Dossiers et enquêtes
01/05/2020
Santé Sécurité - sécurité civile Social

Les services municipaux  à l'épreuve de la crise

Centres communaux d'action sociale, état civil, cantines scolaires, polices municipales, services techniques, laboratoires départementaux d'analyse...,  des agents et des élus sont pleinement engagés dans la gestion du Covid-19.

Les maires au cœur de la République » était le thème du 102e Congrès de l’AMF en novembre dernier. La crise sanitaire en témoigne plus que jamais, s’il en était encore besoin. La lutte contre l’épidémie est une affaire commune, une affaire des communes, celle des élus et de leurs services. Informer et rassurer les habitants, mettre en œuvre un plan de continuité de l’action publique pour assurer les services essentiels (état civil, funéraire, services de l’eau et des déchets…), protéger les personnes vulnérables notamment sur le plan alimentaire, faire appliquer la règlementation (consignes sanitaires, confinement…), soutenir l’action des professionnels de santé, autant de lignes de front où élus locaux et agents territoriaux agissent au quotidien. Maires de France a choisi de donner un coup de projecteur sur certains services au cœur de la gestion de crise en donnant la parole aux acteurs locaux. Récit.

Personnes âgées : «amortir » le confinement en établissement et à domicile

Une semaine après le début du confinement, une projection alarmante circulait, émanant de professionnels des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et des services à domicile : ils craignaient que 100 000 résidents et bénéficiaires âgés ne meurent du Covid-19. L’alerte mettait la pression sur l’État pour que les personnels reçoivent les masques qui faisaient grandement défaut. Car  au début, chacun a dû se débrouiller. Les communes ont souvent fait face, quand elles ont pu récupérer des stocks dont certains dataient de la crise H1N1. Les personnes de plus de 70 ans sont les plus vulnérables face à ce virus. Dans les maisons de retraite où l’âge moyen d’entrée est de 82 ans, les mesures ont été prises parfois drastiquement selon la propagation de l’épidémie. Dans certains EHPAD, les personnes sont confinées au sein même de leur chambre. «C’est douloureux mais l’après crise risque de l’être encore plus », justifie le directeur d’un CIAS du Lot. C’est l’une des raisons aussi qui a poussé le maire de La Garenne-Colombes (92), Philippe Juvin, également médecin urgentiste, à signer un arrêté municipal imposant un test de dépistage à «l’ensemble des résidents » et à «l’ensemble du personnel » non seulement des EHPAD mais également de «tous les établissements sociaux et médico-sociaux » de sa commune «sans attendre le premier cas », comme l’a décidé le gouvernement. 
Dans les maisons de retraite et services à domicile, les aides ménagères, aides-soignantes, infirmières, animateurs, gestionnaires ont fait en sorte que le service continue. Souvent avec le coup de pouce des communes lorsqu’elles ne sont pas gestionnaires des établissements ou des services d’aide à domicile. Parce que les résidents sont confinés dans leur chambre et qu’il manquait de matériel pour leur servir leur repas, la mairie de Chamalières (63) a ainsi fourni des chariots et des plateaux provenant des écoles. 
Du côté des services à domicile, il a souvent fallu organiser les tournées avec des effectifs réduits (pour raisons médicales ou familiales), explique la directrice du service personnes âgées de ­Poitiers (86), Valérie Jourdain. Ingrid Coursaud, aide-soignante, confirme : ses interventions ont été recentrées sur les besoins essentiels à la vie quotidienne, «se nourrir, se soigner ». Les services de portage de repas ont augmenté. Souvent à l’incitation même des collectivités qui ont élargi aux personnes âgées la possibilité d’en bénéficier. Beaucoup ont également facilité ou organisé la livraison de ces repas ou celle de courses à domicile, en centralisant les demandes, en mobilisant du personnel et des véhicules municipaux, comme à Tournon-sur-Rhône (07). 
À Saint-Étienne (45), la ville a veillé «à développer, via des tablettes, la possibilité pour les résidents en EHPAD de communiquer avec leurs familles ». Un renfort numérique qui, en temps de confinement, est devenu salutaire pour atténuer l’impact psychologique du huis clos de ces établissements, fermés aux bénévoles et aux familles depuis début mars. Tout comme sont jugés salutaires les appels quotidiens d’élus et de bénévoles aux plus isolés. Certains craignent le «syndrome de glissement » qui risque de toucher nombre de résidents après le déconfinement. «Les plantes ne meurent de sécheresse que l’été », acquiesce Pierre Martin, maire de Chauvé (44), directeur d’un EHPAD et représentant de l’AMF au Haut conseil de l’âge. «Pour compenser l’absence physique des familles, nous avons programmé des appels via Skype, explique-t-il. Cela a provoqué de très beaux moments où des familles étaient réunies sur un écran comme elles ne l’avaient plus été depuis longtemps dans la réalité. Nous commençons, depuis mi-avril, à organiser des visites avec isoloir. » Il insiste, comme d’autres, sur l’importance  de renforcer les moyens humains, l’animation, le soutien psychologique, la culture, le lien social. «Il faudra aussi se souvenir de ce que ces personnels ont assuré », glisse le maire de Saint-Benoît (86), Dominique Clément.

