Quand le chef de l’État, le Premier ministre ou le ministre de la Santé annoncent qu’il n’y aura pas de fermeture d’hôpital, les professionnels et les élus sont plus que sceptiques. « Car ce ne sont pas des fermetures d’hôpitaux qui sont en jeu mais leur dépouillement par la fermeture de services, des fusions de direction jusqu’à les rendre presque comme des coquilles vides », analyse Dominique Colas, président de l’Association nationale des centres hospitaliers locaux (ANCHL) (1). Pour lui, « la situation est tout sauf transparente ». Avec, au sein de groupements hospitaliers de territoires (GHT), des petits hôpitaux qui disparaissent de l’intérieur, absorbés par les établissements supports. « Sans même qu’on s’en aperçoive ». Il estime donc que « la restructuration hospitalière se poursuit à bas bruit ».
Le défaut de praticien est un argument pour justifier de la restructuration de services, explique Christophe Prudhomme, porte-parole de l’association des Médecins urgentistes de France (AMUF). « On crée la pénurie pour accélérer ces restructurations », dénonce-t-il, confortant le constat de certains élus. C’est pourquoi le collectif intersyndical regroupant 12 organisations de professionnels de santé insiste sur les embauches et la revalorisation des métiers de l’hôpital. Reste à savoir quelles suites seront données à ces demandes à l’issue du Ségur de la santé, lancé fin mai par le gouvernement et auquel l’AMF a versé sa contribution (lire ci-contre).
Or, même si les petits hôpitaux, hôpitaux locaux ou de proximité ont démontré leur pertinence pendant la crise – ce que l’AMF souligne en demandant leur meilleure reconnaissance dans l’organisation territoriale des soins –, cela ne semble pas suffire à suspendre, reporter ou annuler des fermetures de services ou des fusions au sein de groupements de grande taille. Même les plus gros ne sont pas épargnés. Le CHRU de Nancy doit ainsi rendre 598 postes et 174 lits. L’information a fait grand bruit pendant le confinement, début avril. Le directeur de l’agence régionale de santé du Grand Est, Christophe Lannelongue, en a fait les frais. Ce n’est pas tant son cas qui émeut. « Il lui arrive ce qu’il a fait à d’autres, n’ayant eu aucun scrupule pour démanteler des hôpitaux », glisse un directeur d’hôpital. Mais la brutalité de l’annonce, au plus fort de la crise, n’est pas pour encourager les plus optimistes.
Alde Harmand, maire de Toul (54), n’a pas du tout apprécié que l’hôpital reçoive, lui aussi en pleine épidémie, une notification de l’ARS l’informant d’une baisse de 30 % du fonds d’investissement régional. Soit la part de l’ARS pour la permanence des soins (381 000 e) organisée au sein du centre hospitalier de Toul. « Cela permet de payer les médecins de garde, que ce soit en chirurgie, obstétrique, médecine, qui restent sur place, ce qui nous semble mieux par exemple pour de la chirurgie viscérale, que de s’appuyer sur un médecin d’astreinte, donc à domicile ». Le maire en a « marre », et il reste poli, de devoir « chaque année » faire face à ce type de décisions. « Nous sommes dans un GHT, accolé au CHRU de Nancy et nous n’attendons personne pour développer des coopérations, mais qu’on nous laisse travailler sans injonction ! » Il raille les alibis de concertation, qui servent à camoufler des raisonnements purement financiers. Pour continuer cette permanence des soins, la solution va être de « prendre sur le budget de l’hôpital, explique-t-il. Donc d’alourdir le déficit. L’ARS fait de la gestion de courte durée. » D’autres batailles sont à venir pour le maire réélu, car l’autorisation de l’ARS, pour cette permanence des soins, doit être renouvelée fin 2020… Tandis que les suppressions de lits annoncées à Nancy font craindre une contamination. « Quand le grand frère est malade, les frères et sœurs toussent », s’inquiète le maire.
