Interco et territoires
24/02/2025
Développement économique Environnement Intercommunalité Tourisme

Les stations de montagne engagées dans l'après ski

Plusieurs stations de montagne ont annoncé une fermeture partielle ou totale de leur activité skiable dès cet hiver ou pour 2025. Et réorientent leur économie.

La station de Métabief (25) expérimente désormais des activités toutes saisons comme « La luge des cimes » qui fonctionne, avec ou sans neige, dix mois sur douze.
L’annonce a jeté un grand froid dans la région : la station de ski de Métabief (Doubs, 1 300 hab.) réduit son activité de 30 % dès cet hiver. À 300 km de là, à l’Alpe du Grand Serre, station iséroise, les remontées mécaniques vont définitivement cesser leur ballet dans un an, à l’hiver 2025-2026. Les élus de la communauté de communes (CC) de la Matheysine (Isère, 43 communes, 18 900 hab.) ont songé à stopper le ski dès cette année mais se sont ravisés pour laisser aux professionnels (loueurs de matériel, écoles de ski, hébergeurs, restaurateurs) le temps de se retourner. En cause : la baisse de fréquentation due à un enneigement de plus en plus aléatoire à basse et moyenne altitude, mais aussi les sommes faramineuses englouties dans l’entretien et le renouvellement des remontées mécaniques.

« Nous avons investi 2,7 M€ depuis 2017 pour remettre la station à flot, témoigne Coraline Saurat, présidente de la CC de la Matheysine. Ce n’était plus tenable. » Décision encore plus radicale : dans la commune de Seyne-les-Alpes (Alpes-de-Haute-­Provence, 1 366 hab.), les élus ont voté, en juillet dernier, l’arrêt des remontées mécaniques de la station du Grand Puy dès novembre 2024 (lire ci-dessous). La station a perdu 62 % de skieurs en dix ans. La commune devait verser, chaque année, 350 000 € pour combler le déficit… Accompagnée par un bureau d’études, la municipalité a établi sept scenarii de diversification qui ont été présentés aux habitants. Lors d’un référendum décisionnel local, en octobre 2024, qui a obtenu 57 % de participation, les votants ont approuvé en grande majorité (à 71 %) la fermeture de la station avec une diversification des activités, indépendamment de la neige.

« En 2025, nous allons travailler avec Provence Alpes Agglomération (46 communes, 47 000 hab.) pour réorienter la station vers un site naturel multi-activités accessible à tous, sans ticket d’entrée, précise Laurent Pascal, le maire. Les plus sportifs pourront grimper de 1 300 à 1 600 mètres à pied, à vélo à assistance électrique ou en courant, via des sentiers de randonnée, des pistes de vélos ou de trail ; les autres pourront pratiquer la randonnée, jouer au boulodrome ou pêcher dans les lacs collinaires. »
 

Investissements raisonnés

Autres pistes envisagées : des «stages d’oxygénation » et la visite des conserveries de produits du pays à base de l’élevage et du maraîchage locaux. Par ailleurs, dans la vallée, dès l’été 2024, un pôle sportif et aqualudique a vu le jour, d’un coût de 3,5 M€, subventionné à 75 % par le plan Avenir Montagnes.

La station de Métabief est gérée par le département du Doubs et le syndicat mixte du Mont d’Or (SMMO), composé de la communauté de communes des Lacs et Montagnes du Haut-Doubs (32 communes, 16 937 hab.) et du conseil départemental. Lesquels ont pour axe stratégique une certaine rigueur budgétaire. Maire de Frasne (1 941 hab.) et président du SMMO, Philippe Alpy est par ailleurs vice-président du conseil départemental chargé de l’aménagement et de la montagne. «L’équipe départementale élue en 2015 a adopté un plan pluriannuel raisonné pour entamer la transition, relate-t-il. Exit le projet de la précédente équipe d’investir 24 M€ dans de nouvelles installations. »

En 2018, le SMMO a contractualisé avec le département et les quatre communes concernées afin qu’elles lui reversent 60 % de la taxe sur les remontées mécaniques, jusqu’en 2021, en vue de préparer la transition du site. Ensuite, les subventions du plan Avenir Montagnes ont pris le relais et permis d’étoffer le pôle ingénierie. Lequel a modélisé les conséquences du réchauffement climatique localement et organisé des ateliers participatifs avec les professionnels pour envisager l’après ski. Déambulations, randonnées en raquettes ou à ski, trail, parapente sont évoqués. Et, pendant l’été, a ouvert la «Luge des cimes », qui fonctionne dix mois sur douze, avec ou sans neige.