 

trois questions à...  Benoît Calmels,   
délégué général de l’UNCCAS (Union nationale des centres communaux – et intercommunaux – d’action sociale)
« Gérer la crise sociale qui va suivre la crise économique »
Que retenez-vous de la mobilisation des CCAS ? 
Ils ont vite su s’adapter et agir pour continuer à fonctionner malgré le confinement. En déclenchant par exemple le plan canicule qui permet de contacter les personnes âgées, handicapées, ­vulnérables. En se mobilisant pour éviter que les distributions alimentaires s’arrêtent. C’était une crainte car la majorité des bénévoles sont âgés et devaient se confiner. Les CCAS ont organisé cela avec les mairies. Cela a permis aux associations de prendre le relais avec des bénévoles.
Les CCAS étaient-ils préparés à gérer une telle crise ? 
Le temps de réaction des CCAS comme des collectivités est toujours plus rapide que celui de l’État. Ils agissent, quitte à mettre de côté des aspects juridiques qu’ils résolvent après coup. Ou sans attendre d’avoir toutes les protections ad hoc. Car il faut faire. Cela rend d’autant plus aberrantes certaines interventions de l’État. Par exemple sur la distribution des titres services aux personnes sans abri. L’État veut désigner trois associations par département pour les distribuer. Quitte à déposséder des acteurs comme les CCAS qui, ­localement, sont les mieux placés. 
Quels devront-être les points de vigilance du déconfinement ? 
La crise impactera toute une frange de la population qui était « ric-rac » sur le plan financier, qui n’ont pas l’argent de côté pour amortir les pertes de revenus. S’ajouteront ceux qui perdront leur emploi dans quelques semaines quand les entreprises mettront la clé sous la porte. Il faut donc se préparer à cette crise sociale qui va suivre la crise économique. L’UNCCAS et le bureau d’études Compas mettent au point un outil qui permettra aux territoires d’intégrer le facteur Covid-19 dans leur analyse des besoins sociaux (ABS), et ainsi rester en alerte sur les mesures qui seront peut-être à prendre.        
Propos recueillis par E. STROESSER

 

