Interco et territoires
01/01/2019
Ruralité

Le contrat de ruralité, un outil de développement à conforter

Lancée en 2016, la contractualisation entre l'État et les territoires ruraux est appréciée par les élus en dépit de certaines difficultés.

Depuis fin 2016, 485 contrats de ruralité ont été conclus. Le dispositif devrait être amélioré en 2021 pour qu'il puisse bénéficier à tous les territoires.
C’était la grande mesure pour la ruralité du quinquennat Hollande, annoncée lors du 3e Comité interministériel aux ruralités de Privas (Ardèche) en mai 2016 : les contrats de ruralité, dont les premiers ont été signés fin 2016 tandis que certains sont encore en cours d’élaboration, ont permis à 485 intercommunalités ou structures de projets (pays et pôles d’équilibre territorial et rural – PETR) d’asseoir un projet de territoire grâce à des financements garantis sur au moins trois ans. Ces contrats, qui arriveront à échéance en 2020, peuvent aussi regrouper, au service d’un même projet, des crédits provenant de différents ministères et enveloppes budgétaires : dotation de soutien à l’investissement local (DSIL, ex-FSIL) et dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) pour l’essentiel, mais aussi des financements au titre des volets territoriaux des contrats de plan État-region (CPER), du Fonds national d’aménagement et de développement du territoire (FNADT) et du Fonds de soutien au numérique, notamment. 
Le mécanisme mis en place est presque le même que pour les CPER : le contrat de ruralité décrit un projet de territoire et liste une série d’opérations qui seront financées sur la durée du contrat, en général trois ans, parfois quatre. Comme les CPER, ils comportent six volets obligatoires, même si les thématiques sont différentes : accès aux services et aux soins, cohésion sociale, transition écologique, revitalisation des bourgs-centres, attractivité du territoire, mobi­lités. 
« On est sorti de la logique de guichet pour une logique de projet », se félicite Pierre Jarlier, président de la communauté de communes Saint-Flour Communauté (Cantal), et signataire d’un des tout premiers contrats en France, en décembre 2016. «Avant, pour investir dans un nouvel équipement, il fallait monter un dossier auprès de la région, un autre auprès de l’État, sans certitude sur la suite. C’était très aléatoire. Le contrat a permis d’assurer la solidité du plan de financement de chaque opération », fait valoir l’élu, également président de la commission aménagement, urbanisme, habitat et logement de l’AMF. Si le contrat a pu être préparé si vite, en moins de trois mois, c’est que « nous avons pu nous appuyer sur un projet de territoire déjà écrit et discuté avec la région et le département », se souvient Pierre Jarlier. D’ailleurs, l’élaboration puis la signature du contrat s’est faite presque en même temps que la fusion des trois EPCI (56 communes) qui ont formé Saint-Flour Communauté au 1er janvier 2017, à la suite de la refonte de la carte intercommunale. Le nouvel EPCI a ainsi touché, au titre du contrat, 514 000 euros en 2017 et autant en 2018, des montants restant modestes par rapport à ses 11 millions d’euros de dépenses d’investissement annuelles, mais qui ont permis de boucler le tour de table de projets importants, comme la construction d’une maison de services aux publics à Margeride, ou l’extension d’un laboratoire technologique agro-alimentaire au lycée agricole de Volzac. 

Dialogue direct avec le préfet
Gros avantage, l’élaboration et le suivi du contrat permettent un dialogue direct avec la préfecture. «On ne peut que se féliciter d’avoir une enveloppe territorialisée garantie. Tout l’intérêt du contrat tient dans les relations personnelles qu’on peut avoir avec l’État, sans devoir passer par une commission consultative départementale », comme c’est le cas pour la DETR ou la DSIL au niveau régional, souligne Laurence Richard, DGS de la communauté. En outre, «les contrats de ruralité ont permis aux préfets de département de disposer de crédits de DETR plus importants que par le passé », remarque Christian Paul, président du PETR Pays-Nivernais Morvan, qui regroupe 166 communes très rurales de la Nièvre. Enfin, les sous-préfets peuvent aussi aider à entrer en contact avec d’autres partenaires, comme la Caisse des dépôts ou l’Ademe.
Ce fut le cas pour le pôle d’équilibre territorial et rural (PETR) du Pays d’Arles (Bouches-du-Rhône), ), qui a pu ainsi financer une étude et un schéma de mobilité, afin de définir une stratégie opérationnelle de déplacement multimodal à l’échelle de ce territoire très étendu : à cheval entre le parc naturel de la Camargue et celui des Alpilles, tous deux signataires du contrat, il représente en effet plus de 2 000 kilomètres carrés. Ce qui implique de fortes disparités entre des communes très isolées et celles qui sont plus proches des grands pôles urbains et notamment de la métropole Aix-Marseille, qui pourrait d’ailleurs bientôt absorber le Pays d’Arles. Les transports en commun représentent seulement 2,9 % des déplacements, alors que seulement deux des trois communautés de communes membres du PETR ont la compétence d’organisation des transports. Sur ce projet vital pour le territoire, d’un coût de 160 000 euros, le PETR a financé 20 %, l’État via le FSIL 20 % également, l’Ademe et la région 30 % chacune. 

