• L'État a-t-il tiré les enseignements du rôle des maires dans la gestion du covid ?
Nullement. L'État a montré des failles béantes dans son organisation. Il a perdu la bataille de la logistique. Heureusement que les maires sont là ! Ils étaient présents dès le début de l'épidémie en commandant des masques. Et le déconfinement a reposé en grande partie sur leur investissement et leur capacité d'adaptation pour rouvrir les écoles, faire repartir les transports, adapter l'application des protocoles sanitaires aux services publics. Ils accomplissent un travail de titans ! En retour, l'État, qui vantait le couple maire-préfet, ne les a plus informés de ses décisions cet été. Je l'ai dit au Premier ministre qui l'a reconnu et demandé aux préfets de faire un point de situation chaque semaine avec les élus.
• Le dispositif de compensation aux collectivités du coût du covid est-il suffisant ?
Non. En retour de l'investissement des maires, l'État nous inflige une tartufferie sur le remboursement des masques en fixant arbitrairement un calendrier et un prix de remboursement pénalisant les élus qui ont anticipé. Et il ne compense que les pertes fiscales et domaniales en 2020. Or, l'AMF a chiffré à 8 MdsE le coût pour les collectivités des dépenses liées au covid-19 en 2020 et 2021. Et cette somme va s'accroître compte tenu de la reprise de l'épidémie. Mais l'État ne fera pas un geste en 2021 pour les soutenir. Les maires sont spoliés, c'est inacceptable. L'AMF demande une nationalisation de l'intégralité de ces dépenses et pas seulement des pertes fiscales et domaniales.
• Les conclusions du Ségur de la santé répondent-elles aux demandes de l'AMF ?
Pas du tout. L'AMF a transmis ses propositions au gouvernement. Nous n'avons eu aucun retour du ministère de la Santé. Les conclusions du Ségur, annoncées en juillet, ne règlent pas la question de la place des maires dans la gouvernance de l'hôpital, de l'aménagement sanitaire équilibré du territoire, de l'arrêt de la fermeture des services d'urgence, d'une meilleure coordination entre l'hôpital et la médecine de ville, du rapprochement entre le secteur public et le secteur privé, etc. Rien n'avance à ce stade.
• Les collectivités locales ont-elles les moyens de participer à la relance économique ?
On peut en douter. L'État ne compense pas le coût du covid pour les budgets locaux, ses dotations stagneront en 2021 et il poursuit l'amputation de la fiscalité locale et donc celle des ressources des collectivités. Le renforcement annoncé des dotations d'investissement ne suffira pas. Ces décisions peuvent freiner la participation des collectivités à la relance alors qu'elles sont un levier essentiel de la croissance via leurs investissements.
• Considérez-vous que l'État veut supprimer la fiscalité locale ?
Après la suppression de la taxe d'habitation, qui coupe le lien entre le contribuable et son territoire et pèsera sur le budget de l'État qui a nationalisé cet impôt local, le gouvernement a décidé de couper le lien fiscal entre les entreprises et leur territoire. Il veut nationaliser les impôts de production perçus par les collectivités en retour desquels elles aménagent des zones d'activité, la voirie, apportent des services aux entreprises, soutiennent les commerçants. L'État justifie cette décision en expliquant qu'elle allègera la trésorerie des entreprises et favorisera la relocalisation de leurs activités. Cela est faux. Ce n'est pas la fiscalité locale qui handicape les entreprises, ce sont les charges que l'État leur impose.
• L'État annonce cependant une «juste compensation »...
Comme pour la taxe d'habitation, les communes et EPCI n'ont aucune garantie d'une juste compensation de la baisse de leur fiscalité économique - 3,4 Mds€ ! - décidée par l'État. Le gouvernement évoque un prélèvement sur recette qu'il pourra librement moduler, notamment à la baisse... L'État poursuit son entreprise de mise sous tutelle financière des collectivités à rebours du principe constitutionnel d'autonomie financière. C'est une recentralisation alors que notre Constitution prévoit que l'organisation de la République est décentralisée.
• L'État et l'AMF ne partagent-ils pas la même conception de la décentralisation ?
Assurément. L'État fait rimer décentralisation avec déconcentration et différenciation. C'est largement insuffisant. Pour l'AMF, la décentralisation est le renforcement des libertés et des responsabilités locales. Notre objectif n'est pas de dépouiller l'État. Mais il n'a plus les moyens de ses ambitions. La crise des gilets jaunes et celle du covid-19 devraient lui ouvrir les yeux ! Il doit se recentrer sur les compétences régaliennes. Et transférer toutes les compétences de proximité (logement, médico-social, culture, sport, tourisme notamment) aux collectivités.
• Qu'attendez-vous du gouvernement sur ce sujet ?
Une révolution culturelle qui consisterait à faire confiance aux collectivités. L'État ne peut plus continuer de décider seul des priorités d'action que les collectivités, maintenues au rang de supplétifs, devraient se contenter de mettre en œuvre et, surtout, de financer. Nous discuterons avec lui de nos propositions dans le cadre de la concertation qu'il souhaite engager. Il est urgent de remettre à plat l'organisation de nos pouvoirs publics. L'efficacité de l'action publique exige une réponse de proximité incarnée par les élus auxquels il est impératif de donner plus de responsabilités et des moyens financiers garantis et à la hauteur des enjeux.