Sur la gestion de la crise, le maire de Brunstatt-Didenheim note lui aussi que les choses ont été faites de manière identique dans les deux communes fusionnées. Mais il lui apparaît indispensable de «maintenir les deux maires délégués, ce qui compte beaucoup aux yeux des habitants dans une crise comme celle-là, car les gens ont chacun leur référent ».
Au Haut-Soultzbach (2 communes, Haut-Rhin), le maire, Franck Dudt, reconnaît que l’existence de la commune nouvelle n’a pas « changé fondamentalement ce que nous aurions fait si nous avions été séparés ». Mais néanmoins, la crise et ses conséquences ont permis de prendre des décisions relatives à la gestion de la commune nouvelle qui auraient été plus difficiles à prendre autrement. « Nous avons une mairie siège et une mairie annexe, toutes deux fermées pendant le confinement. Durant toute cette période, une épicerie du bourg a accepté de faire la distribution des sacs jaunes pour les déchets – y compris les samedis et dimanches. Or, la récupération de ces sacs représente 80 % des passages dans la mairie annexe ! À la fin du confinement, nous avons rouvert la mairie siège, mais pas la mairie annexe, qui a besoin de travaux de rénovation. Comme l’épicerie a accepté de continuer à distribuer les sacs, nous avons pris la décision de fermer définitivement la mairie annexe – et les habitants n’y ont pas vu d’inconvénient. »
En Normandie aussi, la crise a permis de tester de nouvelles formes d’organisation susceptibles d’être pérennisées pour gagner en efficacité. Chez Jean-Marc Vasse, à Terre-de-Caux, « on a tourné au ralenti pendant 55 jours et maintenant, on peut faire le point et se demander ce que l’on garde et ce que l’on arrête ». Par exemple, la commune a, pendant le confinement, supprimé les permanences de 17h00 à 19h00 dans les mairies annexes, avec la présence d’une secrétaire de mairie, remplacées par des prises de rendez-vous. « Maintenant, même après le confinement, on a gardé le système, les élus vont aux rendez-vous seuls, sans secrétaire de mairie. On a été mis en tension et ça a mis en lumière la façon dont on pouvait devenir plus efficaces. » Sans doute, de telles évolutions ont été menées à bien dans des communes classiques. Mais pour Jean-Marc Vasse, « la commune nouvelle, du fait de sa jeunesse, est sans doute plus réactive, plus souple, peut-être moins routinière ». « Efficacité » et « réactivité » sont également les mots employés par Philippe Chalopin. Exemple : l’accueil des enfants des personnels soignants. « Les enfants auraient normalement dû être accueillis à l’école de Baugé, près de l’hôpital. Mais pour des raisons diverses, nous avons dû changer notre fusil d’épaule et organiser l’accueil dans l’école d’une autre commune déléguée. La décision a été prise un soir à 17 heures. Le lendemain à 8 heures, tout était en place. La réactivité a été extrême, et c’est crucial dans ce type de crise. »
Pour le maire de Baugé-en-Anjou, « c’est dans ces moments-là que la commune nouvelle démontre toutes ses vertus : réactivité accrue, harmonisation des pratiques. Je n’ai pas eu un seul retour négatif des habitants, pas un ! La crise épidémique a finalement renforcé notre démarche et la commune nouvelle est apparue comme un véritable outil de protection des habitants. Naturellement, nous n’avons pas fait la commune nouvelle pour ça. Mais quand cela arrive, on s’aperçoit à quel point cela nous a rendus plus forts. »
Un mal pour un bien. Aux dires des maires de communes nouvelles récemment réélus, l’épisode douloureux du Coronavirus a permis d’affirmer aux yeux de tous l’importance de la nouvelle collectivité. « Nous accueillons chaque année 700 000 visiteurs, dont 40 % d’étrangers. Le confinement et le tarissement des flux touristiques ont donc eu un impact économique très fort sur les acteurs locaux. Pourtant, les mesures mises en œuvre pour soutenir les entreprises et relancer l’activité ont permis à la commune nouvelle d’acquérir sa pleine légitimité aux yeux des chefs d’entreprises, en devenant leur interlocuteur privilégié », assure Didier Lechien, maire de Dinan (22). Depuis 2018, cette commune nouvelle réunit les anciennes communes voisines de Dinan et Léhon, pour mutualiser les moyens et les services tout en renforçant leurs poids au sein de l’agglomération. Très vite, la commune a pris la décision de suspendre pendant trois mois les loyers et autres charges des commerces bénéficiant de baux communaux et frappés d’une fermeture administrative (hôtels, cafés, restaurants…) dans le cadre des mesures gouvernementales décidées pour lutter contre la pandémie. De même, dans le cadre du déconfinement, les élus ont souvent décidé de ne pas recouvrer les droits de place liés aux extensions d’activités sédentaires sur le domaine public (terrasses, parking…) sur tout ou partie de 2020. Ni les droits de place temporaires liés aux activités non sédentaires pour les commerçants abonnés aux marchés. Pour la commune nouvelle de Brissac Loire Aubance (49), le manque à gagner s’élève à 27 000 € rien que pour l’annulation des loyers. « En l’absence de commune nouvelle, les décisions auraient été plus longue à prendre, la réaction des services aurait été moindre. En terme de visibilité, cette crise du covid-19 a donc été un plus pour la commune. Les chefs d’entreprises en ont désormais une meilleure perception », note Sylvie Sourisseau, maire de Brissac Loire Aubance. L’existence des communes nouvelles s’est souvent révélée lors de l’octroi d’aides. Née en 2017, Mézidon Vallée d’Auge (14) est une commune nouvelle formée à partir de 14 communes, anciennement regroupées dans un petit EPCI et aujourd’hui intégré dans l’agglomération de Lisieux.
