la situation du foyer, vérifier que ses droits sociaux ont été ouverts, etc. Au rez-de-chaussée d’un autre immeuble, à Limoges, Séverine Joubert met en place les premiers coffrets de Noël. Le prix est imbattable, 3euros. Des pots de confiture, du thé, des confiseries. Nous sommes dans l’épicerie sociale et éducative de la ville qu’elle dirige. L’épicerie sert de supermarché à 270 familles. En temps ordinaire, ce sont plutôt 200 familles. «On ne peut pas faire plus », lâche la responsable. Les «usagers » du CCAS deviennent ici des clients. Le prix payé représente 10 à 30 % de celui payé dans un supermarché ordinaire. Cette différence doit permettre au foyer de faire les économies nécessaires pour faire face aux dépenses.
ASSURER L'ALIMENTATION ET L'HÉBERGEMENT
Ceci permettra par exemple à une aide à domicile de mettre de côté 600 euros pour faire réparer sa voiture. Ce matin, Séverine Joubert a reçu un couple avec deux enfants, 3 500 euros de revenus par mois. «Mais ils ne s’en sortent plus car ils n’ont pas changé leurs habitudes de consommation et il manque 600 euros dans le budget mensuel ». «On se donne un an pour tout remettre à flot, renégocier un apurement, les prêts bancaires », explique le père de famille qui vient faire les courses. Sa femme a du mal à accepter cette situation. C’est ce genre de situation que Séverine Joubert s’attend à connaître de plus en plus.
Comme celles de personnes n’ayant pas retrouvé d’emploi, épuisé leurs droits au chômage ou en chômage partiel.
« Je crois qu’on a rien vu encore », confirme René Ortega. Il dirige le groupement d’intérêt public Gers solidaire. Dans ce département rural, cette structure réunit des collectivités (dont le conseil départemental), des communes (vialeurs CCAS) et des associations autour de l’aide alimentaire. Le volume distribué a augmenté de 30 % depuis la fin du premier confinement. Mais le nombre de bénéficiaires reste en revanche le même. Explication : «les gens déjà dans la panade le sont plus encore et ont besoin d’encore plus d’aide», explique René Ortega, également soucieux de «l’inflation» des demandes de RSA.
L’aide alimentaire est «l’un des trois piliers avec la santé et le logement »,constate Isabelle Rolland, adjointe au maire de Rétiers (Ille-et-Vilaine, 4300 hab.). Comme d’autres élus en charge de l’action sociale ou des solidarités, elle ne compte plus les heures et les week-ends passés à organiser la réponse sociale. Lors du premier confinement, il a fallu fabriquer des masques. À l’époque, Coralie Breuillé n’était, elle, pas encore adjointe aux solidarités de Poitiers (Vienne, 88291 hab.). Mais elle faisait des maraudes dans les quartiers en tant que travailleuse sociale. «L’urgence »,aujourd’hui, c’est aussi pour elle «l’alimentation et l’hébergement ». Mais «ce que l’on fait en urgence doit servir à préparer l’après ». Elle redoute la fin de la trêve hivernale, en mars 2021.
Dans les commissions de prévention des expulsions, «on commence déjà à voir l’afflux de dossiers d’impayés de loyers», fait écho Bérengère Trumel, coordinatrice de l’Union départementale des CCAS et CIAS d’Ille-et-Vilaine. Toutes cautionnent les alertes de la Fondation Abbé Pierre sur «la bombe à retardement» des impayés.
La Fondation Abbé Pierre, qui prépare son prochain rapport annuel sur le mal-logement, avance le chiffre de 300000 personnes sans abri aujourd’hui. «Ça signifie deux fois plus qu’en 2012 et trois fois plus qu’en 2001. C’est effrayant!», s’est alarmé son délégué général, Christophe Robert, le 15 novembre. La tendance se confirme sur le terrain. À Limoges, les bénévoles des Escales solidaires, qui font des maraudes le dimanche, voient déjà deux fois plus de monde que l’an passé à la même époque. À Bergerac (26833 hab.), «ville à la campagne», deuxième ville de la Dordogne, le nouveau maire, Jonathan Prioleaud, avait réquisitionné des mobiles-homes du camping lors du premier confinement. Dix places qui avaient permis de mettre à l’abri deux couples et des jeunes. Rebelote en octobre. À plus long terme, la ville réfléchit à l’idée de développer ce mode d’accueil alternatif, pour certains marginaux, notamment avec des chiens.
Même sur un territoire relativement privilégié économiquement comme celui de la communauté de communes du pays du Châteaugiron (5 communes, 26 000 habitants), en Ille-et-Vilaine, la situation se tend. La dernière analyse des besoins sociaux, en cours de finalisation, attire l’attention des élus sur le fait que si une majorité des habitants se porte toujours bien, «une frange de la population décroche, les écarts se sont accentués et leurs difficultés risquent de s’accentuer», souligne Carole Pérot, en charge du CCAS de Noyal-sur-Vilaine.