État civil, pompes funèbres : parer aux urgences 

Partout, les mairies se sont organisées, assurant des permanences afin de pouvoir toujours informer et répondre aux habitants. « Les agents continuent d’assurer cette mission essentielle. Ils sont la véritable porte d’entrée de la municipalité », salue Guilaine Debras, maire de Biot (06). À situation inédite, organisation inédite. Pour poursuivre l’accueil physique et téléphonique, une mobilisation sans précédent s’est mise en place à Dunkerque (59). Passé de 8 à 3 agents, le service a dû se réorganiser et compter sur le renfort d’agents volontaires, de tous services et de toute catégorie, pour notamment répondre aux quelque 300 appels quotidiens et faire face aux pics pouvant aller jusqu’à 600 appels. Impossible également pour les services de l’état civil de s’arrêter, les mairies devant continuer de traiter les déclarations de naissance, reconnaissances, actes de décès… Le délai de 5 jours pour effectuer une déclaration de naissance oblige les mairies à recevoir les papas « physiquement » dans des conditions quelque peu stressantes (sas d’accueil, distanciation sociale, désinfection après chaque venue…). 
Toutes les autres formalités administratives, telles que les demandes et renouvellements de cartes d’identité et de passeport, ont été repoussées par les communes, sauf urgence. « Dernièrement, nous avons reçu une demande de procuration urgente pour un acte de vente devant notaire. Nous avons fait en sorte de pouvoir y répondre comme il se doit », relate Guilaine Debras. Les mariages (et les PACS) sont eux aussi suspendus jusqu’à nouvel ordre, sauf cas exceptionnel comme celui d’une personne en fin de vie. À Dunkerque, on anticipe déjà la reprise : face à l’afflux des dossiers en instance, la commune envisage de réduire leurs délais de traitement, selon les cas, à 3 semaines au lieu de 2 mois en moyenne, tout en programmant les ­rendez-vous jusqu’en 2021.
À Arnay-le-Duc (21), les démarches pour les déclarations de décès sont dématérialisées. À Altkirch (68), l’état civil doit faire face à une activité ­malheureusement croissante. «Nous sommes passés d’un décès par semaine avant crise à sept-huit par jour », confie son maire, Nicolas Jander (lire aussi p. 42). Une situation d’autant plus difficile que 2 des 3 agents du service sont tombés malades et qu’il a fallu former en urgence d’autres agents. 
Dans cette situation exceptionnelle, les services funéraires des mairies poursuivent leur activité tout en accompagnant au mieux les familles endeuillées. À Mont-de-Marsan (40), depuis le 16 mars, les opérations funéraires sont organisées  dans la plus stricte intimité familiale avec un conseiller funéraire. Le service des cimetières ne traite que les demandes urgentes liées aux décès. À Biot (06), l’accueil des familles pour établir les modalités d’obsèques s’effectue dans le respect des gestes barrières, avec des contacts réduits au minimum. La gestion des démarches administratives se fait, quant à elle, de manière dématérialisée. Dans les Bouches-du-Rhône (13), le service funéraire ( funérarium et crématorium) en régie municipale de Martigues a dû s’adapter avec des effectifs réduits de moitié. Une quinzaine d’agents se déplace ainsi pour aller chercher les défunts à leur domicile, dans les hôpitaux ou à l’EHPAD. Le centre funéraire (crématorium et chambres funéraires) est fermé au public et les modalités relatives aux opérations funéraires sont traitées par téléphone. Mais certains actes nécessitent encore une venue sur place comme la signature de documents ou le choix du cercueil. 
De son côté, le maire de Chambly (60), David Lazarus, a mis en place une permanence non ouverte au public assurée tous les jours par un agent de l’état civil pour traiter tous les dossiers prioritaires (décès, naissances, reconnaissances), ainsi qu’une permanence le week-end pour enregistrer notamment les décès dus au Covid-19 (lire aussi p. 42).

Cantines scolaires : soutenir les habitants en difficulté

Dans le contexte de la gestion de la crise sanitaire et de la mise en place des accueils scolaires prioritaires, les cantines ont dû s’organiser et se réinventer pour continuer à assurer la sécurité sanitaire et alimentaire des élèves. 
D’abord, il a fallu gérer l’urgence. Certaines cantines se sont retrouvées en effet avec des excédents de denrées alimentaires. Le ministère a donc vite procédé aux mesures nécessaires pour absorber le choc. « Le 15 mars, la direction générale de l’Alimentation (DGAL) nous a envoyé une fiche autorisant la congélation d’urgence des produits bruts et cuisinés », normalement uniquement possible dans les rares établissements dotés de procédures très poussées, se rappelle Christophe Hébert, directeur de l’éducation à Harfleur (76) et président d’Agores, l’association des professionnels de la restauration publique territoriale. « Nous avons pu honorer notre commande de 200 kilos de poulet fermier chez un producteur local, que nous avons congelé tout de suite. » Pour le reste, beaucoup de mairies se sont tournées vers le don aux associations d’aide alimentaire habilitées, grâce à une convention-type fournie par la DGAL – dont la signature doit obligatoirement intervenir au plus tard le 20 octobre 2020 pour les opérateurs préparant plus de 3 000 repas par jour. 
Rapidement, il a fallu cependant revoir à la baisse les commandes, posant notamment la question du soutien aux petits producteurs : à Harfleur, le nombre de repas préparés a été divisé par dix. Mais pas totalement supprimé, car, comme la plupart des cuisines centrales, elle fournit, en plus de la cantine scolaire, des EHPAD et des personnes âgées isolées, livrées à domicile. Et logiquement, la demande a explosé avec le confinement : « À Harfleur, le nombre des repas en portage a doublé, ailleurs il a décuplé ! Et les demandes ne cessent d’augmenter, ce qui nous oblige à être réactifs en permanence », confie Christophe Hébert. La cuisine centrale de Lons-le-Saunier (39), qui cuisine toujours pour l’hôpital et l’EHPAD, s’est même mise à livrer en dehors de la commune, assaillie par les demandes : « Nous sommes un service public, nous avons répondu présent. Nous fournissons deux maisons de retraite dont le personnel de restauration était malade et confiné, et nous servons la moitié du département, selon les demandes », explique Didier Thevenet, directeur de la cuisine centrale. Mais s’il y a deux fois moins de repas préparés, ils demandent plus de travail, en raison de la rotation nécessaire des équipes, pour assurer les distances sanitaires, et du renforcement des opérations de désinfection, déjà routinières dans la restauration scolaire – qui a souvent fourni surblouses, masques, gels et autres équipements de protection aux établissements de santé locaux. 

