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24/11/2025
107e Congrès de l'AMF 2025 Administration générale Votre mandat

Bientôt la fin du conflit d'intérêts public-public

Lors d'un forum consacré aux responsabilités pénale et financière des élus, le 20 novembre, c'est surtout la première qui a été abordée. Les maires espèrent une plus grande sécurisation juridique dans l'exercice de leur mandat, prévue par la future loi sur le statut de l'élu.

Le 20 novembre 2025, la co-présidente du forum et maire de Chilly-Mazarin (91), Rafika Rezgui, estime que « face à la dangerosité de certaines situations, le déport, encore trop mal connu, est protecteur pour l'élu ».
Enfin une bonne nouvelle ! La menace du conflit d’intérêts public-public ne devrait plus être bientôt qu’un mauvais souvenir pour les élus. En effet, la proposition de loi (PPL) sur le statut de l’élu, qui comporte un volet relatif aux conflits d’intérêts, arrivera en deuxième lecture devant les députés, les 8 et 9 décembre, avec, a priori, un vote conforme à la version sénatoriale, ce qui signifierait une adoption définitive du texte et sa promulgation rapide.

« L’épée de Damoclès au-dessus de la tête des élus que constitue le conflit d’intérêts public-public, qui n’existe qu’en France, va disparaître », s’est réjoui Didier Le Gac, député du Finistère et corapporteur du texte à l’Assemblée nationale, lors du forum organisé le 20 novembre, dans le cadre du 107e Congrès de l’AMF. En revanche, «les députés n’ont pas touché au conflit d’intérêt public-privé qui est totalement répréhensible et doit être sanctionné », indique-t-il.
 

2 500 élus condamnés 

Lors de leur audition à l’Assemblée nationale, les associations Anticor ou Transparency international ont jugé qu’il n’y avait pas de problème sur le conflit d’intérêts public-public en évoquant les 2 500 élus condamnés sur ce mandat, soit seulement 0,5% de l’ensemble des élus. «Mais ce sont 2 500 élus condamnés de trop avec des conséquences catastrophiques pour eux et leurs entourages, s’est insurgé Didier Le Gac. D’autant que cela ne cesse de progresser ». «La future loi ne va pas tout régler mais va au moins dissiper un certain nombre de risques et d’appréhensions », estime Rafika Rezgui, maire de Chilly-Mazarin (91) et coprésidente du forum. 

Symptomatique des dégâts potentiels du risque pénal, le témoignage de Dominique Cap, maire de Plougastel-Daoulas (29), a traduit une profonde douleur. L’élu a organisé, en 2018, le championnat de France de cyclisme des jeunes à la demande de la fédération française de cyclisme qui lui avait conseillé de créer une association pour la gestion de l’événement.

Trois ans plus tard, avec plusieurs de ses adjoints, il a été condamné pour ne pas être sorti de la salle du conseil municipal lors du vote d'une subvention à l'association dont ils étaient membres, même s’ils n’avaient pas pris part au vote. «J’ai été condamné à 9 000 euros d’amende que j’ai payé de ma poche et nous avons été traité comme des voyous ! », s’est emporté Dominique Cap dont l’affaire, très médiatisée, a joué le rôle de révélateur de l’exposition des élus à un risque pénal devenu exorbitant.
 

Utiliser l’arrêté de déport

« La modification de la prise illégale d’intérêt est la meilleure nouvelle depuis vingt ans », s’est réjouit Philippe Bluteau, avocat à la Cour. L’avocat compare le conflit d’intérêts public-public au «fait d’être flashé par le radar avec deux casquettes sur la tête : une casquette verte d’élu et une casquette rouge d’intérêt privé mais aussi d’intérêt public comme l’exercice de deux mandats locaux ou d’une fonction dans un établissement public ».

Selon lui, grâce à la loi, la casquette rouge ne pourra plus être publique. «Cumuler deux intérêts publics ne vaudra donc plus des poursuites et des condamnations pour prise illégale d’intérêts », explique-t-il. 