À l’Alpe du Grand Serre (Isère), un grand projet de diversification était sur les rails, incluant une nouvelle télécabine, du tourisme d’été, une accessibilité pour les familles et les personnes à mobilité réduite. Montant de la facture : 24 M€. Mais le budget n’a pu être bouclé. «Il nous manquait 7 M€ et l’État ne s’est pas manifesté », regrette Coraline Saurat. Le projet nécessite d’être «revisité », selon l’élue. «La station est d’ores et déjà dotée d’un “bike park”. Nous réfléchissons à des activités autour du pastoralisme, une ferme pédagogique, un parcours ludique avec une tyrolienne, des aires de bivouac », énumère-t-elle.
 

Diversifier l’offre

Dans les Pyrénées, la question de la baisse de l’enneigement se pose avec encore plus d’acuité. Parmi les collectivités pionnières de la transition : la station d’Artouste, dans la commune de Laruns (Pyrénées-Atlantiques, 1 180 hab.). Son gros point fort touristique et économique : le petit train qui connaît un vif succès en été. En 2019, l’exploitation globale de la station, dont le déficit ne cessait de se creuser, est reprise en régie par un établissement public industriel et commercial (EPIC) créé par la commune. Directeur de la station d’Artouste, Jean-­Christophe Lalanne travaille en étroite collaboration avec le maire, Robert Casadebaig, pour redresser les comptes. En 2020, l’EPIC décide d’abandonner définitivement la neige artificielle «pour économiser de l’eau et le coût de l’électricité », expose Jean-Christophe Lalanne.

Autre initiative : faire tourner le petit train en hiver, quand il n’y a pas de neige. Des pistes de vélo de descente sont aménagées, ainsi qu’une base de loisirs, une tyrolienne à virages et des «mountain kart » sont proposés, circulant sous la télécabine. Un chantier de diversification d’un coût d’1 M€, subventionné à 80 % par France Relance. Bonne nouvelle : en 2024, les comptes de la station ont été à l’équilibre et même légèrement excédentaires. Mais qu’en est-il du foncier nécessaire pour créer de nouvelles activités ?

Pour Jean-Pierre Vigier, président de l’Association nationale des élus de la montagne (ANEM), «le zéro artificialisation nette (ZAN) tel quel peut être un obstacle à la reconversion des stations de basse altitude. Il faut que les élus de montagne puissent déroger à la règle d’un seul hectare consommable pour l’habitation résidentielle, afin de libérer du foncier pour le tourisme, l’économie, la santé et faire vivre nos villages ». Car il y a une vie après le ski… si l’on dispose des moyens humains, financiers et juridiques pour réaliser la transition.
 

Financer la transition
Doté de 331 M€, le plan Avenir Montagnes, lancé en deux volets en 2021, a mobilisé 300 M€ d’investissement, financés à parité par l’État et les régions. Côté ingénierie, 31 M€ ont été apportés. Le plan Avenir Montagnes II doit s’achever fin 2025. L’Association nationale des élus de la montagne appelle à un acte III. Par ailleurs, certaines collectivités ont pu bénéficier du plan France Relance.
Mais comment dégager d’autres ressources ?
À Grand Puy (04), les télésièges et téléskis sont en vente sur le site Domaines skiables de France. La mairie table sur une recette située entre 600 000 € et 2 M€. À Métabief, le syndicat mixte du Mont d’Or (SMMO) a fait expertiser les remontées mécaniques par la méthode EVE, qui repère les signes de fragilité dans les socles de béton ou les structures métalliques, lesquels ont été réparés. «Avec 500 000 € à 600 000 €, nous redonnons vie à une remontée mécanique – au lieu de 7 M€ pour en acquérir une neuve », détaille son président.

 

Témoignage
Jean-Pierre Vigier, président de l’Association nationale des élus de la montagne (ANEM), député de la 2e circonscription de Haute-Loire et conseiller régional Auvergne-Rhône-Alpes
« À basse altitude, le maître-mot
est anticiper »
« Partout où il est possible de maintenir de la neige – y compris en recourant à la neige de culture –, il faut maintenir l’activité de ski, une ressource économique majeure. Les communes supports de stations confrontées à des difficultés d’enneigement depuis des années se préparent à la transition activement.
Certaines stations en basse altitude ont annoncé récemment des fermetures brutales : nous aimerions éviter cela. Le maître-mot est alors l’anticipation. Anticiper une reconversion positive qui passe par un tourisme à l’année, incluant la découverte du patrimoine naturel, des circuits d’activités environnementales autour des plans d’eau, de la biodiversité, du thermalisme, de l’agrotourisme. Plusieurs stations ont déjà pris ce virage.
Depuis la loi montagne de 1985, nous avons trouvé un équilibre entre la préservation du patrimoine naturel et le développement économique, et nous continuerons à le faire. »
© @J_PVigier

 

Par Nathalie Da Cruz
n°431 - FEVRIER 2025