 

François Daviet,  maire de La Balme de Sillingy (74)
« Les portes de la mairie sont fermées mais l’activité continue. Une permanence téléphonique est assurée, aux horaires habituels d’ouverture. Pour le service accueil/état civil, nous demandons en priorité d’envoyer un mail et un numéro de portable est à disposition en cas d’urgence. Les trois agents de l’état civil sont mobilisés et traitent les demandes au fur et à mesure. Avec la crise, la dématérialisation, déjà en place, a d’ailleurs été amplifiée. Des rendez-vous physiques ne sont fixés que si nécessaire ou pour des urgences. Et pour tous les dossiers qui nécessitent une signature, les personnes sont convoquées. »

 

À Mouans-Sartoux (06), la mairie a procuré une armoire chauffante à l’EHPAD, pour permettre le service des résidents confinés directement dans leurs chambres.
Un autre problème qui n’avait pas été anticipé est celui des familles les plus modestes, directement impactées par la crise, et devant nourrir trois fois par jour des enfants qui, habituellement, comptaient sur la cantine pour avoir au moins un repas équilibré dans la journée, et, parfois, le petit- déjeuner. À l’Île-Saint-Denis (lire ci-contre), comme à 
Village-Neuf (68) ou à Montrouge (92), les maires n’ont pas choisi de maintenir l’ouverture de leur service de restauration, pour assurer la sécurité de leurs agents et des habitants, trouvant d’autres solutions pour venir en aide à la population en difficulté comme la livraison de colis alimentaires ou de courses à domicile pour les personnes confinées ou ne voulant pas quitter leur logement, en lien avec les CCAS, les commerçants et les associations locales. À Brest (29), la mairie a envoyé des chèques alimentaires aux familles du tiers des enfants fréquentant ses cantines scolaires : 150 e par enfant bénéficiant de la gratuité des repas, 120 e pour ceux de la première tranche tarifaire. L’aide, correspondant à six semaines de confinement, est distribuée dans les boîtes aux lettres. Mi-avril, la mairie de Paris a annoncé mettre en place des mesures similaires. Elles devront sans doute être renforcées à mesure que le confinement se prolonge et que les difficultés économiques fragilisent toujours plus la population.

 

Mohamed Gnabaly, maire de l’Île-Saint-Denis (93)
« Priorité aux colis alimentaires »
« Nous avons choisi de maintenir ouvert un groupe scolaire sur trois pour accueillir les enfants de soignants. En revanche, nous avons cessé l’activité de la cuisine centrale. Et limité, par sécurité, les livraisons de repas à domicile. Nous avons fait le choix de distribuer des colis alimentaires d’un coût de 200 euros par famille, pour deux semaines de repas à chaque fois ; et des colis d’urgence pour deux ou trois jours. Début avril, nous prenions en charge 38 personnes âgées isolées et 20 familles paupérisées. Un numéro est disponible 24h/24 pour ceux qui ont des difficultés alimentaires : pour l’instant, nous avons entre 3 et 5 appels par jour. »

 