Le contrat de ruralité a également servi à dynamiser l’agriculture, accompagnant le redéploiement en dehors du centre-bourg et la réhabilitation du marché d’intérêt national de Châteaurenard. Un autre projet a consisté à relancer la filière « amande », via la fourniture de plants aux agriculteurs (mais aussi aux particuliers), de meilleures pratiques agro-écologiques, et la création future d’un musée de l’amande à Eygalières. Les coques des amandes feront partie de la matière première qui alimentera une future unité de méthanisation et permettra de produire du biocarburant, alors que le retraitement des déchets verts coûte très cher aux intercommunalités du pays. 
Par ailleurs, le Pays d’Arles a été particulièrement touché par le départ de ses usines vers Fos-sur-mer, qui ont «laissé un grand vide derrière elles », explique Michel Fénard, président du Pays d’Arles. C’est pourquoi l’un des dossiers prioritaires du projet de territoire, soutenu par le contrat de ruralité, a été la requalification d’une zone d’activités représentant 1 000 emplois dans plus de 50 entreprises à Saint-Martin-de-Crau. Le projet vise à améliorer les services proposés aux chefs d’entreprises et aux salariés, à rénover et à moderniser les voiries et l’aménagement global du site.
Si l’utilité des contrats de ruralité a été reconnue par de nombreux élus, tous ont souligné la fragilité du dispositif : leur financement n’est pas étalé sur la durée du contrat, car l’annualisation du budget de l’État l’interdit (lire p. 27). «C’est toute leur faiblesse », reconnaît Pierre Jarlier. Les territoires ont donc dû négocier chaque année une convention financière, reprenant dans le détail les projets financés et les enveloppes allouées par le contrat de ruralité. Si, à Saint-Flour, il n’y a pas eu trop de mauvaises surprises, cela n’a pas été le cas pour tout le monde : ainsi, au Pays d’Arles, l’enveloppe du contrat est passée de 3 millions d’euros prévus lors de la signature, en juin 2017… à 2,3 millions d’euros lors de l’adoption de la convention financière, en raison d’un gel de crédits décidé par la nouvelle majorité, portant sur l’enveloppe du FSIL alors fléchée exclusivement vers les contrats de ruralité. Puis à 1,5 million en 2018, avec une absence de visibilité sur la DETR pourtant censée être intégrée aux contrats de ruralité, offrant ainsi cette stabilité tant recherchée par les élus. 
Même si «dans cette bataille, la sous-préfecture a été à nos côtés », assure Catherine Collange, la directrice du PETR, ce dernier, qui rassemble trois EPCI et deux parcs naturels régionaux, n’a rien pu faire face aux injonctions étatiques. Ce n’était pas la seule déconvenue survenue lors de la signature de la deuxième convention. «La première année, nous avions bénéficié de 10 % de l’enveloppe globale pour des projets d’ingénierie, ce qui nous avait permis de financer une stratégie de marketing territorial et un outil essentiel de cartographie de mesure d’occupation des sols, car nous portons également le SCoT », explique Catherine Collange. C’était d’ailleurs l’une des particularités du dispositif, qui visait à répondre au besoin criant en la matière dans les territoires ruraux, depuis la suppression en 2014 de l’assistance technique pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire (Atesat). Mais en 2018, cette possibilité a été supprimée dans la nouvelle convention. À la place, l’aide à l’ingénierie était éclatée par projet, et non sur l’enveloppe globale. Un moindre mal par rapport à d’autres territoires, à l’image de Saint-Flour, qui n’ont reçu aucune enveloppe pour financer l’ingénierie.