Au printemps, la commune nouvelle a abondé de 200 000 € le fonds de soutien économique de 600 000 € mis sur pied par l’agglomération (en plus des 100 000 € aux fonds de solidarité national et des 300 000 € au fonds régional Impulsion Normandie). « Cette mesure a permis à la commune nouvelle d’exister pleinement aux yeux des chefs d’entreprises, qui ont maintenant pris conscience de qui fait quoi parmi les collectivités », assure François Aubey, maire de Mézidon Vallée d’Auge et président de l’agglomération de Lisieux. Car si l’EPCI possède la compétence de l’action économique, seule la commune dispose de la connaissance du maillage du territoire.
Au-delà des aides d’urgence, la gestion du covid-19 a renforcé les liens de proximité des communes avec le monde économique. Depuis sa création en 2016 à partir de 3 communes, Aime-La-Plagne (73) dispose d’un chargé de mission « économie » qui organise des réunions thématiques pour les 50 entreprises locales. Pendant le confinement, avec les adjoints chargés des affaires économiques, il a maintenu le contact avec elles avant de les visiter une par une à la sortie du confinement pour leur proposer de bénéficier, à titre gratuit, des services d’un expert-comptable pour s’y retrouver parmi tous les dispositifs d’aides auxquelles elles pouvaient prétendre. « Beaucoup de commerçants nous ont dit combien ils avaient été touchés que la commune fasse la démarche d’aller vers eux », commente Corinne Maironi-Gonthier, la maire d’Aime-La-Plagne. « On a joué notre rôle et confirmé notre statut de “porte d’entrée” principale pour les acteurs économiques. On vient nous voir en premier même si nous ne décidons pas tout », complète Christelle Braud, maire de Divatte-sur-Loire (44), issue de la fusion, début 2016, des communes de La Chapelle-Basse-Mer et Barbechat.
Comme souvent, la perspective d’une meilleure mutualisation des moyens et des services jointe à l’assurance de préserver les dotations ont motivé la création de la commune nouvelle. Les élections municipales sont venues consolider le statut de la commune nouvelle, affirment de concert les élus. « La commune nouvelle est devenue une réalité depuis le passage aux urnes sur l’ensemble du nouveau territoire. Les résultats de la consultation ont acté la naissance de la nouvelle commune », insiste Didier Lechien, plébiscité à 66 % dès le 1er tour, à Dinan.