Police municipale : intervenir sur tous les fronts

Mobilisés sur tous les fronts, les policiers municipaux se sont vite imposés comme d’indispensables acteurs de terrain. Partout en France, dès le début de l’épidémie, une question s’est posée dans les mairies : comment protéger la police municipale du virus ? Pour parvenir à trouver des masques, des gants et du gel hydroalcoolique, nombre d’élus ont dû recourir au système D, comme à Montpellier (34) : « Nous entretenons d’excellentes relations avec Chengdu, la ville chinoise avec laquelle nous sommes jumelés, raconte le maire, Philippe Saurel. Les autorités locales nous ont fait parvenir 10 000 masques chirurgicaux, auxquels se sont rajoutés 50 000 masques donnés par un P.-D.G., dont le groupe est basé dans l’Hérault et qui travaille avec la Chine… » Priorité aussi à la désinfection obligatoire des véhicules à chaque changement d’équipe. « Ne pas laisser nos policiers en première ligne sans protection, c’est le minimum. Nous les avons vite équipés de masques chirurgicaux ou FFP2 et nous avons mis en place un système de blanchisserie pour nettoyer systématiquement leurs uniformes », raconte aussi Mickaël Paccaud, adjoint à la sécurité publique à Mions (69). 
Dans cette commune comme ailleurs, l’organisation de la police municipale a dû être repensée : « Dès la mi-mars, nous avons établi des roulements par équipes de deux, poursuit cet adjoint. Depuis, les patrouilles ne se croisent plus et entretiennent le moins de contacts possibles. » La réorganisation des équipes en binôme et en horaires décalés a été adoptée par de nombreuses mairies. Celles-ci ont dû tenir compte d’une importante réduction des effectifs, liée aux personnes malades ou absentes pour cause de garde d’enfants à domicile. « À la Grande-Motte (34), des autorisations spéciales d’absence ont permis à des policiers municipaux de rester chez eux. L’objectif de cette mesure est de constituer une “ réserve ” dans le cas où un grand nombre de policiers, sur le terrain, contracteraient le virus », explique Jean-Michel Weiss, responsable de la police municipale. Au-delà de cette réorganisation, cet agent décrit l’évolution brutale des missions des policiers municipaux en cette période de confinement : «Avec la généralisation du télétravail, les conflits liés au bruit et les problèmes de voisinage nous obligent à multiplier les médiations. Sur les violences intrafamiliales, elles sont devenues quasi quotidiennes. Globalement, le confinement est respecté mais, dans de nombreuses communes, ici comme ailleurs, les policiers ont toujours affaire à des personnes récalcitrantes … »
Le stationnement gratuit ainsi que la baisse de la délinquance comme des cambriolages ont permis aux policiers municipaux de se concentrer sur des missions relevant de la santé publique : contrôle des attestations de déplacement, rappel des consignes aux citoyens, application des multiples arrêtés pris par les mairies… S’agissant du respect du couvre-feu, il occupe les nuits de nombreux agents, comme à Montpellier : «Trois équipages patrouillent de 21h00 à 3h00 du matin, explique Philippe Saurel. Ils rencontrent surtout des SDF. Leur mission relève dans ce cadre davantage de la prévention que de la répression, car il s’agit avant tout de guider ces personnes vers les gymnases qui ont été mis à leur disposition ».
Autre mission majeure de la police municipale dans ce contexte d’épidémie : les contrôles routiers, généralement effectués en commun ou en coordination avec la police nationale et la gendarmerie. De même, de nouveaux liens se sont tissés avec les sapeurs-pompiers : « Nous travaillons tous main dans la main, côte à côte. Cette coopération laissera de bonnes traces », estime Mickaël Paccaud, lui-même pompier professionnel. Il poursuit : « cette crise montre que la police municipale, notre troisième force de sécurité intérieure, est hyper-importante ». En tant que secrétaire national de la Fédération autonome de la fonction publique territoriale, Jean-Michel Weiss ne peut qu’approuver : « Après la crise, il faudra reparler de la place, des missions, des moyens de la police municipale, et tout remettre à plat. »

 

