Interco et territoires
16/07/2025
AMF Intercommunalité Patrimoine Sécurité - sécurité civile Transports, mobilité, voirie

Sécurité des ponts : le financement pose question

En dépit du programme national destiné à soutenir leur effort, les élus rencontrent des difficultés dans un contexte d'urgence lié à la sécurité des usagers.

Le nouveau pont à Chamborigaud (30) a rouvert le 8 avril 2025. Il s'était écroulé en mars 2024. Sa réfection a été financée par le conseil départemental du Gard pour 3,29 millions d'euros.
La sécurité des ponts s’améliore-t-elle ? Pas sûr. Après l’effondrement du pont Morandi à Gênes, en 2018, une mission d’information du Sénat avait rendu un rapport en 2019 dans lequel elle évoquait une «situation alarmante ». Sur les 200 000 à 250 000 ponts existants (il n’existe pas de recensement précis en la matière), plus de 25 000 d’entre eux sont «en mauvais état structurel » et posent des «problèmes de sécurité », estimaient alors les sénateurs Patrick Chaize et Michel Dagbert.

Six ans plus tard, malgré le lancement du Programme national ponts par l’État (lire ci-dessous), l’inquiétude perdure. À raison, comme en témoigne l’effondrement d’un pont à Chamborigaux (886 habitants, Gard), en mars 2024, provoqué par le passage d’un camion de 13 tonnes. Le chauffeur s’en est tiré par miracle, «15 minutes plus tard, un transport scolaire devait emprunter ce pont datant de 1850. Vous imaginez les conséquences ! », relate le maire, Émile Corbier. Un an plus tard, avec un investissement de 3,29 millions d’euros de travaux, financé par le conseil départemental du Gard, le nouveau pont, avec ses 14 tonnes d’armatures, fait la fierté de tout le pays cévenol.

À Soulan, commune ariégeoise de 372 habitants, c’est aussi le soulagement. Son maire, Michel Icart, explique le processus qui a mené à la réfection du pont Saint-Pierre : «j’ai candidaté au Programme national ponts. L’étude préliminaire, gratuite mais trop approximative, m’a laissé sur ma faim et j’ai dû la compléter par une étude d’un peu moins de 4 000 euros, coût pris en charge par la commune. En revanche, la plateforme “SOS ponts” mise en place par le Cerema [lire ci-contre], m’a permis de monter mon dossier de manière très satisfaisante, notamment pour la partie subventions. Sur les 58 000 euros nécessaires pour la réparation du pont, principalement affectés au renforcement de la voûte, nous avons obtenu rapidement 41 000 euros de l’État ».

Michel Icart pointe la nécessité de s’entourer d’un bureau d’études «auquel nous avons confié la maîtrise d’œuvre complète – appels d’offres, suivi et réception des travaux ». Un constat partagé par David Zambon, directeur général adjoint et directeur infrastructures de transports et matériaux du Cerema (lire ci-dessous), soulignant que les dossiers sont «mieux portés quand [les élus] s’entourent des compétences d’un agent technique départemental, d’un ingénieur intercommunal ou d’un bureau d’études ».
 

Les finances, nerf de la guerre

Beaucoup de communes ont cependant toutes les peines du monde à assurer le financement de la sécurisation des ouvrages au coût parfois exorbitant. «Les interventions dans le cadre du Programme national ponts restent marginales car les critères d’éligibilité – petites communes, absence d’ingénierie – sont trop restreints. L’immense majorité des communes est confrontée à d’énormes problèmes de trésorerie. Il est urgent que l’État s’empare sérieusement de la question en affectant des ressources dédiées. À ce titre, l’AMF espère que le gouvernement, par le truchement de la conférence de financement des mobilités [lire p. 12], lancée à Marseille, le 5 mai, apportera des réponses concrètes », espère Sylvain Laval, maire de Saint-Martin-le-Vinoux (5 860 habitants, Isère) et co-président de la commission transports, mobilité, voirie de l’AMF.

