Le centre social est «un foyer d’initiatives portées par des habitants associés, appuyées par des professionnels capables de définir et de développer un projet social pour l’ensemble de la population d’un territoire », rappelle la plaquette de présentation de La Farandole (Allier). Son projet vient, lui, d’être renouvelé pour quatre ans avec la CAF. Avec une nouveauté : le développement d’un pôle «petite enfance et parentalité ». Cela fait quelques années que le centre a opté «pour un projet résolument d’éducation populaire, et les personnes se sont emparées du centre », assure sa jeune directrice, Laetitia Pelletier. Citant la création d’un collectif «Femmes et territoire », qui a notamment fait campagne contre les violences faites aux femmes et qui s’est déplacé à la Goutte d’Or, à Paris, pour rencontrer d’autres femmes. Début mars, ce collectif a réuni près de 60 personnes dans la salle des fêtes, en face du centre social, pour parler du droit de vote. «C’est bien quand le centre social secoue le cocotier », remarque Guy Labbé. Dans le jargon des centres sociaux, on préfère parler du «pouvoir d’agir ».
« Développer le pouvoir d’agir », c’est ce que Guillaume Robert a mis en pratique en créant l’association «Roulé mon z’aviron », sur la commune réunionnaise des Avirons (15 000 hab.), il y a six ans. Il en est devenu le directeur. «Avec un groupe d’habitants, nous avons lancé une démarche d’animation sociale sur un quartier de 3 500 habitants de la commune. Cela fait trois ans que nous sommes reconnus espace de vie sociale par la CAF, et nous sommes en cours de préfiguration pour devenir un centre social », explique-t-il.
L’espace de vie sociale et tiers-lieu bénéficie d’une prestation de service de la CAF. Une fois labellisé centre social, il bénéficiera d’une autre aide pour la coordination et la direction du centre. «Aller vers », voilà un principe clé des centres sociaux. «L’expression est devenue une tarte à la crème des politiques publiques mais elle nous parle », revendique le président de la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France (FCSF), Tarik Touahria (lire ci-dessous).
« On a chevillé au corps l’accueil inconditionnel, mais il ne suffit pas d’afficher le principe pour que les personnes franchissent notre porte. Il faut aller au-devant d’elles. » Cela justifie que l’itinérance se soit notablement renforcée ces dernières années. À l’image du futur centre social à La Réunion, «Roulé mon z’aviron », qui sera d’emblée «itinérant » pour aller au-devant des habitants.
« Cette démarche demande du temps de déplacement et des financements (carburant, véhicule, etc.) », souligne la directrice de La Farandole. Dans l’Allier, pour réussir à toucher les publics les moins mobiles (jeunes…), elle a donc sauté sur l’opportunité du plan de relance, à la sortie du Covid-19, pour financer l’achat d’un mini-bus. «Avant, on se débrouillait mais tout était plus compliqué. Maintenant, l’animateur sportif est autonome pour aller chercher des jeunes et les emmener sur des équipements sportifs qui leur étaient inaccessibles », explique Laetitia Pelletier.
Le centre a pu aussi organiser des «journées festives itinérantes intergénérationnelles » qui réunissent à chaque fois près d’une centaine de personnes. «Grâce à cela, des personnes âgées peuvent rencontrer des membres de leur famille qu’ils ne voient plus sinon », assure-t-elle.
Le numérique est l’autre évolution notable des centres sociaux ces dernières années, surtout depuis la crise sanitaire. «Cela bouscule tout le travail des centres », remarque Tarik Touahria. Ce que confirme Guillaume Robert, à La Réunion, qui a choisi d’y dédier un pôle dans son centre. «On est dans une démarche d’accès aux droits et d’accompagnement individuel. »
De l’accompagnement à la réalisation des démarches en ligne (demande d’aide pour voyager, déclarations d’impôts, etc.), grâce au dispositif «pass numérique » mis en place par la région (un chéquier de 10 chèques de 10 euros). Et la formation des personnes, par groupes de six à huit, «pour les aider à devenir à l’aise avec l’outil numérique et informatique », grâce à des financements du pacte solidarité du département et de la région.
De septembre à décembre 2023, près de 500 personnes ont ainsi été formées ! En majorité des plus de 60 ans. L’action est vouée à se développer, à la demande de la commune, pour essaimer dans d’autres quartiers et en direction des jeunes. «Pour eux, le numérique c’est TikTok ! Mais ils ne savent pas écrire de mails ! », note le directeur.
« Par essence, le centre social est à l’écoute des habitants, du territoire, on décode les besoins et les attentes, on sème des graines. Ensuite, des actions peuvent en découler, parfois portées par le centre, parfois par d’autres. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne travaille jamais seuls et que l’on valorise les ressources du territoire, des habitants, des partenaires, explique Laetitia Pelletier, dans l’Allier. C’est ainsi que le service de portage de repas est né, en 1995, à La Farandole, après un travail «main dans la main avec l’EPCI ».
