L’adoption de l’IA touche tous les métiers, de l'administration aux ressources humaines, de l'eau à l'urbanisme. L'IA générative fait surtout une entrée fracassante dans les services, parfois dans le dos de la hiérarchie.
A Cannes (06), une enquête interne a montré que 40 % des agents utilisaient des outils grand public, parfois en diffusant des données municipales. L'observatoire Data publica montre du reste que l'IA sert de révélateur aux sujets data. Souvent sous-estimée en phase de test, la nécessité de disposer de données de qualité est même le premier obstacle au déploiement effectif des projets pour 50% des collectivités.
Patrick Molinoz, maire de Venarey-Les Laumes (21) et coprésident de la commission numérique de l'AMF, a insisté : "Il faut que la donnée soit propre, sécurisée, souveraine. Si elle est vérolée, la décision sera erronée." Cette exigence impose une montée en compétence et une prise de conscience des élus. Si l'observatoire confirme l'implication des directeurs généraux de services (DGS), Michel Sauvade, maire de Marsac-en-Livradois (63) et coprésident de la commission numérique de l'AMF, appelle les maires à se saisir du sujet car "le numérique est un sujet politique".
D'autant plus que l'IA fait ressurgir, à la faveur des tensions géopolitiques, la question de la dépendance aux géants américains du numérique. Les élus ont été incités à se méfier des offres "gratuites" même si elles permettent de tester sans s'engager. Avec comme consigne de ne jamais charger de fichier communal sur ChatGPT contenant des données personnelles.
Anne Le Hénanff, ministre déléguée chargée de l'Intelligence artificielle et du Numérique, présente au forum, est la première à mettre les points sur les i : "Il n'y a rien de gratuit. Ce que vos agents donnent en contrepartie vaut mille fois ce que ça leur apporte. La donnée ne se brade pas." Pour éviter, ces pratiques, les maires sont incités à adopter une charte éthique définissant ce qu'il est possible de faire et ce qui est interdit au titre du RGPD ou d'autres réglementations. Une vingtaine de chartes existent sur lesquels les élus peuvent s'appuyer.
La compatibilité des IA avec les règles éthiques européennes, qu'il s'agisse de la protection des données ou de privilégier une technologie qui limite les impacts environnementaux du numérique, fait consensus. Mais force est de constater que l'équation est compliquée pour les communes, entre le manque d'offres véritablement "souveraines", le poids des habitudes et le surcoût des solutions sécurisées.
En Bourgogne, on avoue utiliser l'IA de Microsoft "provisoirement". A Cannes, la ville est passée sous Mistral, l'IA française que l'Etat va aussi déployer. La ministre déléguée a promis aux communes "un accompagnement", avant d'ajouter qu'il ne sera "pas financier". Les communes pourraient également profiter de développements réalisés par l'Etat. Le précédent d'Albert a cependant de quoi interpeler. Lancé en grande pompe en 2024, ce chatbot "souverain", censé appuyer les agents publics dans leurs missions, n'a pas donné beaucoup "signe de vie", a concédé la ministre.
N'espérant pas grand-chose de l'Etat, Patrick Molinoz incite les élus à mutualiser les besoins entre collectivités. "Pour 98% des communes de Bourgogne-Franche-Comté, la solution passe par des opérateurs publics : l'Arnia chez nous, Mégalis en Bretagne, Recia en Centre-Val de Loire", a-t-il précisé.
À la Métropole du Grand Paris, cet accompagnement est effectif et s'appelle "ApproprIAtion". "On l'a lancé en avril avec 30 communes engagées sur des sujets d'administration interne ", a expliqué son vice-président, Geoffroy Boulard. La métropole propose des formations et des expérimentations avant une "métropolisation des solutions". Une soixantaine de communes sont déjà impliquées sur la gestion énergétique des bâtiments publics ou l'analyse des flux piétons en centre-ville.
Dans la Vienne, on se contente pour le moment de mutualiser la sensibilisation. Les "cafés IA" organisés par l'association départementale des maires rencontrent un vrai succès auprès d'élus qui "ne mettent pas forcément la même chose derrière le terme IA", explique Jérôme Neveux, son président. Et, dans un premier temps, la Vienne mettra l'accent sur les données selon le principe "pas d'IA sans data".