Il y avait donc urgence et, devant l’enjeu, l’État et les collectivités jouent collectif pour apporter des solutions concrètes aux besoins des entreprises. « Alors que la loi NOTRe avait renvoyé chaque collectivité dans son champ de compétence, le contexte actuel démontre qu’il y a un vrai besoin d’échange, de collaboration, de coordination et de mise en cohérence des initiatives. La crise du Coronavirus réoriente les relations État-régions et conduit chaque collectivité à s’adapter pour participer à l’effort commun », constate David Constant-Martini, conseiller de l’association France urbaine. Le gouvernement a ainsi associé les régions au financement d’un fonds de solidarité national au bénéfice notamment des très petites entreprises (TPE) (lire ci-contre). Doté de
7 milliards d’euros, celui-ci est financé à hauteur de 500 millions d’euros par une participation volontaire des régions mais d’autres collectivités sont invitées à y participer. Toutes les régions ont répondu à l’appel, à commencer par la région Sud-PACA qui a versé 18 millions d’euros ou encore la région Bretagne qui abonde le fonds à hauteur de 10,5 millions d’euros.
Comme le fléchage de ces contributions n’est pas assuré, les collectivités ont complété le dispositif national par des mesures locales destinées à soutenir les entreprises de leur territoire. De nombreux plans d’urgence intégrant des prêts à taux zéro à remboursements différés, des cautions et garanties bancaires, voire des subventions directes ont été mis sur pied en collaboration avec divers partenaires, comme la BPI et la Banque des territoires. Associant le plus souvent les régions, les départements, les métropoles et les autres communautés, ces plans d’urgence soulignent la volonté de coopération des différentes collectivités. Comme la région Grand Est qui a lancé son plan «Covid Résistance » (44 M€), la Région Pays de la Loire a créé son Fonds territorial résilience qui réunit les cinq départements, les plus grandes agglomérations (Nantes, Angers, Le Mans, Laval, Cholet, Saint-Nazaire…) ainsi que les trois quarts des communautés de communes (Sablé-sur-Sarthe, Châteaubriant…). Le principe de répartition est simple : chaque collectivité engagée contribue à hauteur de 2 € par habitant et les fonds (d’un montant minimum de 52 M€) resteront mobilisés au profit des entreprises des EPCI contributeurs. « Il y a une forte mobilisation collective pour combler les trous dans la raquette et soutenir les TPE qui ne répondraient pas aux critères du fonds de solidarité et sont néanmoins en difficulté », insiste la présidente des Pays de la Loire, Christelle Morançais.
De son côté, le département des Alpes-Maritimes consacre 5 M€ au soutien des entreprises du territoire. La métropole de Nice et diverses communautés d’agglomération (Riviera Française, Cannes Pays de Lérins, Sophia Antipolis, Pays de Grasse…) abondent ce plan d’urgence finalement doté de 8 M€ et géré par la chambre consulaire, qui fait office de « guichet unique ». À chaque fois, le mot d’ordre est « simplicité d’instruction et réactivité des décisions ». « Le premier jour d’activation du dispositif, le 31 mars, nous avons reçu 90 dossiers dont les demandes ont été traitées dans la semaine », rapporte Peggy Misiraca-Teychene, directrice Appui aux entreprises et au Territoire de la CCI Nice Côte-d’Azur.
Maires et présidents d’EPCI ne sont pas en reste. D’abord en relayant massivement l’information sur les dispositifs de soutien mis en place par le gouvernement et les régions. Même en télétravail, les services chargés du développement économique ont été grandement mis à contribution pour assurer une veille juridique et diffuser une information synthétique de qualité aux chefs d’entreprise. De nombreuses cellules d’appui ont été constituées, souvent en lien étroit avec les chambres consulaires, pour contacter directement les entreprises afin d’expliciter les dispositifs, orienter les demandes et aider à la constitution de dossiers. « En deux semaines, nous avons envoyé 1 000 mails et appelé 120 chefs d’entreprise au téléphone pour faire le point et les rassurer », confie Nathalie Wissocq, directrice générale des services de la communauté de communes des Hauts de Flandre (40 communes, 54 000 hab.). Une démarche appréciée par les intéressés. « Entre les annonces dans la presse, les ordonnances et les décrets, il était complexe de s’y retrouver au début de la crise. D’autant que certaines plateformes informatiques ont rapidement buggées… Même si leurs moyens sont limités, les EPCI ont répondu présents pour nous aider à comprendre les dispositifs et apporter l’ingénierie financière nécessaire », témoigne Raymond Vincent, gérant d’une société de transports de voyageurs dans le Nord.
