« Le système de l’assurance repose sur le principe de la mutualisation : les cotisations de tous règlent les sinistres de tous », explique Franck Le Vallois, directeur général de France assureurs, fédération qui regroupe 99% des assureurs exerçant en France (environ 250). En 2022, le montant total des cotisations des collectivités a atteint 385 millions d’euros. Mais en 2023, les émeutes ont coûté 200 M€ en sinistres indemnisés, soit «plus de la moitié du chiffre d’affaires », souligne Franck Le Vallois, mettant ainsi en relief le déséquilibre actuel du marché des collectivités.
Est-ce un argument entendable pour les communes ? Il semble que non. Alain Chrétien, maire de Vesoul (70), et chargé par le ministère de l’Economie et des Finances d’une mission sur l’assurabilité des collectivités et donc de renouer le dialogue avec les compagnies, appuie là où cela fait mal pour les assurances : la mutualisation. «Le chiffre d’affaires total du monde des assurances atteint entre 150 et 200 milliards d’euros ; le marché des collectivités ne représente que 1% ! Cela relativise les contraintes… »
Et surtout ouvre des perspectives en termes de mutualisation. «Il faut mettre ces 200 milliards d’euros dans un pot commun et faire jouer la solidarité de la Nation entre le public et le privé », renchérit Ferdy Louisy, maire de Goyave (971). «Il faut avoir ce débat, acquiesce Alain Chrétien, également vice-président de l’AMF. Si on dilue 385 M€ dans 200 milliards d’euros, on va trouver une solution ! ».
Pour France Assureurs, une telle approche est impossible : «Les risques doivent être homogènes et de même nature [pour faire jouer la mutualisation]. Nous ne mettons pas dans le même panier les risques des entreprises et les risques des particuliers. Les actions de prévention ne sont pas de même nature ». Pour les collectivités, «le risque dans un ehpad privé n’est-il pas le même que dans un ehpad public ? », rétorque Alain Chrétien. «Les écoles, les routes, les ponts sont utilisés par tout le monde », embraye Ferdy Louisy, pour qui la solidarité nationale doit en conséquence jouer. «Il faut y travailler », a convenu France Assureurs.
Pour les maires, il n’y a pas tellement le choix : «Nous assumons les liens de proximité, les collectivités font le lien social du quotidien. Sans assurance, tout cela est fini ! L’auto-assurance n’est pas envisageable, tout le budget de fonctionnement risquerait d’y passer !», plaide Sylvie Aubert, maire de maire de Fontaine-le-Comte (86).
Eric Menassi, maire de Trèbes (11), en sait quelque chose : le co-président du groupe de travail de l’AMF sur les risques et les crises a dû faire face coup sur coup à une attaque terroriste (conduisant à la mort du colonel de gendarmerie Beltrame) sur sa commune et à des inondations. «Ces deux catastrophes ont créé une vulnérabilité territoriale », avec une hausse des cotisations assurance à la clé. «Nous [collectivités] ne devons pas être traitées comme les autres assurés », estime-t-il.
Cette vulnérabilité des collectivités ne touche pas seulement les biens, mais aussi le personnel. «Nous sommes des maires employeurs, rappelle Christophe Iacobbi, maire d’Allons (04) et président de l’Ircantec, l’organisme de retraite complémentaire publique. Nous avons besoin des assurances statutaires car nous gérons la maladie de nos agents ; nous les rémunérons pendant leur maladie et on paie aussi pour les remplacer pendant cette période. C’est un peu la double peine ». La commission FPT RH de l’AMF devrait bientôt se saisir de ce problème.
Un autre grand sujet à régler sera celui de l’articulation entre le code des assurances et le code de la commande publique. Martin Landais, sous-directeur en charge des assurances à la direction du Trésor au ministère de l’Économie, et Franck Le Vallois de France Assureurs rappellent que le code des assurances s’applique en matière de résiliation. «Cette réglementation s’impose aux assureurs car elle les prémunit contre les faillites », indique Franck Le Vallois.
« Avec la hausse du nombre de sinistres, mécaniquement, les assurances doivent rester solvables [donc augmenter leurs cotisations, ndlr]. On y veille car la solvabilité, c’est ce qui permet d’indemniser les sinistres », explique Martin Landais. Or les sinistres ne vont «que croître », selon France Assureurs.
Parmi les pistes à creuser, estime le représentant du Trésor, «il faudrait revoir le code la commande publique pour réduire l’asymétrie d’information et que les collectivités aient une meilleure connaissance de leurs risques pour travailler sur la prévention. Un bon risque, pour un assureur, est un risque qui ne se matérialise jamais. Là, nous avons une convergence d’intérêts entre assureurs et collectivités ».
Et Alain Chrétien d’opiner : «on sait faire de la prévention avec nos plans communaux de sauvegarde. Il faut doter nos communes de PCS à hauteur de nos moyens ! On ne peut pas anticiper tous les risques mais il faut anticiper au maximum ». Et ainsi «réduire leur vulnérabilité », complète Eric Menassi.
« Il y a énormément de choses à faire sur le terrain pour acculturer au risque. France Assureurs prend sa part et travaille avec l’AMF sur un guide pour réduire les risques et retrouver un niveau d’assurabilité », révèle Franck Le Vallois.
En attendant, en cas de conflit sur l’interprétation des contrats d’assurance, les collectivités peuvent désormais saisir le médiateur de l’assurance. «Mais nous n’interviendrons pas sur les tarifs, ni sur les résiliations », a prévenu Arnaud Chneiweiss, le médiateur de l’assurance. Cette saisine reste donc d’un intérêt limité pour les collectivités.
« On ne peut pas continuer comme cela, a conclu Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule (06) et co-président du groupe de travail de l’AMF sur les risques et les crises. Le constat est partagé par les collectivités. J’ai bon espoir que les assureurs et l’Etat se mettent d’accord. Il ne faut pas que le système explose. Le risque est que les assureurs se retirent. Le dialogue doit être rétabli dans le sens d’un travail collectif. »
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