Thierry BUTZBACH
La page des dernières municipales à peine tournée, de nombreux maires élus à la tête des communes nouvelles s’attellent déjà à concrétiser leurs projets. Dès le mois de juin, le conseil municipal d’Argences-en-Aubrac, une commune nouvelle créée en janvier 2017 afin de réunir six communes aveyronnaises (soit 1 600 habitants), a décidé de supprimer mairies et maires délégués des communes historiques : « Les anciennes mairies sont devenues des maisons communales, explique le maire Jean Valadier. L’idée est de s’organiser autour d’une identité unique afin de privilégier la cohésion communale. »
Parallèlement, les élus d’Argences-en-Aubrac ont décidé de mettre en place, dans chaque commune historique, des assemblées de village ; elles seront opérationnelles dès la rentrée. « Ces six instances témoignent d’une mobilisation nouvelle des citoyens pour faire vivre le territoire. C’est un moyen de réinventer de la proximité », s’enthousiasme Jean Valadier. Chacune de ces assemblées sera constituée des deux élus (quatre pour Sainte-Geneviève-sur-Argence, le bourg-centre), de huit habitants volontaires désignés après tirage au sort (dix pour Sainte-Geneviève-sur-Argence) et de deux jeunes âgés de 14 à 18 ans. Des bulletins de candidature pour appeler les citoyens à participer à ces structures ont été diffusés par la mairie dès le début de l’été. « Le rôle de ces assemblées placées sous la responsabilité des élus sera d’informer, de débattre et de faire des propositions en matière de cadre de vie, de petit patrimoine, de chemins de randonnée et d’animations, détaille le maire. Des réunions se tiendront tous les quatre mois au sein de chaque structure. » Cette initiative fait écho à celle qui a vu le jour au sein de Capavenir Vosges, une commune nouvelle réunissant les communes de Thaon-les-Vosges, Girmont et Oncourt, soit environ 9 000 habitants. Dès son élection, Cédric Haxaire a en effet mis sur pied des « comités de proximité » dans lesquels les citoyens sont désormais invités à s’exprimer chaque trimestre. « Nous avons également permis aux agents des mairies déléguées de Girmont et d’Oncourt de signer beaucoup plus de documents en notre nom, afin de renforcer leur légitimité et d’offrir un service public plus fluide, avec davantage de proximité », détaille le nouveau maire.
Mais Cédric Haxaire confie qu’au-delà de ces premières décisions, des choix engageant l’avenir de cette commune nouvelle vont bientôt s’imposer. « J’ai remporté cette élection contre les trois maires qui avaient monté cette fusion début 2016, explique-t-il. La création de notre commune nouvelle, ainsi que son nom, ont été au cœur de cette campagne. » Le nom, d’abord : selon Cédric Haxaire, l’appellation « Capavenir Vosges » évoque davantage une zone industrielle qu’un territoire. « Avec ce nom baroque, on lui a ôté son histoire, sa culture et son identité », estime le nouveau maire. La fusion, ensuite : « Je pense qu’un débat doit s’ouvrir quant au devenir de Girmont et d’Oncourt qui risquent à terme de devenir de simples quartiers de Thaon, avec, à la clé, une perte d’identité de ces villages et un éloignement des citoyens de leur mairie », affirme Cédric Haxaire. Afin « d’éclaircir et de clarifier » cette question, il a donc choisi, comme première étape de son mandat, de lancer, le 8 novembre prochain, un référendum qui devra valider, ou non, le périmètre actuel. La question qui sera posée aux citoyens se veut très claire : « Souhaitez-vous le maintien de la commune nouvelle ? » Ce même jour, une seconde urne recueillera l’avis des administrés concernant le nom de cette commune nouvelle : trois propositions, dont le nom actuel, seront soumises au vote lors de cette consultation citoyenne.
« Une commission dédiée à la préparation de ce référendum va être mise en place, explique le maire. Elle sera également chargée d’examiner les conséquences d’une éventuelle “dé-fusion” ou du maintien de la fusion afin de proposer une vision crédible de l’avenir de notre territoire à long terme. » En fonction du taux de participation, des résultats dans chaque commune et, bien sûr, de l’avis majoritaire concernant la poursuite du processus de fusion, les résultats de ce référendum pourront entraîner plusieurs scénarii. « Je propose aux citoyens d’ouvrir un débat qui, à l’époque de la création de notre commune nouvelle, n’a pas eu lieu », résume Cédric Haxaire.
La procédure de dé-fusion n’est cependant pas prévue par les textes. Dès lors, la seule possibilité est la modification des limites territoriales par le préfet. Ce dernier diligente une enquête publique et institue par arrêté une commission prévue à l’article L. 2112-3 du Code général des collectivités territoriales (CGCT). Une fois les deux avis rendus (avis du commissaire enquêteur et de la commission), les conseils municipaux donnent obligatoirement leur avis. S’il y a modification des limites cantonales, l’avis du conseil départemental est requis. Ce n’est qu’une fois cette procédure terminée (longue et complexe) que le préfet décide de manière discrétionnaire de modifier ou non les limites communales.
