Interco et territoires
01/04/2019
Aménagement, urbanisme, logement

La concertation, pierre angulaire des futurs Sraddet

Les régions élaborent leurs nouveaux schémas de planification qui seront prescriptifs. D'où la nécessité de mener ce chantier en concertation avec les territoires. Les Sraddet ne devraient pas être bouclés avant mi-2020.

Articulé autour de 30 objectifs et de 2 priorités (transition écologique et lutte contre les inégalités territoriales), le Grand Est a voulu un Sraddet construit avec tous : collectivités, Scot, PNR…
La loi NOTRe du 7 août 2015 a confié aux régions l’élaboration, d’ici à l’été 2019, d’un schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet). Ce nouveau document a vocation à devenir l’outil majeur de planification à l’échelon régional pour répondre aux grands enjeux actuels : mise en œuvre de la transition écologique, amélioration de l’intermodalité, relations entre les territoires, etc. Un schéma de plus ? Au contraire, pour faire plus simple, le Sraddet fusionne tous les schémas préexistants (lire ci-contre). Élaboré pour six ans, il s’applique à l’ensemble des régions, à l’exception de l’Île-de-France, de la Corse et des Outre-mer, régis par des dispositions spécifiques. Nouveauté importante, qui suscite souvent l’inquiétude, le Sraddet sera prescriptif et opposable aux documents de planification élaborés par les autres collectivités et leurs groupements. 

