Or, dans une petite commune, l’arrivée de quelques familles n’est pas neutre. Et, comme partout, les élus doivent répondre à la demande des jeunes actifs et des jeunes ménages ou à celle des seniors en perte d’autonomie. Une demande qui se diversifie alors que le foncier se fait plus rare et que, dans certains endroits, l’offre de location saisonnière assèche le parc de logements disponibles pour les habitants.
Fontenay-Mauvoisin (450 hab., Yvelines), proche de Mantes-la-Jolie, fait ainsi face à une importante demande de logements de la part des jeunes du village. D’autant plus que la vallée de la Seine est en plein développement économique. Des propriétaires privés vendent des terrains à des aménageurs qui y construisent des maisons. Mais elles ne sont pas accessibles à toutes les bourses. Aussi, lorsqu’en 2016, une ancienne ferme devenue école privée, au cœur du village, est à vendre, la commune, qui n’a pas les moyens de l’acquérir mais souhaite développer son offre de logements, demande l’intervention du bailleur social Mantes Yvelines Habitat.
Quinze logements y sont créés, en respectant la structure de l’ancien bâti, face à l’église. «Cette opération n’a rien coûté à la commune et a attiré une population de jeunes, ce qui a permis de sauver l’école », se félicite le maire, Dominique Josseaume. Une nouvelle école est construite. Que faire de l’ancienne ? Avec le soutien financier des conseils départemental et régional, elle est transformée en trois logements pour un budget total de 1 million d’euros, dont 30 % à la charge de la commune. «Ce sont des logements communaux, loués à un niveau inférieur aux loyers sociaux et prioritairement à des ménages avec enfants. Les loyers remboursent notre investissement », explique le maire. Bientôt, la transformation de la salle des fêtes permettra de créer encore un logement.
L’habitat des jeunes actifs se révèle souvent un casse-tête en milieu rural, où les besoins existent bel et bien. En effet, l’activité industrielle est majoritairement implantée dans les espaces péri-urbains et ruraux. S’y ajoutent les besoins des artisans, de l’industrie, du tourisme… Le problème se pose surtout pour les jeunes apprentis ou en stage, le logement locatif étant souvent rare. Les foyers de jeunes travailleurs étant une solution souvent surdimensionnée en milieu rural, il faut imaginer autre chose.
C’est ce qu’à fait l’association Toit en Gâtines. «Les territoires ruraux n’ont pas d’offre locative pour les jeunes en mobilité professionnelle, constate la directrice, Valérie Leloup. En même temps, l’environnement incite à vivre plus sobrement. » D’où l’idée de proposer des «tiny houses », petit habitat mobile. «Il se déplace selon les besoins et demande peu d’investissement », explique la directrice. En 2017, 17 tiny houses de 20 m², autonomes en eau et en électricité, sont construites par un artisan local avec des jeunes concernés.
Pascal Bironneau fait partie des maires qui en ont accepté. Sa commune, Saint-Loup-Lamairé (1 000 hab., Deux-Sèvres), dispose de services, d’un marché, de commerces alimentaires, d’une école, d’une maison médicale, et voit sa population augmenter. «Ici, il n’y a pas assez d’offre locative, pas de chambre chez l’habitant alors qu’il existe une demande de logement temporaire », résume le maire qui a répondu à un appel à candidature lancé par Toit en Gâtines pour l’accueil de tiny houses. Deux sont donc installées. «Il y a du turn-over mais elles sont occupées en permanence », remarque un peu décontenancé le maire, qui les voient devenir habitat permanent alors qu’elles sont conçues pour se déplacer selon les besoins.
Dans cette commune au taux de chômage de 5 % seulement, la demande de logement est très importante. Outre des lotissements sur des terrains achetés par la commune qui les revend en lots avec sa participation financière pour en limiter les coûts pour les acquéreurs, le maire use de conviction auprès de ses administrés pour la rénovation de leur patrimoine.
« Via l’établissement public foncier, nous avons acquis un bâtiment dans le centre-bourg. Nous en avons revendu une partie à une coiffeuse qui a installé son salon au rez-de-chaussée. Nous avons également réussi à la convaincre de créer un logement en location à l’étage. » «Nous avons eu 51 constructions neuves en dix ans, explique le maire. Avec le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) en cours d’élaboration, des restrictions vont se mettre en place. On ne peut grignoter les terres indéfiniment. Il faut favoriser la réhabilitation en centre-bourg. »
C’est d’ailleurs ce que demande l’Association des maires ruraux de France (AMRF) en réaction aux annonces du gouvernement : «La mise en œuvre d’un réel “plan Marshall” en faveur de la réhabilitation du bâti vacant dans les communes rurales intégrant des moyens financiers, un accompagnement en ingénierie, des outils juridiques facilitant le changement de destination du bâti agricole, une réflexion sur le Code du patrimoine. »
En milieu rural, nombre de personnes vieillissantes souhaitent quitter leur maison trop grande et isolée en restant dans la même commune. C’est pour répondre à ce besoin qu’a été lancé en 2018, à Saint-Loup-Lamairé (1 034 hab., Deux-Sèvres), un «quartier résidentiel seniors » de huit maisons, avec le bailleur Habitat Nord Deux-Sèvres, à destination des personnes de plus de 60 ans ou handicapées. Les résidents bénéficient d’un service d’aide à domicile. «Cela répond à un besoin et libère de l’habitat ailleurs », souligne le maire.
La demande est telle qu’un privé se lance dans une opération identique avec 16 studios, sur un terrain vendu par la commune.
