L'actu
19/11/2025
107e Congrès de l'AMF 2025 Sécurité - sécurité civile

Le chef d'État-major des armées demande aux maires de préparer la population aux futurs conflits

Fabien Mandon a tenu un discours sans détour sur la situation internationale qui « se dégrade ». Pour que le « pays soit prêt dans trois ou quatre ans », il va falloir « accepter le risque de perdre des enfants, de souffrir économiquement », a-t-il prévenu. Il compte sur les maires pour en parler dans les communes et faciliter les déplacements et opérations des militaires.

L’ouverture du 107e Congrès s’est déroulée dans une ambiance particulière. Remerciements des maires de Mayotte et de La Réunion pour l’aide de l’AMF reçue après les cyclones qui ont dévasté ces îles ; hommage à l’ancien président de l’association Daniel Hoeffel décédé il y a quelques jours ; dernier discours avant les municipales ; mandat de crises ; maires qui alertent mais qui ne sont pas entendus par l’État (sur le logement, sur les violences envers les élus, sur le narcotrafic…) ; nouvelles ponctions financières, etc.

Le plus dur était toutefois pour la fin avec le discours de Fabien Mandon, chef d’État-major des armées, venu devant les maires parce que «le moment est particulièrement grave ». La situation internationale «se dégrade », a-t-il expliqué sans ambages et les équilibres ont changé.

Confrontation Europe / Russie en 2030

Les Etats-Unis se désengagent de la sécurité du continent européen pour se concentrer sur l’Asie. La Chine est devenue une puissance militaire dotée «de ce qu’il y a de mieux au monde en équipement militaire ». Selon Fabien Mandon, le Pentagone estimerait une invasion de Taïwan par la Chine en 2027 entraînant une confrontation avec les Etats-Unis.

Sur le continent européen, la Russie ne s’arrêterait pas à l’Ukraine. Ella préparerait une «confrontation pour 2030 avec nos pays et les membres de l’Otan ».

Le Sahara est profondément déstabilisé et les «leaders terroristes sont aujourd’hui en Afrique ». La guerre s’est propagée à tout le Proche et Moyen-Orient à la suite des attentats du 7 octobre contre Israël. Des avions français interviennent aux environs du Yémen pour assurer la circulation des navires de commerces.

« Ce qu’il manque, c’est la force d’âme »

« Le portrait est très noir et je crois qu’il faut le dire », a décidé le Chef d’État-major des armées. «La Russie est convaincue que les Européens sont faibles. Pourtant nous sommes forts. Fondamentalement plus forts que la Russie ». A la condition «d’accepter que nous vivons dans un monde en risque et que l’on peut utiliser la force ». La France a les compétences techniques pour «produire ce qu’il y a de mieux au monde » en matière de Défense, comme les drones.

« Nous avons tout pour dissuader Moscou. Ce qu’il nous manque, c’est la force d’âme pour accepter de nous faire mal pour défendre la Nation. (…) Il faut accepter de perdre nos enfants, de souffrir économiquement. Si nous ne sommes pas prêts à cela, alors nous sommes en risque. Il faut en parler dans vos communes », a lancé Fabien Mandon à des maires qui ne s’attendaient pas à cela.

Objectif : que le pays soit prêt dans trois à quatre ans pour démontrer notre force à la Russie afin qu’elle renonce à ses ambitions. Pourquoi la France plus que les autres pays européens ? Parce que nous avons «une armée de référence ».

Rôle fondamental des maires

L’armée compte 200000 militaires (environ 5 personnes par commune). Fabien Mandon veut multiplier les réservistes par deux pour atteindre les 80000 personnes. Dans ce cadre, «les maires ont un rôle fondamental à jouer », estime Fabien Mandon car le «meilleur relais » auprès des concitoyens. «J’ai besoin que vous partagiez cette vision. Elle va susciter des inquiétudes et des questions ».

Comment faire ? Les maires peuvent se rapprocher des correspondants défense, des délégués militaires départementaux, des commandants de régiments et de bases navales pour expliquer la situation aux concitoyens.

Par ailleurs, les maires sont aussi appelés à faciliter l’installation des militaires dans leurs communes (places en crèche, à l’école, logements…). Il leur est aussi demandé de permettre les entraînements et les grandes manœuvres que va effectuer l’armée de terre. «Nous avons besoin d’espaces. S’il vous plaît, essayez d’avoir un regard positif sur ces actions. Nous avons un réseau qui peut vous aider à préparer », a demandé le chef d’État-major aux maires qualifiés de «gardiens de mémoire » avec les commémorations et les monuments aux morts.

Trouver les bons vecteurs de communication

A la sortie, plusieurs maires interrogés par Maires de France ont trouvé ce discours «saisissant », «inquiétant », voire «anxiogène ». Pour Joseph Segura, maire de Saint-Laurent-du-Var (06), il est «bien de sensibiliser. Mais comment en parler à la population ? Quelle légitimité avons-nous pour le faire ? ». «Dans le fond il a raison mais c’était effectivement difficile à entendre. Je n’ai pas retenu comment on pouvait aider. Trouver des emplois pour les conjoints [des militaires], des places en crèche, dans les écoles, etc. Mais en fait, c’est la problématique de tout le monde : de nos policiers, de nos gendarmes, de nos pompiers. Nous faisons face à des réalités qui sont complexes. Je ne sais pas quelles solutions on peut trouver pour apporter notre pierre à l’édifice », s’interroge Isabelle Gautelier, adjointe au maire de Grigny (69). Le maire d’Évron (53), Joël Balandraud, vice-président de l’AMF, souhaitait jumeler sa ville avec un régiment. Le discours du chef d’État-major l’a conforté dans cette démarche. En revanche, «se préparer à perdre des enfants ? Non, je ne suis pas prêt à le dire comme ça à la population ». 

Les maires des Vosges, terre meurtrie par les guerres mondiales, ont trouvé le discours «courageux », «pas évident ». «Qu’on vienne nous demander un coup de main ici au Congrès des maires, c’est une nouveauté !, constate Dominique Peduzzi, maire de Fresse-sur-Moselle, membre du bureau de l’AMF. La seconde chose, c’est la puissance qu’une Nation doit avoir à travers son moral et le moral de la population. Là, nous avons été interpelés dans notre rôle de maire pour contribuer à ce que la population en prenne conscience. La tâche est immense ! Il va falloir avoir une vraie réflexion au sein des communes, de l’AMF pour trouver les bons vecteurs de communication ».  

 

Par Bénédicte Rallu
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