Interco et territoires
01/01/2020
Sécurité - sécurité civile

Protéger les populations, un défi majeur face au risque nucléaire

Les communes sont en première ligne. Exemple autour de la centrale de Saint-Alban-Saint-Maurice-l'Exil (38) qui impacte 137 communes dans cinq départements.

Le plan particulier d'intervention est élargi dans un rayon de 20 km autour des centrales.
Le risque zéro n’existe pas et l’accident, en 2011, de la centrale de Fukushima, au Japon, est là pour le rappeler. La France en a tiré des leçons et pris un certain nombre de mesures : élargissement des périmètres de protection, distribution de comprimés d’iode stable, mise en place de plans communaux de sauvegarde (PCS)… Les communes sont largement impliquées et doivent s’adapter face à l’évolution de la doctrine de l’État. Le 16 octobre dernier à Roussillon (Isère), dans le cadre des «Matinales de l’Institut des risques majeurs (Irma) », une centaine de personnes, élus et citoyens, étaient réunies pour débattre des nouvelles dispositions et de leurs conséquences. 
La protection des populations a évolué à la suite de l’extension en 2016 (1) du périmètre des plans particuliers d’intervention (PPI) de 10 à 20 km autour des centrales nucléaires. «La France dispose de 19 centrales nucléaires. Cet agrandissement du périmètre impacte automatiquement des centaines de communes (lire ci-dessous). 80 % d’entre elles ont déjà réalisé leur PCS, et nous sommes là pour accompagner les élus », a rappelé en introduction Philippe Troutot, président de l’Irma. Une campagne nationale de distribution complémentaire de comprimés d’iode autour des centrales a aussi été lancée en septembre dernier. 

De l’incident mineur à l’accident grave

Elle concerne 2,2 millions de personnes, 204 000 ERP (dont 1 800 écoles) dans 1 063 communes, sur 33 départements (2). En Auvergne-Rhône-Alpes, pour les quatre centrales nucléaires concernées par cette mesure, 726 000 habitants répartis sur 277 communes sont directement visés par cette campagne. « Au niveau local, la préparation, la formation, les exercices impliquant les populations sont indispensables. Il faut s’entraîner pour être prêt », souligne également Philippe Troutot. 
Même point de vue de Robert Duranton, maire de Roussillon (38), commune située dans le périmètre de la centrale de Saint-Alban-Saint-Maurice-l’Exil : « Il faut développer la culture du risque chez nos administrés sans pour autant créer une psychose. Comme pour le risque chimique, face au risque nucléaire nous devons savoir comment réagir, annoncer la vérité et faire face sans panique. » Pour cette centrale, le nouveau PPI sur la zone des 20 km a été approuvé le 9 juillet dernier. 89 nouvelles communes regroupant 260 000 habitants sur un total de 137 sont désormais concernées sur cinq départements (Ardèche, Drôme, Loire, Rhône et Isère). 
Située sur la rive gauche du Rhône, la centrale de Saint-Alban s’étend sur 180 hectares. Elle emploie 789 salariés d’EDF et 450 prestataires permanents. Le site est stratégique, le long des grandes voies de circulation Nord-Sud, à 17 km au sud de Vienne et à 50 km de Lyon, métropole de plus d’un million d’habitants qui pourrait être impactée en cas de nuage radioactif. En fonction de la gravité de l’incident, voire d’un accident sur ce site, quatre situations peuvent se présenter déclenchant chacune une réaction différente. Dans le cas d’un incident sans risque radiologique (1re situation), l’exploitant le prend en charge et les préfectures des cinq départements répercutent l’alerte aux communes. 

Les maires, relais indispensables

Le préfet de l’Isère déclenche une phase de veille et la mise en œuvre d’une pré-alerte qui permettra, par exemple, de préparer des locaux d’accueil des populations en cas d’évacuation ultérieure. Si la situation évolue défavorablement (2e situation), le PPI est déclenché. Si l’incident a entrainé des rejets radioactifs dans l’atmosphère (3e situation), le directeur de la centrale déclenche l’alerte à la population, demande l’interruption des circulations de transit tandis que la préfecture lance le processus de mise à l’abri immédiate des populations situées dans une zone de 2 km (7 communes) et l’évacuation dans la zone des 5 km (19 communes). Le secteur est alors bouclé par la gendarmerie. Enfin, si le rejet radioactif est différé et sur un temps long (4e situation), le périmètre des 20 km va alors s’appliquer : information des populations, bouclage du périmètre, déviation du trafic, protection des habitants, interdiction de consommer eau et denrées susceptibles d’être contaminées, confinement des enfants dans les écoles, des salariés dans les entreprises ou des spectateurs dans les salles de spectacle. « Tous ces établissements doivent avoir en réserve des comprimés d’iode », rappelle Bruno Ciry, en charge de la protection civile à la préfecture de l’Isère. Au-delà de six heures d’alerte, l’évacuation des populations est envisagée. Plusieurs centres d’accueil sont prévus à Bourgoin, Saint-Priest, Grenoble… « Il ne faut pas oublier que l’évacuation peut être temporaire mais aussi durer plusieurs années », précise-t-il. 
À travers le PPI, la gestion de l’urgence vise principalement à protéger les populations d’un panache ou d’une menace de panache radioactif alors que la gestion post-accidentelle s’attache principalement à protéger la population des dépôts radioactifs. Toutes ces mesures sont relayées par les plans communaux de sauvegarde. « Les maires sont au cœur du dispositif, ils constituent un relais local indispensable », analyse Bruno Ciry. Sur la zone de Saint-Alban, la distribution de comprimés d’iode est en cours. 80 pharmaciens font office de relais auprès des populations. Il existe aussi des centres répartiteurs si la population située au-delà de la zone des 20 km devaient à son tour prendre des comprimés d’iode, ce qui relève, dans ce cas, d’une décision au niveau national et non plus départemental. Si tout semble prévu pour protéger les populations, les responsables sont conscients qu’en cas d’évacuation, les deux axes possibles que sont la N7 et l’A7 seront très vite saturés, ce qui constituera une difficulté supplémentaire pour acheminer les secours.

