Résultat : alors qu’en 2020, 9 558 formations seulement étaient prises en charge par la CDC, ce nombre a bondi à 31 669 en 2021. «Dans les faits, il était très fréquent que l’élu soit intermédié par un organisme de formation pour l’accomplissement de ces formalités administratives », souligne la CDC dans son tout récent Rapport de gestion du droit individuel à la formation des élus 2022. Mais en dépit de ces progrès apparents, la mise en œuvre effective du Dife, depuis un an, pose encore de nouvelles difficultés.
La complexité vient de la dématérialisation obligatoire de la procédure d’inscription via Mon Compte élu, venue remplacer, depuis le 1er janvier 2022, le dispositif d’instruction manuelle, plus simple d’utilisation pour les élus locaux. Cette nouvelle procédure, qui obligeait déjà les élus à créer un identifiant numérique via France Connect, exige désormais, depuis le mois d’octobre, de passer par France Connect + pour pouvoir s’inscrire à une formation financée via le Dife.
Jugée plus sûre, cette nouvelle formalité a été rendue obligatoire par l’État dans l’espoir de mettre un terme aux arnaques financières liées aux usurpations d’identité constatées dans le cadre du site moncompteformation. Cette version, la plus sécurisée de FranceConnect, s’appuie en pratique sur une application d’identité numérique fournie par La Poste.
Une réforme de plus qui inquiète tant du côté de l’Association des maires de France (AMF) que du Parlement. «Cette nouvelle modalité est entrée en application le 25 octobre 2022 sans qu’aucun préavis, pourtant sollicité par l’AMF, n’ait été observé, et sans aucune communication préalable aux utilisateurs », s’est notamment ému le sénateur Éric Kerrouche, dans une question écrite du 10 novembre 2022 à la ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer. «Les modalités trop complexes d’inscription auront certainement pour effet de dissuader les élus locaux de s’engager dans une démarche de formation alors qu’elle est indispensable au bon fonctionnement des collectivités locales et de la démocratie locale », a-t-il alerté à cette occasion.
Sur le terrain, ces inquiétudes ont été malheureusement vite confirmées : problèmes de connexion rencontrés par les élus, bugs informatiques sur la plateforme dédiée, difficultés à accéder à la hotline mise en place par La Poste pour obtenir de l’aide, incapacité de certains conseillers des bureaux de poste à aider les élus… Au point que nombre d’entre eux reconnaissent aujourd’hui avoir jeté l’éponge après quelques premières tentatives d’identification infructueuses.
La nouvelle procédure à respecter ne brille donc pas par sa simplicité. «J’ai dû m’y reprendre à plusieurs reprises, cela a donc pris plusieurs jours puisque je n’ai pas eu l’authentification la première fois », témoigne Sandra Lemarchand, adjointe au maire de Cahagnes (14), vice-présidente de Pré-Bocage Intercom-Normandie. Et de détailler : «La procédure demande, par exemple, de parler en étant enregistré devant son téléphone portable et, lorsque je l’ai fait, j’étais en permanence au secrétariat de la mairie, ce qui n’était pas du tout adapté. Ayant effectué la procédure, ce n’est que le lendemain que j’ai reçu le mail m’informant que l’authentification n’avait pas fonctionné et qu’il fallait donc tout recommencer. » De quoi en freiner plus d’un dans son élan, à supposer encore que la simple perspective d’une procédure en ligne obligatoire ne suffise pas déjà à le démotiver.
Selon Sandra Lemarchand, «le nouveau dispositif risque de décourager certains élus, notamment les plus anciens qui sont peut-être plus éloignés des procédures numériques ». «Une fois l’identité numérique créée, certains élus ne parviennent pas à s’inscrire à une session de formation : l’application “L’identité numérique” “mouline” à l’étape d’identification sur Mon compte élu », alerte encore Karine Alicot, directrice de l’Association des maires et élus du Lot. Comme nombre de ses collègues, elle constate depuis cette réforme une diminution inquiétante du nombre de participants aux formations.
Face à ces difficultés, et surtout soucieuses d’aider au mieux les élus à créer leur nouvelle identité numérique, certaines associations départementales de maires n’hésitent plus à faire un travail pédagogique supplémentaire en élaborant des documents d’aide pratique à leur intention. Présentation simplifiée de la nouvelle procédure, captures d’écran, liens hypertextes, tout est bon pour accompagner les élus dans la mise en œuvre de leurs droits au titre du Dife.
L’Association des maires et présidents d’intercommunalité de la Haute-Loire présente, sur son site web, un document de six pages, simple et illustré, détaillant les différentes étapes à accomplir pour obtenir le précieux sésame. «Pour mobiliser votre Dife, anticipez et pensez à créer votre identité numérique sans plus attendre ! Celle-ci vous sera également utile pour vos autres démarches administratives en ligne », préconise désormais cette association départementale à ses adhérents.
Pour ceux qui n’arriveraient pas à créer leur identité numérique, une procédure papier de vérification de leur identité a été mise en place. Les élus doivent pour cela remplir un formulaire et l’envoyer avec copies recto/verso de leur pièce d’identité et de la carte vitale (ou attestation de Sécurité sociale) au service de demande de vérification d’identité à Lille (lire ci-dessus).
Reste que les difficultés rencontrées par les élus pour faire valoir leur Dife entraînent la perte de leurs droits comptabilisés en euros et contribuent mécaniquement à renflouer le fonds de gestion dédié de la CDC. En clair, le non-recours des élus à leur Dife apparaît loin de la pénaliser. Son dernier rapport portant sur 2022 relève d’ailleurs que «c’est la première année que le budget devrait être excédentaire, en raison des mesures liées à la réforme et d’un démarrage progressif de Mon Compte élu ».
« La situation budgétaire du fonds resterait largement excédentaire à fin 2023, à hauteur de 16,1 millions d'euros », pronostique-t-elle. Pour sa part, l’AMF continue à œuvrer auprès du gouvernement, en lien avec les associations départementales, «pour qu’aucun élu ne soit privé de ses droits légitimes » et «demande que l’enveloppe Dife 2022 de chaque élu soit reportée intégralement sur celle de 2023, sans plafond ». L’occasion de souligner que l’effectivité du droit à la formation des élus constitue avant tout un enjeu démocratique.