De quoi parle-t-on ? Dans un rapport publié en septembre 2020, le Sénat rappelle que la révolution numérique est venue sans «mode d’emploi » et que la «fracture numérique » est née avec internet. Longtemps réduite à la problématique de l’accès aux infrastructures ou à une fracture générationnelle, elle se révèle complexe et, surtout, tenace. Avec la notion «d’illectronisme », créée en 1999 par analogie avec l’illettrisme, la fracture est appréhendée comme un déficit d’apprentissage. Celui-ci concerne avant tout les plus fragiles tout en traversant l’ensemble de la société française, notent les sénateurs : «L’exclusion par la compétence est plus marquée chez les seniors et l’exclusion matérielle chez les précaires. Il convient cependant de rappeler que ces deux faces de l’illectronisme s’alimentent mutuellement, rendant peu pertinente l’analyse isolée de l’une et de l’autre. » En termes quantitatifs, elle touchait 17 % de la population française en 2019 selon l’Insee qui se fonde sur deux critères : ne pas posséder les compétences numériques de base (envoyer des mails, utiliser des logiciels, etc.) ou ne pas se servir d’internet.
Disposer d’un diagnostic fiable. Pour les collectivités, toute la difficulté est de disposer d’un diagnostic à l’échelle locale. À la Rochelle (17), l’agglomération s’est appuyée sur « l’indice de fragilité numérique » conçu par la MedNum (coopérative des acteurs de la médiation numérique) à l’aide de données publiques (lire ci-contre). Ces statistiques ont permis de dessiner une cartographie des besoins à l’échelle des 28 communes de l’agglomération. Les données publiques sont cependant datées (2015 pour l’Insee) et ne descendent pas au-dessous de la maille de l’iris, unité de base qui agglomère 2 000 habitants. Un niveau d’analyse insuffisant pour déterminer la nature des besoins en formation. Les statistiques peuvent en outre être trompeuses. « Dans un quartier universitaire par exemple, le bon niveau de connaissance informatique des étudiants devra être pondéré par la présence d’étudiants étrangers désemparés face aux formalités administratives françaises… », illustre Jérôme Valais, chef de projets numériques à la communauté d’agglomération de La Rochelle. Un manque de granularité qui a poussé la collectivité à mener une enquête terrain pour interroger ceux qui sont au plus près des publics fragiles : agents d’accueil du CCAS, guichets municipaux, antenne Pôle emploi, maisons de quartier… Avec, à la clé, une vision qualitative de l’illectronisme et un repérage des agents des services publics susceptibles d’orienter, demain, les usagers dans le parcours de formation.
Cartographier les structures d’accompagnement. Une autre étape consiste à répertorier l’offre de formation et à fédérer les acteurs autour d’une stratégie d’inclusion numérique. Les dispositifs se réclamant de la lutte contre l’illectronisme sont nombreux : EPN, PIMMS, bus numériques, tiers-lieux, maisons France Service, etc. L’un des enjeux des stratégies territoriales est de mieux les coordonner. «À Montrouge, nous nous sommes aperçus qu’une multitude d’organismes et d’associations proposaient une aide numérique mais chacun le faisait dans son coin, avec parfois des doublons et des méthodes très différentes », explique Pascal Hureau, adjoint au maire de Montrouge (92). La cartographie des acteurs réalisée par la ville a ainsi permis d’identifier «qui faisait quoi pour quel type de public ». Tous ces acteurs sont désormais appelés à travailler en réseau en partageant notamment contenus pédagogiques et méthode. Un parcours de formation en cinq étapes a été co-construit (lire ci-contre). La cartographie des structures, également réalisée à La Rochelle, est enfin à croiser avec celle des besoins : «Elle indique aux élus les secteurs où il n’y a rien et aide à déterminer l’implantation de nouveaux lieux de médiation.»
Désigner des référents. Si toutes les communes – rurales notamment – n’ont pas vocation à accueillir une structure de formation à l’inclusion numérique, leur mobilisation est indispensable pour l’aiguillage des usagers. À Lens-Liévin, dont l’agglomération fait partie des territoires pilotes sur le déploiement du pass numérique, les communes ont été invitées à formaliser leur engagement par une délibération. Celle-ci désigne un ou plusieurs agents chargés de repérer les personnes rencontrant des difficultés : outillage, maniement des outils, réalisation de formalités, etc. Formés par l’EPCI en une demi-journée, ils disposent d’un questionnaire type pour qualifier les difficultés de l’usager et pouvoir ainsi correctement l’orienter. Car ces agents seront dépositaires des pass numériques et responsables de leur distribution. L’EPCI a fait l’acquisition de 4 000 pass répartis aux 36 communes membres avec une part fixe et une autre dépendant des caractéristiques socio-économiques des communes.
Financement : Le pass numérique. Le pass numérique, cofinancé par l’État et les collectivités, n’intervient qu’en dernière étape pour contribuer au financement des formations.
Concrètement, il s’agit d’un chèque, d’une valeur unitaire de 10 euros, distribué par carnets de 5 ou 10, dont la vocation est de financer les formateurs. Les carnets sont acquis par les collectivités (ou par d’autres acteurs comme les CAF, La Poste, Pôle emploi) auprès de l’Aptic, seul organisme habilité par l’État à les éditer. L’Aptic est par ailleurs chargé de labelliser les structures proposant des formations numériques. Il a identifié 129 besoins numériques s’articulant autour de trois axes : découvrir, maîtriser et augmenter son pouvoir d’agir. 400 lieux avaient été labellisés mi-2020 (la carte est consultable sur le site www.aptic.fr), chiffre qui devrait monter à 1 000 d’ici la fin 2020. Les modalités de financement et la mécanique des pass numériques sont cependant en cours de remise à plat dans le cadre du plan de relance. Le montant unitaire des chèques est notamment jugé très insuffisant pour aider au financement de structures d’accompagnement pérennes.