Des questions de fond se posent aussi à Céline Laurenties-Barrère, fraîchement élue à la tête de Péguilhan (Haute-Garonne), une commune nouvelle née de la fusion, en janvier 2017, avec le village de Lunax. « La soixantaine d’habitants de Lunax restent attachés à leur village et s’identifient toujours à lui. Dès lors, la disparition de cette commune en tant qu’entité les chagrine un peu, analyse-t-elle. C’est compliqué pour eux de penser que leur village n’existe plus en tant que tel. » Le défi, pour cette élue, comme pour son premier adjoint de Lunax, sera donc de « sortir d’un contexte historique », de « travailler afin de représenter l’ensemble du territoire » et d’accompagner l’ensemble des habitants vers une union « consentie et apaisée »…
D’ici là, Céline Laurenties-Barrère s’est fixé un objectif à plus court terme, à savoir maintenir et développer la vie associative. « Dans un milieu rural comme le nôtre, explique-t-elle, les associations font vivre le territoire. Péguilhan compte environ 300 habitants et pas moins d’une trentaine de structures associatives très dynamiques. Pour mieux les accueillir et permettre que le bénévolat s’exerce dans de bonnes conditions, notre projet est de créer un bâtiment dédié à ce monde associatif. » L’élue note que la création de sa commune nouvelle a déjà apporté un coup de fouet au comité des fêtes : « Auparavant, il y en avait un dans chacune de nos deux communes. Les réunir a permis d’étoffer le nombre de membres et de lui donner une nouvelle impulsion. »
Que ce soit dans les Vosges, en Haute-Garonne ou en Aveyron, force est de constater que la proximité s’impose comme le mot d’ordre du mandat qui débute.
Sarah FINGER
La commune nouvelle a seule la qualité de collectivité territoriale. Sa création n’emporte pas forcément la disparition des anciennes communes dont elle procède. Celles-ci deviennent automatiquement des communes déléguées (avec la création d’une annexe de la mairie dans laquelle sont établis les actes de l’état civil concernant les habitants de la commune déléguée), sauf décision contraire de tous les conseils municipaux prise avant la création de la commune nouvelle ou lors de son extension.
La suppression des communes déléguées est irrévocable, il convient donc d’en mesurer les conséquences et d’anticiper les changements (quid de la mairie annexe, effets sur différents zonages…). C’est la raison pour laquelle il est recommandé d’en informer la population car, juridiquement, la suppression de la commune déléguée engendre la suppression de son nom et de ses limites territoriales.
Le conseil municipal de la commune nouvelle peut revenir sur l’existence de communes déléguées à tout moment, dans un délai qu’il détermine (avec l’accord du maire délégué et du conseil de la commune déléguée s’il existe). La loi du 1er août 2019 permet de supprimer tout ou partie des communes déléguées mais aussi tout ou partie des annexes de la mairie (sans supprimer la commune déléguée), en vue de les mutualiser.
La suppression des communes déléguées engendre la suppression du poste de maire délégué et de l’annexe de la mairie (les actes de l’état civil de la commune déléguée supprimée sont gérés par l’officier d’état civil de la commune nouvelle). Les annexes de la mairie ne seront fermées qu’au 1er janvier de l’année suivante. Mais, pour maintenir un lien de proximité avec les habitants, la DGCL et le ministère de la Justice considèrent qu’il est possible :
• « soit de transformer les anciennes mairies annexes de ces communes déléguées en annexes de la mairie (article L. 2144-2 du CGCT) pour y implanter des services de proximité, qualification qui a pour conséquence d’exclure que des mariages y soient célébrés et enregistrés, de même que des PACS ou d’autres actes d’état civil ;
• soit, si et seulement si le procureur l’autorise, d’affecter ces anciennes mairies annexes des communes déléguées supprimées à la célébration de mariages (article L. 2121-30-1 du CGCT), sans toutefois pouvoir y établir d’autres actes d’état civil ou y enregistrer des PACS. Cette affectation devrait interdire qu’y soient implantés les services de proximité visés par l’article
L. 2144-2, sans nécessairement exclure d’autres utilisations de ces locaux, notamment pour l’accueil de réunions et de manifestations diverses. »
Julie ROUSSEL
Pour aller plus loin
• Présentation des communes nouvelles (mise à jour en juin 2020) : www.amf.asso.fr (réf. CW12746).
• Foire aux questions sur les communes nouvelles (juin 2020). www.amf.asso.fr (réf. CW14201).
• Fonctionnement du conseil municipal d’une commune nouvelle. www.amf.asso.fr (réf. CW14196).
• La gestion de l’état civil dans les communes nouvelles. www.amf.asso.fr (réf. CW14140).
• Les dispositions de la loi de finances pour 2020 impactant les communes nouvelles. www.amf.asso.fr
(réf. BW39814).
• Décryptage de la loi n° 2019-809 du 1er août 2019 visant à adapter l’organisation des communes nouvelles à la diversité des territoires. www.amf.asso.fr (réf. CW39606).
• Une note de l’AMF présente, sous forme de tableau, l’ensemble des communes nouvelles et de leur maire (à l’issue des élections municipales). www.amf.asso.fr (réf. CW40238).