Comment les régions se sont-elles saisies de ces possibilités ? Fin septembre, ce sont 14 programmes opérationnels qui avaient été modifiés et validés par la Commission européenne pour intégrer ces nouvelles possibilités de financement – la Normandie ayant ouvert le bal avec un feu vert de Bruxelles reçu en juillet. D’autres programmes sont toujours en cours de modification, toutes les régions, « à des degrés divers », étant intéressées par le dispositif, nous indique l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). « L’État et les régions se sont accordés pour estimer à 500 millions d’euros le total des fonds qui peuvent être utilisés », indique Sandra Chaignon, chargée de mission à l’ANCT. Non pas de l’argent « frais » mais un montant qui correspond en réalité aux enveloppes non utilisées dans les programmes actuels (2014-2020) et que les régions ont donc la possibilité de flécher vers ces nouvelles priorités covid. « De région en région, les montants concernés varient fortement. »
Le paradoxe est sans doute que les bons élèves, ceux dont les enveloppes européennes sont pratiquement consommées, se retrouvent avec moins de moyens à reprogrammer pour répondre à la crise. En Nouvelle-Aquitaine, ce sont les trois programmes de l’Aquitaine, du Limousin et de Poitou-Charentes qui ont été modifiés pour intégrer un nouvel axe « CRII » de 7,5 millions d’euros. « Un montant limité mais ce sont les seules disponibilités qui nous restaient encore sur nos trois programmes opérationnels », témoigne Samuel Brossard, délégué régional Europe et International de la région. « Les montants reprogrammés ne devraient pas couvrir les besoins des porteurs de projets mais on n’avait pas assez d’argent non consommé à disposition. Les fonds étaient soit programmés, soit en cours de programmation, en tout cas déjà fléchés. »
Quels projets les régions privilégient-elles ? « L’accent est mis sur tout ce qui touche à l’acquisition d’équipements de protection individuelle et sanitaires – masques, combinaisons, respirateurs –, à l’aide à la trésorerie pour les PME, le secteur BTP, etcelui du tourisme. On a aussi eu des projets de continuité pédagogique avec les outils numériques, l’accompagnement des personnes fragiles en sortir de confinement », explique Sandra Chaignon. En Bretagne, c’est une commande de 2 millions de masques chirurgicaux passée par la région, les départements et Brest Métropole qui a été financée par ce dispositif, en plus de 700 000 flacons de gels hydro-alcooliques redistribués aux intercommunalités. La région Provence Alpes-Côte d’Azur vient de clore un appel estampillé «CRII » à destination des établissements d’enseignement supérieur, pour des projets soutenant le développement d’offres de formation à distance, d’achat d’équipement, de formation du personnel, etc.
En Nouvelle-Aquitaine, les trois programmes modifiés ciblent quasi exclusivement le soutien à l’achat d’équipements de protection individuel pour les personnels de la santé et les agents des services publics et des collectivités : masques, blouses, sur-chaussures, etc. « On a travaillé avec les collectivités, les départements, les agglomérations pour identifier leurs besoins. Ils nous déposent leurs dossiers », explique Samuel Brossard. Avec des commandes passées par la région et les départements qui dépassent parfois le million d’euros, le dispositif n’a toutefois pas été pensé pour les petites communes. « On a 4 500 communes, il était hors de question pour nous de faire autant de dossiers que de communes, on ne pouvait tout simplement pas y répondre », justifie Samuel Brossard. Ce qui n’empêche pas que certaines commandes ont pu être ensuite redistribuées aux communes.
Avantage du dispositif : la Commission européenne a prévu la possibilité d’un cofinancement à 100 % – une possibilité dont s’est par exemple saisie la Nouvelle-Aquitaine – signifiant que la dépense peut être entièrement prise en charge par les fonds structurels. Pas besoin, ici, d’une contrepartie régionale, et c’est une exception par rapport au mode de fonctionnement habituel des fonds européens.
Autre avantage : la rapidité avec laquelle les modifications ont pu être validées par les services de la Commission européenne. Clairement, on est ici encore dans l’exception par rapport à la manière habituelle de travailler à Bruxelles. « Il faut le reconnaître : notre modification a été validée en trois semaines. Ce n’est jamais arrivé ! », admet Samuel Brossard. De là à parler de véritable simplification… Si la Commission européenne a vanté la flexibilité de son dispositif, la réalité sur le terrain semble plus compliquée. « En matière de simplification, je ne sais pas si c’est ce qu’on attendait, regrette Samuel Brossard. Pour les commandes d’urgence d’équipements de protection, on aurait aimé avoir un peu de souplesse par rapport aux règles habituelles, sur des montants limités, sur les marchés publics par exemple. Cela n’a pas été le cas. »
Le dispositif «CRII » est certainement bienvenu dans les régions pour répondre à la crise sanitaire, mais c’est surtout l’argent supplémentaire que Bruxelles va réserver aux fonds structurels, via le plan de relance européen, qui doit faire la différence. Si les montants définitifs ne sont pas encore connus, l’initiative – appelée « REACT-UE » – devrait ramener entre 3,5 et 4,4 milliards d’euros à la France (lire ci-contre). Le travail est en cours, au sein des régions, pour identifier les grands axes d’utilisation de cette manne supplémentaire. C’est le moment, pour les collectivités, de faire remonter leurs besoins.
Isabelle SMETS