Recentralisation ?
Christian Paul, qui avait lui aussi «salué la venue de nouveaux contrats mieux dotés », accuse carrément l’État de procéder à leur « recentralisation » : « Les premières programmations ont été négociées, celle de 2018 tout juste discutée, et c’est l’État qui l’arrête en fonction de ses priorités. J’ai même entendu un préfet dire qu’il avait une “conception napoléonienne du développement” ! », peste l’élu. Selon lui, il ne s’agit plus pour le territoire de mettre en avant ses priorités, en rapport avec un projet, mais de piocher dans une liste d’opérations. Et de regretter les contrats de pays, intégrés aux CPER, et dont les financements ont été brutalement annulés pour abonder l’enveloppe des contrats de ruralité. 
De l’aveu de tous, ces derniers auront toutefois eu un mérite : celui de consolider des territoires parfois rendus instables par le dernier acte de la décentralisation. «L’élaboration du contrat permet aux élus de réfléchir ensemble aux priorités sur les trois années à venir. Dans une période où l’argent manque, cela évite le saupoudrage », juge Michel Fénard. 
Quel est l’avenir du dispositif ? Dans l’esprit de ses concepteurs sous le précédent mandat, au-delà de leur première génération signée sur 2017-2020 pour être en phase avec les mandats électifs et les périodes de contractualisation régionale et européenne, les contrats de ruralité devaient ensuite être conclus pour une durée de six ans (2020-2026), avec une clause de révision à mi-parcours. Or, le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) planche aujourd’hui sur une nouvelle mouture de contrats territoriaux uniques, des «contrats de cohésion » (lire ci-contre) dont pourraient bénéficier d’autres territoires parmi lesquels ceux relevant de la politique de la ville. Ils devraient également associer plus étroitement les différents opérateurs de l’État. Et travailler avec la future Agence nationale de cohésion des territoires, qui devrait être créée début 2019.
 

500 contrats début 2019
Au 1er octobre 2018, 485 contrats de ruralité ont été signés, dont une centaine par des pôles d’équilibre territoriaux et ruraux ou des pays, et le reste par des communautés de communes et des parcs naturels régionaux. Certains étaient encore en cours de négociation fin 2018. Au total, 500 contrats devraient être signés début 2019, selon le Commissariat général à l’égalité des territoires. En 2017, 425 Me leur ont été fléchés tous financements confondus (FSIL, DSIL, DETR, TEPCV, FNADT...) (1). Le montant des enveloppes annuelles est très variable, certains territoires recevant 200 000 euros, quand d’autres plus importants ont pu recevoir 2 Me et plus. En outre, il a parfois évolué d’une année sur l’autre.
(1)    Fonds de soutien à l’investissement local, dotation de soutien à l’investissement local, ­dotation d’équipement des territoires ruraux, ­territoires à énergie positive pour la croissance verte, Fonds national d’aménagement et de ­développement du territoire.


LA DSIL baisse, mais les engagements seront tenus
Les contrats de ruralité rassemblent l’ensemble des dotations d’investissement de l’État au service d’un projet de territoire, dans une logique pluriannuelle, mais avec un financement annuel. Cette particularité a fait surgir une inquiétude à la lecture du projet de loi de finances pour 2019, qui justifiait la baisse de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) par «la non-reconduction en 2019 d’une majoration de 45 millions d’euros destinée au financement des contrats de ruralité ». Mais selon la Direction générale des collectivités locales (DGCL), ce «coup de pouce » avait été accordé en 2018 pour accompagner l’augmentation du nombre de contrats signés. Le rythme des signatures ayant fortement ralenti depuis, la DSIL revient à son niveau de 2017, sans amputation des moyens dédiés aux contrats de ruralité qui courent jusqu’en 2020. «Les engagements pris seront tenus », a assuré Nicolas Delaunay, responsable du pôle des systèmes territoriaux au CGET.


Création de «contrats de cohésion »
Le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) planche sur une nouvelle mouture de contrats territoriaux uniques, des «contrats de cohésion », qui viendraient remplacer après 2020 les actuels contrats de ruralité mais dont tous les territoires pourraient bénéficier. Les nouveaux contrats auront pour ambition « d’agréger plus de partenariats », notamment avec les opérateurs de l’État encore peu présents dans les contrats de ruralité, comme l’Anah, la Caisse des dépôts, l’Ademe, l’Epareca, «mais aussi des acteurs privés et associatifs », explique Nicolas Delaunay, responsable du pôle des systèmes territoriaux au CGET. Au-delà des six volets thématiques des contrats de ruralité qui se sont «souvent limités à des projets d’équipements » selon le CGET, les futurs contrats devraient aborder les questions de santé, d’éducation, de cohésion sociale et du numérique.
 

Emmanuel GUILLEMAIN D'ECHON
n°364 - Janvier 2019