Services techniques : assurer la continuité de l’activité

Les services techniques ont priorisé leurs missions pour assurer la continuité de la collecte des déchets, de la distribution et du traitement de l’eau. Dans le Pays de Craon (53), la communauté de communes a créé une cellule de crise « eau et assainissement » dès la veille du confinement. « Dans le plan de continuité de l’activité, nous avons déterminé les missions prioritaires », explique Frédéric Michel, responsable du service environnement. À savoir : la production et la distribution d’eau potable ainsi que la collecte et le traitement des eaux usées. Pour assurer ces services, 17 agents travaillent en demi-équipe une semaine sur deux. «Ils ne se croisent pas et ont été dotés d’équipements spécifiques comme des masques qui englobent le visage pour ceux qui interviennent en station d’épuration car il peut y avoir des virus dans les eaux usées. Les autres ont des masques FFP2 et FFP3 ». Ils ont aussi pour consigne de se doucher systématiquement en fin de service et de laver leur tenue. «Nous avons limité les interventions à domicile, même si nous avons maintenu les ouvertures/fermetures de compteurs et intervenons en cas de fuite. » De plus, cette communauté a mis en place une procédure afin de disposer en permanence d’un stock minimum de produits de traitement. « Nous devons tenir compte des délais de livraison, actuellement plus longs ». La communauté a également activé une «astreinte de décision » pour assister les techniciens sur le terrain. «Des cadres sont à leur disposition pour ne pas les laisser seuls face à un problème », précise Frédéric Michel.
En Isère, la communauté de communes du Pays voironnais a réorganisé son service eau et assainissement. Dix missions essentielles à la sécurité de l’eau et de l’environnement ont été inscrites au plan de continuité de l’activité. Une astreinte a été instaurée pour les réparations liées aux fuites, casses, débordement et refoulement sur le réseau. C’est aussi le cas pour les contrôles des boues dans les stations de traitement des eaux usées. La recherche de fuite a aussi été priorisée. Pour cela, 30 agents sont mobilisés et travaillent en deux équipes. «Nous avons réparti les compétences pour assurer une polyvalence. Nous sommes en train de former environ 40 agents pour pouvoir assurer des renforts si besoin », explique Thaïs Valentino, directrice du service. « Nous sommes très vigilants sur les opérations de prévention (comme les curages qui ont été stoppés) car nous risquons de le payer prochainement. » Depuis le début du confinement, des urgences ont dû être gérées : casses survenues sur le réseau d’eau potable (long de 860 km), débordement de déversoir d’orage, remontées d’eaux usées. « Ce sont des urgences classiques. Néanmoins, nous avons renforcé les protocoles de sécurité et doté nos agents d’équipements spéciaux. »
L’un des effets du confinement est une hausse de la consommation d’eau. «Ce qui nous a amené à effectuer des bascules de réseaux pour sécuriser la continuité de la distribution », indique Thaïs Valentino. À Ranchot (39), la consommation d’eau a, elle aussi, augmenté. Cette commune de 500 habitants est l’une des quatre dont la production et la distribution de l’eau est assurée par le Syndicat intercommunal des daux de Dampierre (SIED). « Nous surveillons la consommation journalière grâce à des compteurs de sectorisation », explique Éric Montignon, président du SIED et maire de Ranchot. «En temps normal, nous produisons 500 m3, contre 700 m3 actuellement ». En cause : la présence des familles H24 à leur domicile et le jardinage. «C’est aussi lié à des fuites sur le réseau. En milieu rural, c’est un problème récurrent car nous devons contrôler 42 km de canalisations dont les plus anciennes datent de 1935. » Ce qui est plus compliqué en période de confinement. «Nous n’avons pas les moyens mécaniques pour repérer les fuites ni les entreprises pour les réparer. Mais le fontainier et moi-même arrivons quand même à nous débrouiller », affirme Éric Montignon. 

Patrice Pinard,  adjoint délégué à la sécurité publique à Clichy-la-Garenne (92)
« Avant la loi d’urgence du 23/03/2020 autorisant la police municipale à verbaliser les infractions aux mesures de confinement, nos policiers se faisaient insulter quand ils intervenaient auprès des administrés. Les choses ont été très compliquées pour eux durant une semaine… Aujourd’hui encore, ils ne sont pas équipés pour lire les QR codes qui apparaissent sur les attestations de déplacement. Or, à Clichy, ce sont eux qui assurent la moitié, voire deux tiers des contrôles de ces attestations. Cette crise pourrait permettre de repenser le rôle des policiers municipaux. Sans eux, le respect du confinement serait impossible. »


