« Tout démarre en septembre 2015 : je vois la photo de l’enfant syrien mort sur une plage turque et me dis qu’on ne peut rester les bras ballants. C’est un devoir d’accueillir des personnes qui fuient leur pays. J’en parle au conseil municipal et je lui dis que nous hébergerions quoi, “deux-trois familles” de migrants ? Je reçois son accord. Nous détenons un château avec, à côté, des dortoirs et une cantine : il a accueilli des colonies, des mariages.
Je signale notre bonne volonté au préfet, j’obtiens une molle réponse quand, un mois plus tard, ça s’accélère. Le démantèlement de la “ jungle” de Calais nous rend intéressants, mais “100” migrants nous seraient adressés. Ouh là là ! J’en réfère à chaque conseiller. À nouveau je suis suivi. Je donne notre accord à la préfecture. »
« Bénévoles et agents de services publics, qui s’occupent de la question, visitent nos locaux. Le préfet me dit que les migrants ne seront “que” 50. Je rédige un mot informant les citoyens, qui est remis dans toutes les boîtes aux lettres. Je réunis le conseil municipal qui valide le projet avec deux abstentions et une opposition.
Le 3 novembre 2015, 50 Érythréens et Soudanais, partis de Calais, arrivent ici, en bus, sous escorte. Ils sont fatigués, apeurés : je suis heureux de notre main tendue. La tension est forte, des gendarmes sont partout. Nous faisons la Une des journaux, la haine déferle. Le standard de la mairie explose, je suis menacé sur les réseaux, la fachosphère hurle. J’organise une réunion publique. Il y a 300 personnes, c’est la curée. »
« Des villageois craignent pour leurs enfants, la valeur de leur maison… Je n’en mène pas large. À un moment, ça bascule. Une femme dit : “Comment vont-ils ?” ; les migrants deviennent des “humains” – et fusent les idées pour les soigner, les former, les divertir. Les attentats du Bataclan, le 13 novembre 2015, relancent la peur ; abritons-nous des terroristes en puissance ? Le drame balaie tout, et le centre trouve sa place. J’ai même organisé des vœux avec les migrants, dansant et chantant. En mars 2016, le centre ferme, les étrangers sont dispersés. Puis il rouvre à nouveau et referme.
Dès mai 2018, j’obtiens qu’il devienne, jusqu’en 2035, ce centre provisoire d’hébergement (photo) pour 74 migrants, dont 4 LGBT, ayant obtenu l’asile et qui transitent pendant 9 à 12 mois. Je voulais pérenniser la solidarité, et j’y suis parvenu. »