache à ce que tous les enfants puissent accéder à ce service public ». Selon Gilles Platret, l’offre d’un plat de substitution est devenue au fil du temps la règle dans la plupart des cantines scolaires. «Mais comme l’a rappelé le Conseil d’État, la libre administration doit prévaloir », souligne-t-il.
À Toulouse (31), cette question a été examinée par une instance consultative intervenant sur les questions du vivre ensemble, instaurée par la commune en 2014. Baptisé «Toulouse Fraternité Conseil de la laïcité », ce lieu d’échanges et de dialogue réunit 42 membres désignés par le conseil municipal, comprenant notamment des représentants des cultes, du mouvement laïc et des obédiences maçonniques. «Son travail a débouché, en collaboration avec l’adjointe à l’éducation, sur l’instauration dans nos cantines, depuis 2015, d’un menu optionnel quotidien sans viande », explique Jean-Paul Bouche, conseiller municipal en charge de cette instance. Cette dernière a également édité, en 2018, un guide intitulé «Laïcité et espace public » mis à disposition de l’ensemble des agents de la ville et de la métropole. « Avec l’aide du CNFPT, nous allons aussi poursuivre et intensifier notre plan de formation à la laïcité destiné à l’ensemble de nos agents », ajoute Jean-Paul Bouche. Toulouse dispose également, depuis 2018, d’une charte de partage et de promotion des valeurs républicaines à destination des associations bénéficiaires d’aides publiques. Alors que le projet de loi confortant le respect des principes de la République prévoit la signature de «contrats d’engagement » avec les associations (lire Maires de France n° 386 de janvier 2021, p. 21), Montpellier a conditionné l’attribution de financements publics et la mise à disposition de locaux municipaux à la signature d’une charte de la laïcité. «Nous sommes la première métropole à mettre en place une telle charte. Elle nous permet de reposer des principes républicains, concernant par exemple la place des femmes, et de clarifier les choses », explique Michaël Delafosse, qui se souvient qu’à deux reprises ses services ont été confrontés à la transformation en lieux de culte de locaux municipaux qui avaient été mis à la disposition d’associations. Toutefois, l’instauration de cette charte a soulevé certaines polémiques, des militants associatifs ou syndicalistes voyant dans cette initiative une potentielle stigmatisation de communautés ou une restriction de la liberté d’opinion des associations. «Placer sa ville sous la protection d’une sainte patronne, installer une crèche de Noël dans sa mairie au nom des traditions, ou encore participer en tant qu’élu à une fête religieuse sont autant de coups de canif dans la laïcité… En tant que maires, nous devons être rigoureux. Et nous souvenir que la gamme des atteintes est vaste et qu’elle n’est pas liée à un seul culte », note Patrick Molinoz, maire de Venarey-les-Laumes et président de la communauté de communes du pays d’Alésia et de la Seine (21). Ancien co-président du groupe de travail laïcité de l’AMF, l’élu s’inquiète de la «dissolution progressive de ce qu’est la laïcité dans la conscience d’un grand nombre d’acteurs ». Face à cet « effritement », il faut, dit-il, « être fort et mesuré à la fois. La laïcité n’est pas un outil contre les religions mais un outil du vivre-ensemble. »