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18/11/2025
107e Congrès de l'AMF 2025 Sécurité - sécurité civile

Insécurité en Outre-mer : les acteurs institutionnels appellent à une meilleure coordination

Lors de la journée Outre-mer du 107e Congrès des maires et des présidents d'intercommunalité, les maires ultra-marins ont témoigné de la « déstabilisation de la société » par le narcotrafic. Les services de l'État ont présenté leurs réorganisations et ont affirmé avoir besoin des maires dans cette lutte.

Lors de la Journée Outre-mer du 107e Congrès des maires, le 17 novembre à Issy-les-Moulineaux, services de l'État et maires ont débattu de leur meilleure collaboration pour lutter contre le narcotrafic.
« La délinquance et la criminalité sont devenues hors normes en raison du narcotrafic », lance Micheline Jacques, présidente de la délégation aux Outre-mer du Sénat, en préambule de l’après-midi consacré à la sécurité dans les communes d’Outre-mer du 107e Congrès des maires, le 17 novembre. La situation est-elle devenue «hors de contrôle » ?

La question se pose tant le phénomène touche désormais tout le territoire français, métropolitain comme ultra-marin dans toute sa diversité, selon l’ensemble des intervenants. Le sujet est devenu «prégnant, y compris à La Réunion depuis deux ou trois ans », affirme Serge Hoareau, maire de Petite-Ile et président de l’association des maires de La Réunion, avec une hausse des faits constatés de «127% » et des arrivées aussi bien par voie maritime qu’aérienne. «La Réunion est maintenant au même niveau que les autres territoires d’Outre-mer », assure-t-il.

Explosion de violences

Mayotte est confrontée à une forte immigration clandestine, à un taux très élevé de circulation d’armes, et au narcotrafic depuis bien plus longtemps : «Cela fait 15 à 20 ans que nous avons des jeunes ados drogués, agressifs, qui sont en bandes avec des chiens eux-mêmes drogués. Tout le monde a peur », témoigne Marib Hanaffi, maire d’Acoua.

De même, en Guyane, «la [problématique] de la sécurité n’est pas nouveau. Le mouvement social de 2017 ayant conduit aux accords de Guyane était déjà lié au trafic », rappelle Sandra Trochimara, la maire de Cayenne.

La Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin, la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie, tous connaissent une explosion de violence en lien avec le narcotrafic. Celui-ci se greffe bien souvent à d’autres violences plus endémiques comme l’orpaillage en Guyane, la méthamphétamine en Polynésie par exemple.

Chiffres effarants

Les maires constatent également que la drogue touche toutes les strates de la société. Si bien que plusieurs intervenants s’inquiètent d’une «déstabilisation de la société », due notamment à «une arrivée massive d’argent », selon les termes de la sénatrice de Martinique, Catherine Conconne.

Le sénateur Etienne Blanc (Rhône), co-auteur du rapport sur le narcotrafic de 2024 ayant conduit à la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic du 13 juin 2025, rappelle les chiffres effarants : «le narcotrafic pèse environ 7 milliards d’euros dans la société française. Si on compare, le ministère de la Justice a un budget de 10 Mds€. Nous estimons qu’environ 250000 personnes vivent du narcotrafic quand 235000 à 240000 – donc moins - sont chargées de lutter contre ce trafic… ».

Affaire de tous

Le commissaire général en chef des Outre-mer pour la police nationale partage «le constat alarmant », même s’il se dit «moins pessimiste » en raison de quelques résultats obtenus. Il est toutefois «inquiet de l’ultraviolence avec des phénomènes de violences urbaines à La Réunion qui sont relativement nouveaux ».

Le chef adjoint de l’Office anti-stupéfiants (Ofast), Christian de Rocquigny confirme l’intensification du narcotrafic : «il n’y en a jamais eu autant ! Aujourd’hui, on saisit environ 70 tonnes de cocaïne quand on en saisissait 6 tonnes il y a dix ans. Nous avons de plus en plus d’arrivées [de drogue] par voie aérienne. La stratégie des criminels consiste à saturer les territoires avec l’arrivée de drogue pour passer plus facilement. La menace existe dans tous les territoires. La lutte contre les stupéfiants est l’affaire de tous ».

Fermeté "accrue" de la justice

L’Outre-mer est la porte d’entrée et de passage du trafic de drogue, la politique contre le narcotrafic doit «être traitée globalement », estime un élu martiniquais. Est-il possible de contrer cette déferlante ? La nouvelle loi du 13 juin 2025 apporte de nouveaux outils (création d’une parquet national spécialisé, résiliation des baux des appartements servant de «nourrice », etc).

Les forces de sécurité se sont réorganisées avec un commandant en chef pour l’Outre-mer et des échelons territoriaux aussi bien du côté de la gendarmerie que de la police nationale. L’Ofast a renforcé ses effectifs.

La justice se spécialise sous l’effet de la création du parquet national et a à sa disposition des outils annoncés comme plus adaptés (nouvelles procédures pénales, nouvelles infractions…). La politique pénale fait preuve aussi «d’une fermeté accrue », assure la procureur de la République de Cayenne, Aline Clerot, (judiciarisation systématique des affaires de narcotrafic, démantèlement des filières, des têtes de réseaux, saisies patrimoniales, pilonnage des points de deals).

Les maires peuvent agir

Tous les services de l’État souhaitent un développement de la collaboration avec les maires, «qui peuvent agir sur la prévention de la délinquance, travailler sur l’occupation de terrain. Nous avons aussi besoin des maires pour le renseignement par exemple sur des jeunes qui partent en sucette. Il faut à tout prix que l’on se parle. Un tout petit renseignement peut déclencher [une grosse affaire] », invite le général Pierre Poty, commandant en chef de la gendarmerie Outre-mer. «Les maires ont la connaissance du terrain, une proximité avec les populations, ils peuvent faire des signalements. La coordination est essentielle à un sursaut ! », estime Aline Clerot.

Une demande qui va dans le sens de ce que préconisent les sénateurs Philippe Bas (Manche) et Victorin Lurel (Guadeloupe) dans leur rapport du 23 janvier 2025 sur «l'action de l'État outre-mer : pour un choc régalien ».

"Au milieu des process"

C’est aussi une demande des maires pour lesquels une hausse des moyens serait certes la bienvenue mais insuffisante. «Le maire est au milieu des process avec les associations, la justice, le conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD)…, résume Joël Balandraud, maire d’Evron (53) et vice-président de l’AMF et le sujet est pris très au sérieux au sein de l’association ».

Sur le terrain, outre les renseignements qu’ils peuvent faire remonter et les actions en matière de prévention de la délinquance, les élus apportent aussi leur pierre en trouvant parfois leurs propres outils comme la création d’un «comité de lutte » en Polynésie qui réunit associations, parents d’élèves, associations religieuses… et dont l’objet n’est pas d’attendre quelque chose de l’État ou du code général des collectivités mais de «rééduquer les jeunes » afin de les ramener dans le droit chemin.

Le projet de loi "polices municipales" au Sénat en février

« On n’y arrivera pas sans vous [les maires], sans les polices municipales qui appartiennent au continuum de sécurité, a martelé Jean-Baptiste Dulion, commandant en chef de l’Outre-mer pour la police nationale.

Elargir les compétences des polices municipales ne pourra qu’y concourir, selon la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio (Val d’Oise) qui a annoncé que le projet de loi sur les polices municipales et les gardes champêtres devrait être examiné au Sénat «en février ». 

   

 

 

 

Par Bénédicte Rallu
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