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Selon l'ANACT, 21 % des agents publics avaient déjà pratiqué le télétravail avant le confinement. 86 % souhaiteraient le poursuivre.
La crise sanitaire a été l’occasion d’une expérimentation grandeur nature du télétravail, non seulement dans le cadre des plans de continuité de l’activité (PCA) mais aussi avec les plans de reprise d’activité (PRA). À la demande du gouvernement, le télétravail, facilité par le décret n° 2020-524 du 5 mai 2020 (lire ci-dessous), est resté en effet la priorité, quand cela était possible, durant la période d’urgence sanitaire prorogée jusqu’au 10 juillet. Toutes les collectivités (communes, EPCI) ont dû s’y mettre. Bien sûr, on ne parle pas des agents techniques, mais des agents administratifs, des chefs de service et des services support (ressources humaines, commande publique, informatique, comptabilité…). À Salaise-sur-Sanne (Isère, 4513hab.) par exemple, «seuls cinq à six agents administratifs sur trente étaient présents physiquement (le directeur général des services – DGS–, le responsable communication, un accueil et un secrétariat)»,explique le maire, Gilles Vial. Même chose à la communauté de communes de L’île d’Oléron (CCIO, Charente-Maritime, 23 324 hab.) où une dizaine d’agents seulement sur une centaine sont restés sur place. À Saint-Amand-Montrond (Cher, 9 437 hab.), certains services (finances, RH, direction générale, cabinet du maire) ont fonctionné de manière mixte, en présentiel et en télétravail. Depuis le déconfinement progressif du 11 mai dernier, le télétravail reste la règle dans certaines collectivités (CCIO par exemple) ou il est devenu partiel (2 à 3 jours à Salaise-sur-Sanne). Le volet matériel (lire ci-contre) n’a pas été un obstacle pour les collectivités qui avaient déjà auparavant expérimenté le télétravail (CCIO par exemple). Pour les petites collectivités sans moyen, le télétravail pouvait être compliqué. Mais souvent, celles-ci n’ayant qu’un seul agent administratif, le travail sur place restait donc possible. L’impossibilité d’accès à la photocopie ou au service courrier a pu poser problème. À la CCIO, «un référent par service a été autorisé à accéder à la photocopieuse», souligne le directeur général des services Joseph Hughes.
Télétravail : de nouvelles règles
Le décret du 5 mai 2020 sur les conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique modifie les règles du décret du 11 février 2016. Le télétravail peut avoir lieu au domicile de l’agent et désormais aussi «dans un autre lieu privé». Il peut être organisé de façon «régulière ou ponctuelle » (jours fixes dans la semaine ou le mois), ou par un système de jours flottants par semaine, par mois ou par an. En cas d’utilisation de ce système ou dans le cas d’une autorisation temporaire de télétravail, «l’administration peut autoriser l’utilisation de l’équipement informatique personnel de l’agent ». Il ne revient plus à l’autorité territoriale d’apprécier «la conformité des installations » du domicile de l’agent aux spécifications. C’est l’agent demandeur qui doit fournir «une attestation de conformité » dont le contenu sera précisé par arrêté. Désormais, l’autorisation de télétravailler est délivrée sans délai. L’agent doit toujours présenter une nouvelle demande «en cas de changement de fonctions». L’employeur doit prendre en charge matériels, logiciels, communications mais pas le coût de la location d’un espace destiné au télétravail, sauf pour un agent en situation de handicap.
Maintenir la cohésion
Les outils numériques de planification ont pu aider, comme à la CCIO, à organiser le travail (planning d’intervention, gestion des priorités, photos des travaux, reporting pour les élus…) au moyen d’une communication vers les smartphones des agents via certaines applications (Atal, As-Tech, Majikian, Artelisoft…). Objectif : permettre aux services techniques d’éviter des réunions physiques. Mais ces outils sont encore peu utilisés, tout au moins dans les petites ou moyennes collectivités.
Globalement, l’adaptation a été d’autant plus rapide que la collectivité avait expérimenté le télétravail avant la crise sanitaire, c’està-dire qu’elle était prête sur le plan technique. «Dès le début du confinement le 17 mars, nous avions organisé le télétravail dans tous les services administratifs», note Joseph Hughes à la communauté de communes de L’île d’Oléron. Avec le covid-19, il a fallu «télémanager», et donc changer certaines habitudes. À Salaise-sur-Sanne, une cellule covid (mairie, directeur général des services, adjoints et chefs de service), reprenant la composition de la cellule du plan communal de sauvegarde, a été installée. «La réunion se tenait quotidiennement dans un premier temps puis deux à trois fois par semaine en téléconférence. Elle était très utile», indique le maire Gilles Vial. Les outils de visio-conférence (Skype, Hangout, Zoom, Tixeo, Rainbow, Jitsi Meet…) ont été très utilisés. Un peu partout, le défi était de garder le contact avec les agents.«Les responsables de services, en lien étroit avec la DGS, sont restés en contact par échanges téléphoniques et envois d’e-mails réguliers»,assure Amélie Gonzalez, DGS de Saint-AmandMontrond. Pour éviter l’overdose d’e-mails, les outils de répartition de tâches (Trello), de communication entre agents (Slack, WhatsApp…) ou l’intranet ont été employés et seront amenés à se généraliser. Pour garder la cohésion, à la CCIO, le DGS a rédigé, «sur un ton léger», une newsletter interne, d’abord hebdomadaire puis bimensuelle, envoyée le vendredi soir pour donner des nouvelles des collègues, de la CCIO, des décisions des élus. Salaise-sur-Sanne a diffusé, elle, début avril, une édition spéciale de sa revue de communication interne. Certains agents, incités par la commune, ont profité de la période pour se former à distance.
Avis d’expert
Philippe Rassat, consultant spécialisé en télétravail en secteur public (Citica)
« La fonction publique territoriale est la première des trois fonctions publiques à avoir déployé le télétravail.
Avec le décret du 5 mai 2020, le télétravail peut désormais se faire sur trois jours maximum par semaine : un à trois jours fixes par semaine ou un système de jours flottants par mois ou par an. C’est plus de souplesse : par exemple, dans certains services où les réunions sont fréquentes, le jour flottant est plus pratique. Nous ne conseillons pas plus de deux jours par semaine : au-delà, on risque les problèmes de rupture avec l’équipe et l’isolement des agents. Le télétravail s’anticipe aussi sur les aspects techniques.
Face aux risques de piratage, une charte informatique doit définir les données (nominatives par exemple) pouvant sortir ou non et sous quel format (papier ou numérique). On peut aller plus loin avec de la gestion électronique de documents ou du travail collectif distant (Digital Workplace par exemple). Avec cette crise sanitaire, des élus qui n’y croyaient pas ont vu que les agents travaillaient. On ira plus loin que les 10 à 20 % de télétravailleurs actuels. C’est une chance pour l’aménagement des territoires ruraux. Attention aussi au droit à la déconnexion qu’il va falloir gérer. Il faut prévoir des garde-fous pour éviter le télétravail sauvage. »
Frédéric VILLE
n°381 - Juillet-août 2020