Plus de deux après la loi Climat et résilience de 2021, corrigée par la loi d’initiative sénatoriale du 20 juillet 2023, «une avancée » selon Sylvain Robert, faut-il encore avoir peur du ZAN ? Vu la tension palpable dans la salle pleine à craquer ce 22 novembre, la question reste ouverte. Crainte d’une «France à deux vitesses », difficultés à établir une stratégie foncière, manque structurel d’ingénierie : malgré les assouplissements de la loi de 2023, largement inspirée des propositions de l’AMF, la mise en application du ZAN reste complexe et anxiogène pour les élus, d’autant que «le compteur tourne » depuis 2021.
C’est effectivement à cette date que débute la première période d’application du dispositif (2021-2031), visant à diviser par deux la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) par rapport à la décennie précédente (2011-2021). Avant la mise en application du ZAN en tant que tel à partir de 2031, pour aboutir au solde du zéro artificialisation en 2050. Pour Constance de Pélichy, porte-voix des élus dans la salle, l'enjeu est bien là : "comment parvenir à cette trajectoire, tout en respectant la promesse démocratique qui nous a fait élire ?"
Jean-Baptiste Butlen, sous-directeur de l’aménagement durable au ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, a patiemment exposé le dispositif actuel. En revenant au diagnostic initial : «sur la décennie précédente, nous avons consommé 24 000 hectares d’Enaf chaque année, soit près de 5 terrains de football par heure, avec des conséquences écologiques, sociologiques et économiques très importantes ». L’ambition du ZAN est claire, il s’agit bien de «définir un nouveau modèle d’aménagement durable des territoires ».
Pour ce faire, la loi Climat et résilience du 22 août 2021 fixe des objectifs quantitatifs et consacre des notions essentielles, telles que la consommation d’Enaf, définie comme la création ou l’extension effective d’espaces urbanisés, ou l’artificialisation des sols, impliquant une atteinte à leurs fonctions écologiques et agronomiques. Par ailleurs, «la loi de 2023 a apporté certains correctifs au dispositif de 2021, comme la valorisation des efforts de renaturation dès la première décennie 2021-2031 », a souligné Jean-Baptiste Butlen.
La loi du 20 juillet 2023 a également défini un nouveau calendrier pour la déclinaison de la trajectoire ZAN dans les documents d’urbanisme : les Sraddet (schémas régionaux d’aménagement et de développement durable du territoire) doivent établir les cibles infrarégionales d’ici au 22 novembre 2024, les Scot doivent ensuite les décliner d’ici au 22 février 2027, et les PLU(i) et cartes communales d’ici au 22 février 2028.
Autre innovation : un compté à part est instauré pour les projets d’envergure européenne et nationale, avec un mécanisme de mutualisation du forfait de 12 500 hectares entre les régions. L’arrêté fixant la liste des projets concernés est attendu «dans les premiers mois de 2024 », a annoncé Jean-Baptiste Butlen.
Le législateur a aussi instauré une «garantie rurale » d’un hectare pour chaque commune dotée d’un document d’urbanisme avant août 2026 (au moins prescrit), de même qu’il prend en compte les spécificités des communes littorales et de montagne.
À la demande de l’AMF, la loi de juillet 2023 a étendu le droit de préemption urbain (DPU) aux projets de renaturation et de renouvellement urbain. Le texte instaure aussi un sursis à statuer pour permettre aux élus de décaler, jusqu’à 2028, les décisions d’autorisation d’urbanisme. Autres outils : le bonus constructibilité «friches », ou encore la possibilité de définir des zones de renaturation dans les documents d’urbanisme.
Côté données, l’État met gratuitement à disposition celles du Centre d'études et d'expertise sur les risques, la mobilité et l'aménagement (Cerema). «Le Cerema produit des outils et des accompagnements, a rappelé Annabelle Ferry, directrice «territoires et ville » de l’organisme. Trois centres de ressources sont mobilisables : le portail de l’artificialisation, Datafoncier , et le site des outils de l’aménagement.
Aux côtés de Cartofriches et d’Urbanvitaliz, le service public de la revitalisation des friches, Urbansimul permet la visualisation de l’ensemble des données foncières. Autres outils étatiques : Zéro logement vacant, ou encore l’application Muse, qui permet de prendre en compte la multifonctionnalité des sols.
Mais pour exploiter ces outils, encore faut-il disposer de l’ingénierie nécessaire. Karine Hurel, déléguée générale adjointe de la Fédération nationale des agences d’urbanisme (Fnau), a rappelé le rôle des 51 agences d’urbanisme du territoire. «Le ZAN est un nouveau dess(e)in de territoire : il faut être accompagné. Concrètement, nous aidons les élus pour la mise en application du sursis à statuer et du droit de préemption urbain (DPU) issus de la loi de 2023. Nous proposons aussi des stratégies de densification, en identifiant le foncier invisible : les dents creuses, le micro-foncier, les entrées de ville, ou encore les espaces périurbains… C’est un travail de dentelle, il n’y a jamais qu’une solution ».
Guillaume Guérin, président de la communauté urbaine Limoges Métropole (Haute-Vienne) et vice-président de l’AMF, a fait le tour des associations départementales de maires pour parler ZAN. «Beaucoup de remontées de terrain ont été reprises dans la loi de 2023, mais il reste des écueils : la mise en adéquation du dispositif avec la réalité est toujours problématique. L’exécutif doit entendre l’inquiétude des maires. Il y a toujours un fort besoin d’ingénierie, et le mécanisme des grands projets entraîne déjà une concurrence entre régions. Sans compter qu’on nous impose un nouveau modèle d’aménagement du territoire : c’est la fin du modèle pavillonnaire, la fin de la France des propriétaires ! ».
De son côté, Laurent Mary, directeur général adjoint «transports et aménagement du territoire » à la région Normandie, est venu témoigner du long parcours d’un Sraddet pour intégrer le ZAN. «C’est l’histoire d’une région et d’un président, Hervé Morin, qui initialement ne croit pas du tout à ce " machin " qu’est le ZAN. À l’été 2021, la loi Climat et résilience est adoptée : après la circulaire ZAN de 2018, c’est la sidération. »
La région fixe dès décembre 2021 un objectif – non contraignant – de diviser par 2 en 10 ans le rythme de la consommation foncière. Puis une concertation est organisée à partir d’avril 2022 pour intégrer les obligations ZAN. Une proposition de modification du Sraddet est établie, les différents acteurs consultés et le projet mis à disposition du public : le schéma modifié est finalement approuvé par arrêté préfectoral en mai 2023.
« La territorialisation des objectifs ZAN est un acte politique très clair. Il s’agit d’anticiper toutes les transitions : écologique, numérique, énergétique, socio-économique, mais aussi, celle de la réindustrialisation, a souligné Laurent Mary. Plusieurs critères ont été pris en compte en Normandie pour répartir les droits à consommation sur le territoire : le dynamisme économique, l’emploi salarié, l’évolution démographique, la consommation passée d’espaces, mais aussi le maillage territorial ou les surfaces protégées. ».
Le ZAN sera-t-il décliné en 13 versions selon chaque région ? La loi le permet. Quant aux moyens financiers alloués, l’AMF veille, comme toujours, en appelant à un changement de fiscalité déterminant. Un sujet sur lequel elle a formulé plusieurs propositions en octobre dernier.