Un exercice complexe
Son élaboration démarre par la préparation d’un projet, réalisé en lien avec tous les acteurs. L’exercice se clôt par son adoption via une délibération du conseil régional. La seconde phase repose sur une consultation avec l’avis des personnes publiques associées, de l’autorité environnementale et d’une enquête publique, le tout durant au moins six mois. Au final, le Sraddet doit être adopté par la région puis validé par arrêté du préfet. Cette opération, longue et pour le moins complexe, a pris pas mal de retard. « Aucune région ne sera prête comme prévu cet été, reconnaît-on à Régions de France. Il faut plutôt miser sur le premier semestre 2020. L’exercice se révèle beaucoup plus compliqué qu’on pouvait le penser au départ. » Explications : le champ très vaste du nouveau schéma mais aussi la grande taille des nouvelles régions issues de la réforme de 2015. 
« Dans ce contexte, il y a pu avoir la tentation d’élaborer juste un document administratif », reconnaît Laurence Fortin, vice-présidente à l’aménagement territorial de la Bretagne, mais aussi présidente de la commission aménagement du territoire de Régions de France. En Occitanie, Florence Brutus, vice-présidente en charge de l’aménagement du territoire et des politiques contractuelles, confirme le défi : «Les treize départements que compte notre région traduisent toute la diversité possible de territoires. » Mais l’Occitanie a voulu en faire une opportunité : « Le Sraddet constitue un réel levier d’intégration pour embarquer toutes nos nouvelles politiques territoriales, qu’elles soient thématiques ou sectorielles », insiste l’élue (lire ci-contre). En clair, pour être utile, le Sraddet doit miser sur la coproduction et ne pas se réduire à un document normatif trop « techno » qui ferait l’effet d’un repoussoir. À ces conditions, la région peut parvenir à prouver sa légitimité comme échelon de régulation et de planification. « Nous voulons prendre le temps nécessaire pour aboutir à des engagements volontaires et non pas à des contraintes », illustre Laurence Fortin pour la Bretagne.
Regroupant trois anciennes régions, le Grand Est n’a pas eu la tâche facile. « Au départ, la mission nous semblait insurmontable, admet Franck Leroy, vice-président en charge de la cohésion territoriale et de la contractualisation. Mais au final, nous y sommes parvenus avec un projet clair et concret, adopté par le conseil régional le 14 décembre dernier. » Sa stratégie s’appuie sur trente objectifs destinés à répondre aux deux priorités de la région :  la transition écologique et énergétique, et la cohésion territoriale. « Cela s’est bien passé avec douze réunions territoriales, se satisfait Franck Leroy. Tout le monde se retrouve dans un projet bien construit ». 
Encore aujourd’hui, les maires ne savent pas bien à quoi va servir ce nouveau schéma. Ils s’inquiètent des règles prescriptives qu’il peut contenir. L’AMF a du reste souligné que le Sraddet devait reposer sur une concertation étroite avec les maires et ne pas se traduire par l’exercice d’une tutelle de la région sur les autres niveaux de collectivités. Dans ce contexte, Nicolas Lebas, vice-président de la région Hauts-de-France en charge de la planification territoriale, mais aussi président de l’Association des maires du Nord, se trouve «dans une situation un peu schizophrénique », glisse-t-il dans un sourire. « Mes collègues maires ne me ménagent pas en me livrant toutes leurs remontrances » (lire p. 28). « La phase de concertation avec les collectivités est essentielle », insiste-t-on à Régions de France. Sont concernés  les départements, les intercommunalités, les agglomérations, les Scot. C’est plus compliqué concernant les communes, vu leur nombre, 4 300 par exemple en Occitanie. Les régions s’appuient, par moment, sur les associations départementales de maires. Nicolas Lebas cite l’expérience originale de la Fédération des maires des Hauts-de-France, structure informelle réunissant les quatre associations départementales, pour «faire remonter certains sujets et s’informer entre nous ». Il a aussi travaillé avec des maires ruraux du Nord sur le sujet sensible de la consommation foncière. «Dans la phase actuelle d’élaboration de notre Sraddet, nous revenons vers les intercommunalités, en associant parfois les maires », précise-t-il. 
Les associations de maires peuvent parfois être sollicitées par la commission territoriale de l’action publique (CTAP) qui doit théoriquement intervenir à plusieurs étapes du Sraddet. Le réseau des conseillers régionaux, dont beaucoup sont issus de territoires ruraux, est parfois mis à contribution pour aller prêcher la bonne parole du Sraddet. Dans le Grand Est, Franck Leroy, maire d’Épernay et président de l’Association des maires et des présidents d’intercommunalité de la Marne, estime que ses collègues ont été bien associés, « même si nos cibles prioritaires restent les intercommunalités, les Scot, les PNR ou les départements ». « Nous sommes descendus au niveau du PLU et du PLU-i lorsqu’il n’y avait pas de Scot », ajoute-t-il. Dans les Hauts-de-France, les démarches ont pu parfois se faire à l’échelle inter-Scot ou s’appuyer sur le Club 
PLU-i. En Occitanie, Florence Brutus juge aussi que « les EPCI et les Scot constituent des relais pertinents ». S’y ajoutent des instances de concertation mises en place par la région pour répondre à sa diversité territoriale : « Parlements de la mer et de la montagne », « Assemblée des territoires »…