Laboratoires d’analyses : être prêts pour les tests 

Soixante-et-un laboratoires départementaux d’analyse (LDA) sont en ordre de marche pour dépister le Covid-19, notamment dans la perspective du déconfinement à partir du 11 mai. Ces experts en épidémies animales ont une capacité de 20 000 tests par jour. Depuis la publication de deux décrets, le 23 mars et le 5 avril 2020, ces laboratoires peuvent être réquisitionnés par les préfets pour effectuer des tests. «Du fait de l’étendue de l’épidémie, nous avons vite estimé que la capacité d’analyse habituelle de la biologie médicale pouvait être mise à rude épreuve », explique Aurèle Valognes, présidente de l’Association française des directeurs de laboratoires vétérinaires publics d’analyses (ADILVA). « En proposant nos services, notre objectif est de prendre le relais si leur capacité de test sont dépassées. » La France compte 75 LDA répartis sur le territoire dont l’une des missions est de dépister l’émergence de nouvelles épidémies tant dans la faune sauvage qu’au sein des cheptels. Ils assurent aussi la sécurité de la chaîne alimentaire en proposant à l’État, aux industriels, aux services de restauration collective… des analyses biologiques, virologiques, parasitaires et chimiques. Ces laboratoires sont pour partie financés par les conseils départementaux et comptent 4 500 agents. « Sur les 75 LDA, 61 sont accrédités en biologie moléculaire et donc équipés pour effectuer des tests Covid-19. Ils ont le personnel habilité, le matériel contrôlé, adapté et des locaux haute sécurité. » Dans le cadre de la lutte contre le coronavirus, les LDA sont chargés d’effectuer les tests dits PCR de biologie moléculaire. «Pour l’instant, les décrets ne prévoient pas que nous fassions des tests sérologiques », précise la présidente de l’ADILVA. 
Ces laboratoires vétérinaires interviennent pour le moment en troisième ligne, lorsque les laboratoires de biologie médicale des centres hospitaliers et de ville sont saturés. «Nous sommes opérationnels depuis le 20 avril 2020 », indique Aurèle Valognes. Exception faite pour le LDA des Bouches-du-Rhône qui a commencé les premiers tests Covid-19 le 6 avril 2020, en raison de son habilitation pour réaliser des analyses en santé humaine. 
Dans le Bas-Rhin, celui de Strasbourg a dépisté le coronavirus le 10 avril, du fait de l’urgence sanitaire. Les 61 laboratoires accrédités en biologie moléculaire ont estimé être en capacité de réaliser 20 000 tests par jour. Pour cela, ils doivent se procurer les réactifs. « Les prix commencent à flamber car la demande est mondiale. Ils sont de l’ordre de 200 000 € pour 10 000 tests. De plus, ce n’est que la moitié du coût de l’analyse », note Aurèle Valognes. Autre crainte : que les industriels produisant ces réactifs à usage humain ne suivent pas la cadence. « Tous les pays impactés par le Covid-19 en ont besoin. Or, ces réactifs sont fabriqués loin, hors de France. » L’occasion pour l’ADILVA de rappeler l’expertise qu’ont les vétérinaires en matière de coronavirus, car ces virus existent depuis longtemps chez les animaux. « Nous avons la chance d’avoir en France trois fabricants de réactifs à usage vétérinaire. Pour dépister le Covid-19, ils ont développé des tests en cours de validation par le Centre national des coronavirus de Pasteur Lyon et Paris. Si ces tests sont validés, nous serions moins sujets à des aléas de production, de logistique et de livraison comme cela s’est produit pour les masques. » 

Dossier réalisé par Emmanuelle STROESSER, Estelle CHEVASSU, Christine CABIRON, Sarah FINGER  
et Emmanuel GUILLEMAIN D’ECHON

 

Élisabeth Lucas, responsable déchets à la communauté de communes d’Erdres&Gesvres (44)
« Adapter le service »
« Les sept déchetteries de la communauté de communes d’Erdres&Gesvres ont été fermées pour éviter le regroupement de la population. Nous envisageons cependant de rouvrir ce ­service aux professionnels. Nous avons aussi recréé une équipe pour ramasser les dépôts sauvages. Il n’y en avait pas eu la première semaine du confinement. Depuis, ces incivi­lités ont repris. » Dans sa contribution à la préparation du déconfinement, adressée le 21 avril au gouvernement, l’AMF souhaite la réouverture des déchetteries. Pour gérer les flux importants qui ne manqueront pas d’arriver, elle propose notamment que soient mis en place « des lieux de stockage intermédiaires temporaires ».

 

Bruno Caroff, directeur général d’Inovalys
« Ces tests font partie de la routine »
« Inovalys regroupe les laboratoires départementaux d’analyse de Maine-et-Loire, Loire-Atlantique, Sarthe et Indre-et-Loire. Nous sommes opérationnels pour effectuer 1 000 tests Covid-19 par jour. Les réactifs ont été achetés et deux équipes de 10 personnes ont été constituées. Nous effectuerons les tests dans nos sites de Nantes et Tours et, sans doute, à Angers s’il y a une forte demande. Nos conditions de sécurité sont maximales car nous travaillons sur la rage, l’influenza aviaire, la tuberculose et l’encéphalopathie spongiforme bovine. Nos locaux sont équipés de systèmes de postes de sécurité micro-biologique. Le Covid-19 ne présente pas plus de difficulté que ce que nous faisons quotidiennement. Cela fait partie de la routine. »