Arnaud Durget, maire de Conflandey (357 habitants, Haute-Saône), est tombé des nues à l’annonce du refus du Cerema de financer la rénovation du pont de la commune : «Nous avions pourtant tout fait dans les règles : établissement du carnet de santé de l’ouvrage, au demeurant très succinct, suivi du travail de deux cabinets d’études : l’un pour approfondir l’état réel du pont, l’autre pour définir une programmation et le montant des travaux. La commune a dû engager 8 000 euros pour ces études. La rénovation du pont était estimée à 200 000 euros, le conseil départemental nous accordant 50 000 euros. Mais rien de la part de l’État sous prétexte que notre ouvrage n’est pas assez dégradé, alors que nous espérions 60 % de subventions ! Donc impossible pour notre petite commune de régler le reste à charge (150 000 euros). Si rien n’est fait dans les années qui viennent, le montant sera multiplié par trois ou quatre car la structure sera alors encore plus endommagée. Dans ces conditions, à quoi servent les annonces incitant les maires à s’engager dans le Programme national ponts ? »

Seul motif d’espoir pour Arnaud Durget, la promesse du préfet de la Haute-Saône, Romain Royet, d’engager l’année prochaine des fonds pour le pont. Mais d’ici là, véhicules légers, cyclistes et piétons devront emprunter un pont rafistolé avec les moyens du bord.
 

Le poids du reste à charge

Isabelle Gandit, maire d’Aries-Espenan (88 habitants, Hautes-Pyrénées), a remué ciel et terre pour la réhabilitation du tablier d’un des cinq ponts de sa petite commune, programmée en septembre prochain.

Trois ans de démarches incessantes au cours desquelles elle a sollicité la sous-préfète, le sénateur et les services départementaux «pour ce qui demeure le plus gros dossier de ma mandature. Au début, face à l’immensité de la tâche, j’étais quelque peu décontenancée, voire angoissée. Heureusement, j’ai pu compter notamment sur l’agence départementale d’assistance aux communes qui m’a conseillé sur le choix d’un bureau d’études privé. L’Apave s’est ensuite emparée du dossier mais les conclusions de son étude – classement 3 (travaux de réparation ne revêtant pas de caractère d’urgence) – interdisaient à la commune d’accéder à toute forme de subventions. Le Cerema a finalement validé le contre-diagnostic de notre bureau d’études et s’est prononcé en faveur d’une subvention de 60 %. Il a su aussi être réactif en nous accordant une avance de trésorerie de 30 % ».

Ouf de soulagement de la maire, d’autant que le département et l’État ont rajouté chacun 10 % au pot. Reste à charge de la commune : 20 % des 350 000 euros que coûtera la réhabilitation du pont. «Cette charge nous contraint de mettre en pause notre programme de rénovation énergétique et de ralentir nos travaux sur la voirie. Mais avais-je un autre choix ? Il en allait de ma responsabilité de sécuriser ce pont », conclut Isabelle Gandit. Mais l’élue n’est pas au bout de ses peines : un second pont, aux réparations un peu moins urgentes, devra, lui aussi, être rénové.
 

Des crédits jusqu'en juin 2026
Le Programme national ponts «travaux » est doté de 44 millions d’euros. À ce jour, 26,8 millions d’euros ont déjà été attribués aux 232 collectivités dont le Cerema a validé le dossier (115 000 euros en moyenne par dossier). Les crédits restants peuvent être mobilisés jusqu’au 30 juin 2026, a précisé le Centre lors d’un webinaire organisé par l’AMF, le 14 mai.
Le Cerema peut accorder une subvention couvrant au maximum 60 % du coût des travaux, pour les ouvrages nécessitant des travaux urgents (classés 4) avec un niveau d’investissement égal ou supérieur à 40 000 euros. Pour monter leur dossier de demande de subvention, les collectivités peuvent demander des conseils à la plateforme « SOS ponts ». Le Cerema propose également une « boîte à outils ». Le délai d’instruction des dossiers par le Centre oscille entre un et trois mois.

 

TÉMOIGNAGE
David Zambon, directeur général adjoint et directeur infrastructures de transports et matériaux du Cerema
« l’accompagnement des collectivités est essentiel »
« Les ponts souffrent de trois pathologies : les défauts de maçonnerie, la corrosion des armatures et l’altération des appuis en raison des courants d’eau. Ces maux sont principalement dus à l’ancienneté des ouvrages, au manque d’entretien et, plus récemment, au dérèglement climatique entre épisodes de sécheresse et pluies torrentielles qui mettent à mal les ouvrages. Il est donc urgent de diagnostiquer l’état des ponts.
L’accompagnement des collectivités est essentiel. C’est l’objet de la plateforme «  SOS ponts », en appui du Programme national ponts, que le Cerema a mis en place pour répondre aux interrogations des élus et leur permettre de bien remplir leurs dossiers. Ces dossiers donnent droit à une subvention maximum de 60 % du montant des études et travaux (dans la limite du plafond de subvention autorisé, si l’on ajoute d’autres sources de financement). À ce jour, 700 dossiers ont été examinés. »
Photo © Cerema

 

Par Thierry Guerraz
n°435 - JUIN 2025