Tout en adhérant aux dispositifs élaborés par les départements et les régions, certains EPCI et communes n’hésitent pas à donner leurs propres coups de pouce aux petites entreprises locales. Ainsi, de nombreuses communautés ont choisi de suspendre les loyers des entreprises logées dans les bâtiments publics et confirmé qu’elles n’appliqueraient aucune pénalité de retard sur les contrats de délégations en cours ou les marchés publics, comme une ordonnance du 25 mars 2020 les y autorise (lire pp. 48-49). Une mesure « élégante » et une vraie bouffée d’oxygène pour Marie Taupin, dont la mairie de Chaize-Giraud (85) a suspendu sine die le loyer de son institut de beauté en zone rurale. D’autres EPCI ont gelé tous les paiements de charges dues par les entreprises (redevances, concessions, etc.) et accéléré le versement des subventions déjà votées. La communauté de communes des Hauts de Flandre a créé un « fonds de secours » dont l’enveloppe de 15 000 € sera consacrée au soutien des toutes petites entreprises.
De son côté, la communauté urbaine de Dunkerque (21 communes, 202 000 habitants) a décidé de consacrer 500 000 € à un fonds de secours au bénéfice des entrepreneurs indépendants de l’agglomération (artisans, commerçants… ). D’autres EPCI s’allient : les communautés d’agglomération du Pays de Saint-Omer et du Pays de Lumbres (62) ont décidé de créer ensemble un fonds d’urgence de 300 000 €. À chaque fois, il s’agit de venir en complément du dispositif national, avec des critères moins restrictifs, afin de ne laisser aucun entrepreneur sur le carreau.
La créativité ne manque pas pour élaborer de nouveaux modes d’appuis, aussi bien en nature qu’en numéraire. L’Association des maires ruraux de France et le mouvement « Bouge ton coq » ont ainsi lancé une souscription, sous la forme d’apéros solidaires, pour sauver les petits commerces des villages. Mais le contexte électoral et le report du second tour des municipales ne facilitent pas les choses. « Nous avons suspendu tous les loyers des bâtiments publics occupés par les entreprises et nous souhaitons également abonder le fonds régional, mais il était difficile de rediriger des crédits déjà affectés sans un nouveau vote… », détaille Éric Hervouet, président de la commission développement économique-culture-tourisme de la communauté de communes Terre de Montaigu (10 communes, 48 000 hab.), en Vendée. De fait, il a fallu attendre une ordonnance du 1er avril 2020 pour connaître plus précisément le fonctionnement des assemblées délibérantes pendant la période de crise sanitaire d’entre deux tours (lire pp. 58-59). Et agir.
« À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles », résume Christine Le Strat, présidente de Pontivy Communauté (56). D’ailleurs, pour que les communes et les EPCI puissent disposer d’une latitude supplémentaire, de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer la possibilité, cette année, d’inscrire les aides aux entreprises à la rubrique des investissements plutôt qu’à celle du fonctionnement, comme l’exigent les règles de la comptabilité publique. Une tolérance déjà consentie aux régions pour leurs contributions au fonds de solidarité national. « On le sait : la “survie” de petites entreprises directement touchées par la crise passe inévitablement par l’octroi de subventions exceptionnelles. Or, la crise va mécaniquement entraîner une baisse des recettes tandis que les dépenses d’équipement seront mises en sommeil avec l’arrêt ou le ralentissement des chantiers. Assimiler les dispositifs d’aides d’urgence à des subventions d’équipement permettrait de disposer d’un levier d’intervention plus conséquent et d’ajouter un zéro à toutes les aides envisagées », fait valoir Hervé Chérubini, maire de Saint-Rémy de Provence (13).
Reste à préparer l’« après » crise et certains s’y attèlent déjà. Pas seulement avec des mesures classiques d’investissements et d’équipement, mais aussi par le biais d’une réindustrialisation des territoires. Véritables traits d’union entre les collectivités et les entreprises, les agences économique et d’attractivité sont particulièrement engagées dans cette voie. C’est notamment le cas de « Hello Lille », habituellement dévolue à la promotion de la métropole lilloise, chargée de mobiliser les acteurs du tourisme et de l’événementiel pour concevoir un plan de relance de l’activité locale pour ces deux secteurs ravagés par la crise. De son côté, l’agence économique régionale de Bourgogne-Franche-Comté organise des sessions d’intelligence collective à destination des entreprises afin d’anticiper la reprise. Même démarche de la région Grand Est qui met sur pied des « pactes de relocalisation » pour encourager, aider et accompagner les entreprises de son territoire qui souhaitent rapatrier localement une partie de leur chaîne d’approvisionnement, avec le concours des agences de développement et d’attractivité.
Thierry BUTZBACH