Que restera-t-il de ce cri d’alarme ? Le 2 octobre, le secrétaire d’État aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, répondant aux questions des sénateurs, reconnaissait une forme de responsabilité collective. Mais si les constats du rapport ne sont pas remis en cause, «on est encore loin de prendre la mesure des risques, sans véritable annonce du gouvernement », déplore Hervé Maurey. Concentrés sur les ouvrages de l’État, les efforts budgétaires – pourtant réels – semblent malgré tout insuffisants. Outre la hausse des crédits dédiés à leur entretien selon une trajectoire établie jusqu’en 2023, la loi d’orientation des mobilités (LOM), qui a été définitivement votée le 19 novembre, a acté la pérennisation du Conseil d’orientation des infrastructures, essentiel pour contrôler la mise en œuvre de la programmation. La LOM a aussi en partie sanctuarisé les ressources de l’Agence de financement des infrastructures de transport en France (Afitf), créée en 2003 pour financer les interventions de l’État dans les infrastructures de transport, ainsi que dans les transports collectifs urbains et les équipements routiers.
Côté collectivités, la proposition des sénateurs de réaffecter l’enveloppe dédiée à la sécurité des tunnels, créée en 1999 en réponse à la catastrophe du Mont-Blanc, n’a pas été retenue. Et la future Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) ne sera pas le guichet unique de l’ingénierie territoriale comme le préconisait le Sénat, le décret n° 2019-1190 du 18 novembre 2019 relatif à l’ANCT écartant le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) de son périmètre.
Seule la préconisation d’une gestion patrimoniale des ouvrages d’art semble avoir été entendue. « Mesure à double détente pour les collectivités », selon le sénateur et co-rapporteur Patrick Chaize, l’intégration de l’amortissement de ces ouvrages à la section investissement des budgets locaux permettrait, à terme, leur autofinancement. Une « simple amélioration fiscale » en somme, devant permettre aux collectivités de récupérer la TVA. Mais pour le vice-président de la commission de l’amé- nagement du territoire du Sénat, le problème reste «la mobilisation des ressources » afin d’« amorcer la pompe » dans les territoires. De ce point de vue, le compte n’y est pas : les fonds espérés dès 2020 sont annoncés pour 2023 (dans le cadre des crédits de régénération du réseau routier inscrits dans la LOM), et ne profiteront qu’aux seuls ouvrages de l’État.
La question du financement est cruciale car les ponts rappellent parfois subitement les élus à leur responsabilité de maître d’ouvrage. À Guérard et Tigeaux (77), où se sont rendus les sénateurs, deux ponts très dégradés ont dû être fermés à la circulation en 2014. Depuis, les habitants doivent allonger leurs temps de déplacement – sans compter le report de trafic sur la route départementale voisine. Estimés à 1 ME par pont (soit un tiers du budget annuel de la commune de Guérard), les travaux n’ont pas pu démarrer faute de financement suffisant. Tigeaux n’a pu entamer les travaux en dépit d’une subvention de 125 000 E attribuée au titre de la dotation d’équipement des territoires ruraux 2015 à la commune pour la première partie du chantier.
À Wizernes (62), où s’est rendu le sénateur Michel Dagbert dans le cadre de la mission d’information, le pont de la rue Mendès France est un cas d’école des difficultés rencontrées par les communes dans la gestion de leurs ouvrages d’art. Desservant une usine fermée en 2015 mais reprise en 2019, ce pont, très dégradé (classé 3U), est le seul point de passage possible pour les 40 camions nécessaires à la production quotidienne de l’usine. Après inspection, le pilier central de l’ouvrage se révèle «gravement altéré ». Le devis, 800 000 E au total, est disproportionné par rapport au budget communal.Devoir de vigilance
Depuis lors, le maire toque à toutes les portes pour obtenir un soutien financier : préfecture, conseil départemental, parlementaires, ou encore le conseil d’administration de la société ayant repris l’usine. Pour autant, pas de « pont en or » en vue, mais la poursuite du combat mené avec le soutien des salariés licenciés en 2015, dont 52 ont été réintégrés dans l’usine. Financés par la commune, des travaux de consolidation du pont ont été réalisés pour permettre aux camions de passer, en attendant la construction d’un nouvel ouvrage.
Autre élément souligné par le cas de Wizernes : le changement climatique est – et sera de plus en plus – déterminant dans l’usure des ouvrages d’art, à l’instar des multiples crues de l’Aa et de la sécheresse ayant dégradé le pont de la commune. Christophe Ferrari, maire de Pont-de-Claix (38) et président de Grenoble-Alpes Métropole, alertait déjà, au nom de l’AMF, sur ce potentiel «effet d’accroissement des vulnérabilités », au Sénat, le 31 janvier 2019, dans le cadre des travaux de la mission d’information.
La sécurité des ponts « n’est pas qu’une histoire de gros sous » pour Patrick Chaize, mais aussi une « question de volonté politique et d’accompagnement des collectivités ».
(1) Rapport d’information du Sénat n° 609, Sécurité des ponts : éviter un drame.
Caroline SAINT-ANDRÉ