La municipalité de Poitiers a, elle, lancé mi-novembre son premier «plan d’urgence sociale pour soutenir les plus fragiles». Volontaires, les élus ambitionnent que dans la capitale poitevine, «personne n’ait faim, ne dorme dehors ni ne souffre d’isolement social». Près de la gare, les habitués du quartier ont bien vu que quelque chose changeait. La caserne des pompiers, tout juste vidée depuis un mois, s’est transformée en «centre d’accueil solidaire». S’y retrouvent ceux (associations, institutions) qui accompagnent les plus fragiles. Tout à côté, un gymnase fait office de «halte répit», un lieu «chauffé et équipé de douches». Sa gestion est confiée à la Croix-Rouge française. La ville a obtenu le soutien financier de l’État (via la direction départementale de la Cohésion sociale). Mais ce que l’élue veut, c’est que l’urgence ne s’arrête pas quand les températures remonteront. «Notre objectif est de faire accéder les gens au droit commun» et «combler les trous dans la raquette».Le 115 est moins sous pression, «car des places d’urgence se sont créées un peu partout», observe l’élue. Il y a aussi moins d’étrangers. Mais «nous avons besoin de places d’intermédiation locatives. Et nous avons jusqu’à la mi-mars pour y travailler».
À quoi faut-il se préparer? Les élus aimeraient le savoir. «Je ne me projette qu’avec un vaccin», réplique l’un d’eux. Beaucoup redoutent «le plus terrible». Pour le maire de Limoges, psychiatre de métier, ce sont «des vagues de suicides».Les élus appréhendent la prise en charge des personnes souffrant de troubles psychiques. Avec angoisse, car «les réponses sont rares et les structures déjà saturées». Deborah Leforestier, responsable du pôle social de Saint-Malo (46000 hab., Ille-et-Vilaine), «ressent le besoin d’accompagnement supplémentaire», pour «rassurer sur un avenir vers lequel les personnes fragiles ont déjà du mal à se projeter. Les gens vont être cabossés à la sortie, il va falloir reprendre des choses. Les clubs des aînés, les manifestations comme la semaine bleue, ce sont des moments qui ne se remplacent pas».
ALLER AU-DEVANT DES PERSONNES
Dans le Gers, René Ortéga, directeur adjoint de l’action sociale territoriale, veut croire que «le droit commun pourra répondre à pas mal de situation ».À condition de travailler sur l’accès aux droits, pour que les personnes en difficulté sonnent aux bonnes portes et au bon moment. «Aller vers », l’un des autres piliers du travail social, revient en boucle à Saint-Malo. On compte sur les liens «bien ancrés »au sein du réseau des partenaires sur lesquels les travailleurs sociaux s’appuient tous les jours pour «rester réactifs », selon les mots du directeur du CCAS, Yann Audrain. «C’est au moins l’un des points positifs de cette épidémie »,pointe-t-il de concert avec l’adjointe au maire, Sophie PirotLeprizé. Avoir fait une piqûre de rappel sur le fait que nous devons aller vers les publics et non l’inverse. »Car les «nouveaux » pauvres, les personnes au bord de la faillite, qui risquent de perdre un toit, après un travail, ne sauront pas forcément où aller chercher de l’appui pour éviter de sombrer, expliquent-ils. «Il faut donc dédramatiser l’accueil social,insiste la responsable de l’épicerie sociale et éducative de Limoges. Les gens en train de se paupériser ne passent pas la porte assez tôt. » En début de mandat, ce qui peut sembler des poncifs prend plus de sens. Pour tout le monde, «c’est 2021 qui fait plus peur ». Derrière le masque, les élus restent silencieux. Pensifs. Mais Isabelle Rolland s’emporte lorsqu’elle recompte le nombre de CCAS supprimés par des communes de moins de 1 500 habitants depuis que la loi NOTRe leur en a laissé la possibilité. Une étude de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL), parue en novembre, pointe en effet une division quasiment par deux du nombre de CCAS entre 2007 et 2019. Son département en a perdu 69. «C’est dramatique car un CCAS réunit des partenaires qui ont besoin de travailler ensemble, élus et société civile, qui composent chacun la moitié du conseil d’administration.» Elle «comprend» que dans des communes de 150 habitants, l’action sociale soit compliquée à mener. Mais selon elle, «il y a d’autres choix à faire». Comme cette coopération informelle dans le pays voisin de Châteaugiron (26000 hab.). Chacune des 5 communes n’a qu’un «petit» CCAS avec un agent au mieux à trois quart temps. Mais l’EPCI détache un mi-temps chargé d’aider à leur coordination. Sans même gérer la compétence sociale à l’échelle intercommunale, les élus veulent poursuivre une «dynamique de réflexion», car «la crise ne doit pas tout arrêter». Rendez-vous est déjà pris en février pour faire ensemble le point sur le portrait social du territoire. Avant de réfléchir aux nouvelles réponses à apporter…