 

« Comment avez-vous organisé la cellule d’urgence ? »
Des élus tiennent des cellules de crise pour assurer les services publics indispensables aux habitants et continuer à gérer les dossiers de fond.
Nicolas Jander, maire d’Altkirch (Haut-Rhin, 6 000 habitants)
« Une cellule par laquelle tout transite »
« La cellule de crise a été installée dès la première semaine de mars. Nous avons été touchés très tôt, à la suite de la réunion évangélique de Mulhouse, avec des premiers cas survenus dans une crèche, le 
2 mars. D’abord en présentiel, cette cellule se tient depuis le 16 mars en visio-conférence, tous les jours à partir de 11 heures, et parfois les week-ends. Il est impératif que la directrice générale des services soit là puisqu’elle a toute la légitimité sur le volet administratif (gestion des services, mise en place des astreintes, etc). La secrétaire générale réalise une sorte de procès-verbal pour nous permettre de suivre toutes les décisions, le directeur de cabinet gère la communication à l’attention des habitants, et l’adjoint à la sécurité, par ailleurs sapeur-pompier professionnel, nous apporte son expérience. Cette cellule est le «centre du réacteur », tout doit transiter par elle. »
David Lazarus,     maire de Chambly (Oise, 10 000 habitants)
« Dans l’opérationnel, tous les jours »
Les premières mesures ont été prises dès le 29 février. Un comité de direction élargi a été mis en place et s’est réuni deux fois par semaine. Nous sommes passés ensuite à un « comité restreint, ­quotidien » autour du DGS, de la DRH, de la DST, avec la présence, ponctuelle, des directeurs. Nous ­faisons le point tous les matins, à 11h00, en mairie dans la grande salle pour respecter les distances. Cette cellule est tous les jours dans l’opérationnel, pour organiser les services, gérer « la tonne » de mails, répondre aux appels… De fait, nous avons eu malheureusement un temps d’avance en étant les ­premiers confinés. Une autre cellule, mise en place avec mon directeur de cabinet, gère la communication, les actions des bénévoles et l’entraide. Parallèlement aux urgences, il faut continuer à gérer les dossiers de fond (aide à la vie associative, culturelle, sportive…) et le budget.
Jean-Louis Millet,    maire de Saint-Claude (Jura, 9 200 habitants)
« Il faut savoir s’adapter »
« La cellule regroupe le DGS et le responsable prévention, chargé du plan de sauvegarde communal, qui est le chef d’orchestre de la gestion de cette crise. J’ai souhaité aussi centraliser la gestion du matériel de protection et de sécurité pour pouvoir satisfaire tout le monde. Nous faisons un point en tant que besoin et pouvons nous appeler plusieurs fois par jour. J’ai organisé deux points complets avec les chefs de service (19 personnes) qui ont été réunis à la salle des fêtes dans le respect des consignes de sécurité et de distance. La visio-conférence a ses limites… L’urgence de cette cellule a été de mettre en place un dispositif de soutien aux personnes âgées, isolées et vulnérables. Une priorité vitale dans notre zone de montagne. C’est un gros travail qui mobilise des agents de tous les services en sous-activité. Un planning est fait pour toute la semaine pour savoir qui fait quoi. »

 

Informer et mutualiser les bonnes pratiques
• En appui de sa fonction de conseil aux élus, l’AMF a créé sur son site www.amf.asso.fr deux rubriques spéciales «Coronavirus, Covid-19 » : l’une les informe et les conseille sur l’organisation et le bon fonctionnement des établissements et services dont ils ont la responsabilité, dans tous les domaines (recommandations générales, gestion des personnels, entreprises, école, restauration collective, personnes âgées et handicapées, petite enfance, transports…) ; l’autre a vocation à rassembler des initiatives exemplaires des communes et des EPCI sur l’ensemble du territoire (www.amf.asso.fr/m/COVID19/).
• L’AMF a aussi mené une enquête sur «La continuité éducative en confinement » afin de dresser un panorama, non exhaustif, des différentes mesures adoptées par les communes depuis la fermeture des écoles (dispositif « ma classe à la maison », accueil scolaire, pause méridienne et restauration, accueils péri et extra-scolaires, consignes sanitaires, incidences financières). www.amf.asso.fr (réf. BW40076). 

n°379 - mai 2020