En Saône-et-Loire, la maire de Montceau-les-Mines lutte sans relâche contre les fermetures. Marie-Claude Jarrot a tenté la voie judiciaire pour que la chirurgie rouvre. En vain. L’action n’a pas aboutie. «C’était symbolique. Je voulais montrer à l’ARS notre détermination et faire passer au ministre de la Santé le message qu’un hôpital ne se gère pas à coup de Copermo » – du nom du Comité interministériel de performance et de la modernisation de l’offre de soins, explique-t-elle. Aujourd’hui, elle veut s’appuyer sur la loi qui permet de créer des blocs de chirurgie ambulatoire dans les hôpitaux de proximité, afin que l’hôpital de Montceau-les-Mines «retrouve une chirurgie de première nécessité. Cela n’a pas de sens d’envoyer les gens à plus de 40 km avec tout ce que cela entraîne de coûts, de stress, de problèmes de mobilité pour une opération de cataracte », estime l’élue. Elle épingle au passage de prétendues économies de gestion lorsque c’est l’équipement payé par l’hôpital de Montceau qui a été déplacé à Paray-le-Monial pour y poursuivre les opérations de cataracte… L’élue est décidée à déposer un dossier auprès de l’ARS. Il reste maintenant à attendre que le décret permettant de créer des blocs de chirurgie ambulatoire paraisse… Mais on attend toujours la publication des ordonnances pour le processus de labellisation des hôpitaux dits de proximité. Ce label a été introduit par la loi adoptée l’été dernier sous l’égide de l’ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn.
La maire de Montceau-les-Mines sait qu’elle ne récupèrera pas la chirurgie cardiaque partie au CHU de Dijon, mais elle reste «optimiste » pour récupérer l’ambulatoire. «Cela a du sens de se battre pour garder des lits de cardiologie, de pneumologie ou d’oncologie par rapport aux besoins du territoire », assure l’élue. Car tout se tient, la chirurgie, les urgences, la ligne de SMUR…
À Altkirch (68), le maire, Nicolas Jander, ne veut rien lâcher non plus. L’hôpital de la commune a perdu sa maternité fin 2019. Le maire avait gagné six mois de sursis. Ils n’ont pas suffi à inverser la décision de l’ARS. «Nous nous sommes rabattus sur les urgences pour les sauver, explique-t-il, car tout un bassin de vie en dépend. » La méthode ? « Participer à toutes les réunions où l’occasion nous est donnée de faire valoir la réalité du terrain et l’importance de maintenir ces urgences », souligne l’élu. Si Altkirch n’est «qu’à » 25 minutes de Mulhouse, ce n’est pas le cas des 110 communes qui dépendent de l’hôpital. Certaines sont à plus d’1h30 de Mulhouse. Le maire espère que l’expérience douloureuse du covid-19 infléchira certaines décisions. Dans cette région où la pandémie a été virulente et meurtrière, l’hôpital d’Altkirch a été transformé en centre Covid (54 lits lui ont été dédiés). «Heureusement qu’il était là pour soulager le CHU de Mulhouse », glisse l’élu. Il souligne la «bonne complémentarité » entre les deux établissements et compte aussi sur la compréhension des médecins de l’intérêt de maintenir une offre de soins de proximité et de qualité.
La qualité et la sécurité, c’est l’argument qui avait été mis en avant par l’ARS pour justifier la fermeture de la maternité. Moins de 500 accouchements. Trop peu, trop risqué. «J’ai demandé des chiffres étayés sur ces risques, on ne m’en a jamais fourni », déplore l’élu. Comme à Saint-Claude, le plus gros risque aujourd’hui est pour lui « que les femmes accouchent dans la voiture ». D’ailleurs, depuis la fermeture de la maternité, les urgences ont dû assurer deux accouchements… Alors Nicolas Jander se projette. Pendant la crise sanitaire, la commune a travaillé sur le lancement d’un contrat local de santé (CLS). D’abord à l’échelle de la ville, et peut être plus tard à l’échelle de l’intercommunalité. Le CLS sera le moyen de renforcer le lien entre la médecine de ville et l’hôpital et de mieux adapter l’offre de soins aux besoins de la population. «C’est le seul moyen pour ne plus subir mais être acteurs ». C’est la position défendue par l’association Élus, Santé publique & Territoires, qui demande à l’État de soutenir «les dynamiques territoriales de santé » incarnée notamment par les CLS (lire p. 31). Et par l’AMF qui, dans sa contribution, demande à l’État de «replacer les élus locaux au cœur des différents outils locaux d’élaboration et/ou de déclinaison des politiques de santé » parmi lesquels les CLS dont les moyens financiers doivent être renforcés.
(1) www.anchl.fr/