Dans le Cher, où un tiers des habitants ont plus de 60 ans, l’habitat des seniors fait l’objet d’une politique globale. Les besoins sont cartographiés à l’échelle départementale et les projets des communes sont accompagnés. «Les maires nous sollicitent car ils ont identifié un besoin ou ont été démarchés par des opérateurs », explique Bénédicte de Choulot, vice-présidente du conseil départemental déléguée aux solidarités. Le département subventionnant la création de logements, il sélectionne les projets «afin que l’argent public ne soit pas dévoyé ».
Dans son collimateur figurent certaines opérations d’habitat inclusif. Selon la définition de la loi Élan, «l’habitat inclusif est destiné aux personnes âgées et handicapées qui font le choix, à titre de résidence principale, d’un mode d’habitation regroupé entre elles ou avec d’autres personnes ». Un temps d’animation doit y être prévu, ce qui n’est souvent pas le cas. En outre, «des maires nous remontent des projets d’opération privée qui ne s’achèvent que si la collectivité est garante de l’occupation. C’est un signal d’alarme », prévient Bénédicte de Choulot.
Avec sa cartographie, le conseil départemental peut localiser au mieux le projet, éviter les concurrences. Il veille à déployer des interventions répondant à des besoins différents selon l’avancé en âge. Outre 15 projets d’habitat inclusif d’ici à 2025, le Cher développe des résidences adaptées et domotisées pour le maintien à domicile. 10 résidences sont prévues, toutes en milieu rural, réalisées par le bailleur social Val de Berry. Chacune est constituée de 10 à 12 pavillons individuels en location et d’une maison commune.
Un autre bailleur social, France Loire, a construit un béguinage à Saint-Amand-Montrond (9 785 hab., Cher), avec 26 maisons locatives, proche du centre-ville, autour d’un espace paysager et d’une maison commune. Une animatrice de projet de vie sociale y est présente quotidiennement. D’autres projets de béguinage sont portés par le bailleur social, intergénérationnels, pour seniors, familles et jeunes.
Dans un contexte de raréfaction du foncier, «il faudra passer à du petit collectif, proposer des terrasses. Il faudra en premier lieu communiquer et convaincre les élus », souligne Emmanuel Riotte, vice-président du conseil départemental. Le bailleur social Val de Berry, dont il est le président, mène une réflexion sur le rachat des maisons en ruine dans les centres-bourgs afin de les réhabiliter. Une fois le problème de financement résolu.
« À Espelette, nous avons 9 % de résidences secondaires. C’est 9 % de trop », déclare le maire, Jean-Marie Iputcha, qui déplore le coût trop élevé du foncier dans sa commune (2 000 hab., Pyrénées-Atlantiques), à 20 km du littoral, dont il souhaite maintenir le caractère agricole. Pour permettre à la population locale de se maintenir et d’accéder à un logement abordable, il a recouru au bail réel solidaire (BRS). Celui-ci permet à l’accédant d’acheter uniquement le logement et de louer le terrain à un organisme foncier solidaire (OFS) pour un loyer faible.
En 2010, la commune rachète 200 000 € une vieille ferme qu’elle revend au bailleur Comité ouvrier du logement (COL). Le directeur du COL parle au maire du BRS qui dissocie le foncier du bâti. Méfiant au départ, l’élu se laisse convaincre. Finalement, 5 logements en BRS ont été livrés en 2020 pour un prix moyen de 1 980€/m² pour le bâti, et une redevance mensuelle de 1€/mois/m² pour le foncier, propriété de COL Foncier solidaire. «Un T4 est vendu 165 000 €. Ce serait le double sur le marché libre », se félicite le maire, qui peut ainsi favoriser l’accession à une forme de propriété pour des ménages aux revenus inférieurs au plafond de ressource du prêt social location-accession (PSLA). Depuis, d’autres projets en BRS sont lancés avec le bailleur social.
Le BRS fait aussi partie de l’arsenal utilisé par Yves Bleunven, maire de Grand-Champ (6 000 hab., Morbihan). Cette commune, dans la deuxième couronne de Vannes, qui compte 70 exploitations agricoles, connaît une forte augmentation du prix du foncier. «Typiquement, un pavillon en vente est acheté par un retraité qui n’a plus les moyens d’aller sur le littoral et qui évince une famille. Bientôt, nous ne pourrons plus accueillir les familles », déplore le maire qui craint les conséquences pour l’école, les commerces…
C’est pourquoi il déploie une logique de «parcours résidentiel » avec un logement pour chaque étape de la vie. Depuis un village d’une trentaine de tiny houses pour les jeunes actifs en attente d’une solution pérenne jusqu’à l’Ehpad. Disposant de 30 ha acquis progressivement sur vingt ans, la commune peut aussi se doter d’un foyer de jeunes travailleurs de 24 places, mener un projet de coliving et coworking en prévision de l’arrivée de deux centres de formation, tester un projet de BRS, proposer des lots libres constructibles et des maisons groupées pour 120 logements au total.
Un village intergénérationnel regroupe des résidences tourisme, seniors et jeunes. Une ancienne maison d’accueil spécialisée pour personnes handicapées, aujourd’hui hors norme, est en cours de remplacement par plusieurs établissements médico-sociaux dont un domicile groupé avec 6 appartements pour adultes autistes et un projet de 15 studios pour les travailleurs d’un établissement et service d’aide par le travail (Esat). «Au total, nous avons 650 logements programmés, dont 56 ont démarré. Avec toujours 30 à 35 % de logement social », se réjouit le maire.