La Farandole vient aussi d’accepter de gérer la future micro-crèche, la seconde du territoire portée par l’intercommunalité. Ce partenariat est à l’image des liens entremêlés entre les centres sociaux, les collectivités et leurs groupements. L’EPCI s’occupe des accueils de loisirs du mercredi et le centre social de ceux des vacances scolaires. «Autre avantage, le centre social a formé pas mal d’animateurs », relève le maire du Donjon, également vice-président de l’EPCI.
Dans la Nièvre, le centre social intercommunal des Portes du Morvan a accueilli France services ainsi que des permanences des assistantes sociales de secteur, de la mission locale ou des impôts. Les bureaux sont sommaires, mais le service rendu. «France services, c’est 1 300 sollicitations par an. Sans cela, les familles n’ont d’autre choix que d’aller à Nevers. Pour la permanence sociale, il faut aller à Corbigny », précise la directrice. Mais cela a un coût.
« Ce sont des services qui ne nous rapportent pas d’argent et qui nous ont demandé à former deux personnels. » Ce centre est aussi chargé de la gestion de la pause méridienne des écoliers, en semaine, pour trois communes du territoire. La mairie vient de lui prêter un terrain pour y animer un jardin partagé, en lien avec l’expérimentation «Territoire zéro chômeur longue durée », dans laquelle la collectivité est engagée. La directrice fait d’ailleurs partie du comité local pour l’emploi. Un travail en symbiose, qui rend parfois difficile de discerner qui fait quoi.
Peu importe, réagissent les différents interlocuteurs pour qui le seul risque à éviter est que le centre ne devienne qu’un prestataire de services. «Pour les habitants, les élus et les usagers, le centre était devenu un lieu de consommation de services. Il avait perdu l’ambition de son caractère de “commun”. C’est ce que nous sommes en train de relancer », explique le président du centre social des Portes du Morvan. Le maire de Lormes acquiesce : «à ne faire que de la prestation de services, les centres sociaux perdent leur raison d’être ». Ici, le centre a connu «une crise de gouvernance ». «Il nous interpelle sur la création d’une salle d’activité. C’est signe qu’il repart », note l’élu avec satisfaction.
Mais le modèle socio-économique des centres sociaux est fragile. L’inflation, cumulée avec la revalorisation des salaires en début d’année, a plongé dans le rouge plusieurs centaines d’entre eux (lire ci-dessous), provoquant une mobilisation nationale de leur fédération, fin janvier, pour faire réagir. «Je ne comprends pas que l’on doive payer autant de cotisations patronales qu’une entreprise qui peut faire des marges et des bénéfices », s’énerve Guillaume Robert, à La Réunion.
À La Farandole (Allier), les slogans restent depuis affichés aux fenêtres. «Pas de centre social » égal «pas de yoga », «pas de sport pour les jeunes », «pas de soirée œnologie », «pas de portage de repas », «pas d’animation parents-enfants », etc. Ce sont les usagers qui les ont écrits, précise la directrice. Les élus locaux les partagent sans doute. Car l’an dernier, ils ont accepté à l’unanimité de passer leur cotisation, à partir de 2024, de 1 à 2 euros par habitant.
Une bonne nouvelle pour la trésorerie mais aussi le moral des salariés et des usagers. «La participation des communes n’avait pas été augmentée depuis dix ans », explique Laetitia Pelletier. La CAF a aussi revalorisé la prestation de service versée aux centres. Mais cela ne suffit pas à compenser la hausse des dépenses. D’autant que beaucoup de centres refusent d’augmenter la participation des usagers. «Ces derniers ne peuvent pas être la variable d’ajustement car sinon, les plus pauvres ne viendront plus », prévient Romain Beaucher.
« Nous sommes dans une situation où nous devons réfléchir à un nouveau projet social, à quatre ans, à un centre qui se déploie, réponde à de nouveaux besoins liés à la mobilité, à la transition écologique… mais avec des moyens qui ne suivent pas », s’inquiète l’élu. Il a interpellé les élus locaux du Morvan. Avec l’espoir que l’appel national à la co-responsabilité de la FCSF permette de rebondir. Même si, du côté des collectivités, chacun fait valoir ses contraintes budgétaires… «Il va nous falloir assumer des choix politiques », reconnaît de son côté Guy Labbé.
En attendant, les centres sociaux continuent de courir après les appels à projet, devenus le seul moyen de financer de nouvelles actions. Ils doivent aller taper à toutes les portes, caisses de retraite, fondations, conférence des financeurs, entreprises privées… Le développement de projets «fait partie de notre ADN pour répondre à l’évolution des besoins et aux demandes », reprennent en chœur présidents et directeurs de centres. Mais tous confient une lassitude extrême de devoir y consacrer un temps fou qui les éloigne du terrain.