L’autre avancée majeure sera la disparition du risque d’intérêt public-public pour les élus municipaux désignés pour siéger au nom de la commune dans des organismes extérieurs. Philippe Bluteau a rappelé les conditions posées par la future loi : «ne jamais participer à une décision attribuant un contrat de la commande publique et ne toucher aucun avantage ou rémunération de l’organisme extérieur ». Toute la prise illégale d’intérêts ne disparaissant pas, il conseille fortement d’utiliser l’arrêté de déport.

Une procédure également recommandée par Rafika Rezgui. «Face à la dangerosité de certaines situations, le déport, encore trop mal connu, est protecteur pour l’élu », souligne la vice-présidente de l’AMF. 
 

Cartographie des risques  

Selon la maire de Chilly-Mazarin, «la mise en cause croissante des élus dans l’exercice de leurs responsabilités s’explique par une inflation des normes, des transferts de compétences et une série de jurisprudences ». «Face à 400 000 normes et règlements, il est difficile de connaître toujours la loi », a reconnu l’autre coprésident du Forum, Frédéric Masquelier. Le maire de Saint-Raphaël (83) constate l’absence parfois des outils de pilotage nécessaires ou d’équipes suffisamment aguerries. 

Dans son rapport sur le risque pénal des décideurs publics, remis le 13 mars dernier à François Bayrou, alors Premier ministre, Christian Vigouroux, président de section honoraire au Conseil d’Etat, pointe «deux infractions voraces, prenant des faits qui ne devraient pas forcément être pénalisés : la prise illégale d’intérêt et le favoritisme ». Au-delà de l’évolution prochaine de la loi, il insiste sur «l’importance de la prévention et de la cartographie des risques ». Plusieurs de ses propositions ont été reprises en partie par les parlementaires. 
 

Sensibilisation et formation

« La future loi constitue une très bonne chose, a estimé Isabelle Jegouzo. La directrice de l'Agence française anticorruption (AFA) salue notamment les dispositifs de formation proposés par le texte. «Se former, c’est se protéger, rappelle-t-elle. En lien avec l’AMF, nous allons renforcer le travail de sensibilisation et de formation dans la perspective des municipales ».

L’AMF et l’AFA ont d’ores et déjà publié, en novembre 2024, un guide «pour mieux gérer les risques d’atteintes à la probité » à l’attention des élus (lire ci-contre). De même, les associations départementales de maires peuvent contacter l’AFA pour bénéficier de formations. L’agence travaille aussi avec le CNFPT sur la formation des agents. «Nous venons de faire ensemble un MOOC qui sera bientôt ouvert aux élus », a indiqué Isabelle Jegouzo. 

Toujours en matière de formation, Olivier Maetz, avocat à la Cour, a insisté pour sa part sur les besoins de formation en matière de responsabilité financière du gestionnaire public. Il y a eu une quarantaine de décisions de justice depuis l’entrée en vigueur de la réforme en janvier 2023. «Sans faire de catastrophisme, il s’agit de sensibiliser et de former sur les risques existants, prévient l’avocat. Comme pour le risque pénal, il faut faire un diagnostic et identifier les points de fragilité ».
 

Un guide de l’AFA et de l’AMF pour les élus
« Nous sommes là pour prévenir et aider les acteurs publics, dont les collectivités », souligne la directrice de l’Agence française anticorruption (AFA). Isabelle Jegouzo cite ainsi le partenariat de l’AFA avec l’AMF dans l’élaboration d’un guide pratique pour les élus du bloc communal, publié en novembre 2024. Il vise à prévenir les atteintes à la probité, en préconisant, en premier lieu, de faire une cartographie des risques pour bien les identifier dans les marchés publics, l’urbanisme ou les ressources humaines. 


Pour aller plus loin :

. Retrouvez la vidéo du forum sur " Mieux appréhender la responsabilité juridique et financière des élus "

. Lire aussi notre dossier spécial " 107e Congrès de l'AMF 2025 "

 

Par Pierre Plessis
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