(1) Circulaire NOR : INTE1627472J du 03/10/2016.
(2) Lire Maire info du 18 septembre 2019.


• Lire Maires de France, n° 358, juin 2018, p. 50 ; et n° 364, janvier 2019, p. 48.
• Le site sur les PPI nucléaires : www.distribution-iode.com
• L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) : www.asn.fr
• L’Institut des risques majeurs : www.irma-grenoble.com/

Extension des PPI : conséquences pour les communes
La première conséquence de l’augmentation du périmètre des plans particuliers d’intervention (PPI) de 10 à 20 km autour des installations à risque se traduit par l’obligation de réaliser un plan communal de sauvegarde avec un volet nucléaire pour les communes nouvellement incluses dans ce périmètre. En Auvergne-Rhône-Alpes, 200 communes sont concernées, soit 50 % des communes intégrées dans ce nouveau périmètre. Deuxième conséquence : la révision du périmètre de distribution des comprimés d’iode stable. 
En France, 1 588 communes sont désormais concernées contre 512 auparavant. Enfin, il faut préciser aux habitants la marche à suivre en fonction de la distance de leur logement par rapport à la centrale (confinement ou évacuation). L’évacuation constitue la mesure la plus impactante si elle se prolonge : perte de logement, de travail. Il faut donc se questionner sur les conditions globales de relogement.

 

Trois questions à
Richard Escoffier, adjoint au chef de la division
de Lyon de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN)
« À Fukushima, la réponse à un accident majeur n’était pas planifiée »
Quelles leçons l’ASN a-t-elle tirées de la catastrophe de Fukushima ?
Des missions d’analyse et de retours d’expérience se sont multipliées après cet accident, notamment sur la phase post-accidentelle. En 2011, le Japon a dû faire face à une catastrophe naturelle, un tremblement de terre. La centrale a résisté, sa conception ayant intégré ce risque. Puis 20 minutes plus tard, alors que les autorités pensaient que tout était sous contrôle arrive le tsunami. Et là, 4 réacteurs sont détruits. L’ASN a réalisé de nouvelles études sur les centrales et a doublé ses jours d’inspection. Dès 2012, il a été décidé de renforcer la sécurité sur les sites français. 
Quelles mesures ont été prises ?
L’objectif est de maintenir un minimum de fonctions pour limiter les conséquences d’un accident. Cela suppose notamment d’augmenter les moyens de communication et de transports en soutien aux secours traditionnels. L’urgence est de refroidir le cœur de la centrale. Des puits ont été creusés afin de pouvoir puiser dans les nappes phréatiques si les cours d’eau utilisés habituellement ne sont plus opérationnels. Des générateurs électriques supplémentaires ont également été construits sur pilotis, capables de résister aux tornades. Des centres de crise ont été construits pour le personnel.
Et pour les populations ?
À Fukushima, la réponse à un accident majeur n’était pas planifiée. Ainsi, deux décisions successives d’évacuation sur 2 puis 3 km ont été prises à deux heures d’intervalles par deux autorités différentes, territoriales puis nationales. Les populations, au lieu de se mettre à l’abri, ont fui, créant de la surmortalité. En France, en 2014, un plan national de réponse à un accident nucléaire majeur a été mis en place, décliné au niveau zonal et départemental, d’où l’évolution des PPI qui sont tenus de considérer la réalité géographique locale. À cela s’ajoute la distribution d’iode et le développement d’une culture du risque dans la population par des actions d’information.
Propos recueillis par C. P.

 

37 CLI en France
Généralisées en France par la circulaire Mauroy en 1981 puis confortées par la loi sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire en 2006, on dénombre 37 commissions locales d’information (CLI) en France. L’État ou les exploitants doivent les consulter s’agissant de l’autorisation de création ou du démantèlement d’une installation, de prescriptions relatives aux effluents et à la protection de l’environnement. Souvent, elles sont mises en place et financées par les conseils départementaux. Mais selon l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (ANCCLI), leurs moyens restent insuffisants. www.anccli.org 
Catherine PAYEN
n°375 - janvier 2020