Depuis juillet 2020, il y a eu en moyenne une quarantaine de démissions de maires par mois, atteignant un niveau historique de 2 189 démissions au total en cinq ans. C’est ce que constate le chercheur au Centre d’études de la vie politique française (Cevipof) Martial Foucault dans une étude qu’il a réalisée pour l’AMF. «Ce chiffre en nette augmentation confirme la fragilité de la fonction et les difficultés à enrayer sa progression », estime-t-il.
Ce phénomène sur lequel l’AMF alerte depuis plusieurs années inquiète, à moins d’un an des prochaines élections municipales. Martial Foucault appelle à le «prendre au sérieux » dès maintenant car il «ne doit pas dissuader le très fort engagement politique des Français. »
Environ 6 % des maires ont quitté leur fonction depuis leur élection. Concrètement, «il ne se passe plus une journée en France sans qu’un édile démissionne » , constate le chercheur.
Entre juillet 2020 et mars 2025, 2 189 démissions de maires (dont 2 105 en métropole) ont été enregistrées par le ministère de l’Intérieur. C’est en 2023 que le nombre de démissions a atteint le chiffre exceptionnel de 613 maires qui ont jeté l’éponge.
Si, comme le pointe l’auteur de l’étude, la fréquence des démissions faiblit à mesure que les prochaines élections municipales s’approchent, «il n’en reste pas moins qu’elles ont atteint une ampleur jamais observée par le passé. » Si l’on prend la moyenne des démissions enregistrées par année, on constate un grand écart entre le mandat 2009-2014, avec 129 démissions par an en moyenne, et le mandat actuel où l’on recense 417 démissions en moyenne.
Il est intéressant de noter que les démissions suivent «un cycle récurrent avec un pic notable à mi-mandat, phénomène observé au cours des trois dernières mandatures » . Ainsi en 2023, presque deux maires chaque jour ont décidé de démissionner. Rappelons que cette année avait été marquée par des émeutes et violences urbaines et où de nombreux maires avaient été pris pour cible (lire Maire info du 30 juin 2023). Pourtant, de manière surprenante, il apparaît que «les situations de violence physique ou symbolique à l’endroit des maires n’apparaissent pas comme un élément déclencheur de démission ». Il existe moins d’une quarantaine de cas où un maire a quitté ses fonctions pour ces raisons.
Ces démissions ne touchent pas de manière homogène les territoires. «Les communes de moins de 500 habitants enregistrent le plus grand nombre de démissions (41,7 % du total) mais sont relativement moins exposées que les communes de plus de 10 000 habitants. En effet, rapporté au nombre de communes par strate de population, ces dernières sont exposées à 11,5 % (contre 5 % pour les communes de moins de 500 habitants). Plus la taille de la commune augmente, plus le risque de démission a progressé au cours de ce mandat. »
Malgré ces chiffres, du côté du gouvernement, on choisit de voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. La semaine dernière, François Bayrou relativisait les démissions de maires : «On dit que les maires démissionnent en masse ? 450 maires ont démissionné l’an dernier, cela ne fait que 1 % d’entre eux. » Selon l’étude dévoilée ce jour, ce sont en réalité 500 maires qui ont démissionné en 2024. Si la différence n’est pas spectaculaire, signalons tout de même que le Premier ministre a choisi de mettre en avant dans son discours les «maires heureux » laissant de côté les maires épuisés et contraints de démissionner.
Pourquoi les maires démissionnent t-ils ? Selon les témoignages recensés dans la presse, on aurait pu penser que la santé physique et psychique serait le premier motif avancé par les édiles pour mettre fin à leur fonction. Néanmoins, si 13 % des maires ont démissionné pour cette raison précise – ce qui représente tout de même un chiffre significatif et inquiétant – ce n’est pas le premier motif invoqué par les édiles.
« Avec 31 % de cas recensés, les tensions au sein du conseil municipal, liées à la conduite de l’action municipale, sont la principale cause de démission des maires » , pointe l’étude. Différends, disputes, conflits ou autres désaccords au sein du conseil municipal : ces situations tendues peuvent se déclarer «tantôt avec des élus de l’opposition, tantôt, et c’est le cas le plus fréquent, au sein de la majorité. »
Le chercheur explique que le contexte de ce mandat n’y est pas pour rien : «Quelque 85 % des maires ont été élus dès le premier tour au mois de [mars 2020], mais leur installation officielle s’est organisée seulement en juillet (…). Pendant de longs mois, les équipes n’ont pas pu se retrouver en présentiel, ni même travailler sur les projets arrêtés durant la campagne. Cela a nécessairement interrompu une dynamique collective, en particulier pour les citoyens nouvellement engagés dans la vie de leur commune. »
À cet égard, il sera très intéressant de voir, lors du prochain mandat, quelles seront les conséquences concrètes de la loi qui vient d'être votée pour les communes de moins de 1 000 habitants, et qui impose la constitution de listes, élues à la proportionnelle, en lieu et place du scrutin uninominal avec possibilité de panachage. L'une des conséquences de ce texte sera la nécessité de mettre en œuvre un véritable «projet de liste », an amont des élections. Cette évolution aura-t-elle une évolution positive sur les dissensions au sein des conseils municipaux ? On le saura à la fin du prochain mandat.
L’étude met aussi en avant un phénomène que beaucoup de maires dénoncent : «Ce qui est commun à nombre de démissions de maires est la remise en question de certaines de leurs décisions qui peuvent porter sur le contenu (voirie, travaux, PLU…) ou la temporalité (report de décisions ou accélération sur des sujets jugés initialement comme non prioritaires), mais aussi sur la personnalité de l’édile ou sa méthode d’instruction, de délibération et de décision. » Les communes de 1 000 à 3 500 habitants représentent 37,3 % de ces démissions dites «politiques », soit 3,7 % de cas pour l'ensemble des communes de cette strate de population.
Enfin, le nombre de démissions qualifiées de «programmées » représente 13 % des démissions totales. «Elles suivent une logique bien huilée où le maire élu en 2020 annonce dès le début de son mandat, voire de sa campagne électorale, qu’il passera la main à mi-mandat », explique Martial Foucault.
Par ailleurs, le mandat en cours, souvent qualifié comme «particulièrement difficile », a visiblement produit des effets de déception chez les 40 % de maires qui occupaient pour la première fois cette fonction. Ainsi, parmi les démissionnaires, on décompte 53 % de nouveaux maires.
La publication de cette étude met à nouveau en lumière l’urgence d’adopter la proposition de loi sur le statut de l’élu qui sera débattue à l’Assemblée nationale en session extraordinaire, «autour du 7 juillet » , selon Françoise Gatel, ministre chargée de la Ruralité et co-autrice de la proposition de loi.
En clôture des Assises de l’APVF, l’ex-sénatrice a indiqué que ce travail consensuel sur le statut de l’élu ne consiste pas en la création «d’un statut de privilégié » mais doit «sacraliser la fonction de maire ». «Il est souhaité par tout le monde d’élargir la protection fonctionnelle et d’améliorer les conditions à la sortie du mandat de maire » , a par exemple résumé Françoise Gatel en faisant référence à cette proposition de loi qui devrait aussi «encourager à l’engagement ». «Il est temps de conclure » , a-t-elle finalement lancé.