Maîtriser la consommation foncière
Au centre des réflexions du Sraddet figurent l’urbanisme et le logement. Avec des objectifs à fixer, notamment pour réduire la consommation foncière. «Les négociations avec les EPCI sont importantes avec, à la clé, une contractualisation de la région et les aides qui en découleront », explique Régions de France. «Maîtriser la consommation du foncier et arbitrer en matière d’urbanisme commercial constituent des enjeux essentiels même s’il y a beaucoup de frottements avec les élus », indique Nicolas Lebas. En matière de mobilités, le projet de loi en discussion au Parlement, confortant et renforçant les compétences de la région, facilitera la mise en œuvre du volet mobilités du Sraddet. En Bretagne, la démarche s’effectue dans le cadre de la Breizh COP, projet d’avenir beaucoup plus large à horizon 2040 visant un développement plus durable et sobre. «38 objectifs ont été négociés et validés par tous les acteurs en tenant compte des différences d’approche selon les types de territoire », explique Laurence Fortin. 
Outil de planification, le Sraddet ne peut pas se limiter à une simple approche technique et juridique. Il doit aussi permettre une vision partagée découlant d’une réelle concertation avec les territoires et la population. La Bretagne s’appuie sur le maillage territorial de ses 21 pays pour négocier les contrats et les enveloppes budgétaires régionales. Ce maillage pourra bouger par la suite pour s’adapter à la réalité des bassins de vie. «Jusque fin avril, toutes les collectivités planchent sur les 38 objectifs de la Breizh Cop pour nous dire ce qu’elles font déjà, par exemple en matière de zéro phyto, et ce sur quoi elles sont prêtes à s’engager », détaille Laurence Fortin. Par ailleurs, l’élue fait le tour des 25 Scot pour promouvoir sa démarche. Rendez-vous est pris début juin pour faire le point avec tous les partenaires prêts à s’engager. «Nous ne démarrerons le chantier des règles prescriptives qu’ensuite. Tout est fait pour tenter d’aboutir à un Sraddet prescriptif mais intégrateur et accepté par tous. » Ne prévoyant pas un arrêté du Sraddet avant le premier semestre 2020, Laurence Fortin plaide pour «un temps long permettant une démarche globale ».  
Grande nouveauté du Sraddet, ses dispositions seront, pour certaines, prescriptives à l’égard des documents locaux d’urbanisme et de planification (1). La plupart des régions entrent actuellement dans le dur avec la définition des règles prescriptives. La phase la plus difficile techniquement et politiquement. « Car ces règles ne doivent pas remettre en cause les principes de non tutelle d’une collectivité sur une autre et de libre administration des collectivités, deux principes constitutionnels », explique-t-on à Régions de France. Le sujet peut donc parfois être miné. « Les présidents de région ont demandé à leurs services de ne pas faire un exercice trop contraignant. Il ne faut surtout pas être taxé de jacobinisme régional ! », ajoute l’association. 

Des règles prescriptives
« Nous voulons faire du Sraddet d’Occitanie un outil intégrateur et facilitateur, mais surtout pas une chape de plomb ! », prévient Florence Brutus. Même constat pour le Grand Est. «C’est de la dentelle juridique, reconnaît Franck Leroy. Nous travaillons en ce moment avec un cabinet d’avocats. » Et d’ajouter : « Le Sraddet dérange car c’est la première fois que la région sera dotée d’un document prescriptif. Il faut ainsi une très forte concertation dès le départ pour être accepté. » L’Occitanie a élaboré elle-même 28 règles prescriptives pour les faire tester ensuite par les territoires dans le but de les adapter. « Cette démarche pragmatique de construire ensemble les règles du jeu fonctionne bien, se réjouit Florence Brutus. D’autant plus qu’elles sont assorties de mesures fortes d’accompagnement régional. À cette phase de test, notamment en concertation avec les Scot, se sont ajoutées huit réunions des groupes de travail. Cette démarche de co-construction a débouché sur deux journées de restitution de tous les travaux courant mars. » 
Selon Franck Leroy, le premier Sraddet sera « moyennement prescriptif, même si cela peut sembler déjà trop pour certains élus, inquiets pour leurs projets de développement ». À l’instar des autres régions, il veut les aider à changer de regard et à percevoir l’intérêt des politiques régionales d’accompagnement. 


(1)    Le gouvernement a lancé, fin mars, une concertation avec les acteurs locaux pour rationaliser la hiérarchie des normes des documents d’urbanisme. Objectif : établir des rapports de compatibilité entre les différents documents (Sraddet, Scot, PLU, PLU-i). Une ordonnance pourrait être publiée début 2020.


Cinq schémas en un !
Document de planification, le Sraddet doit déterminer les objectifs et règles fixés par la région dans de nombreux domaines : aménagement du territoire, mobilités, climat-air-énergie, etc. Il fusionne plusieurs schémas : SRADDT (schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire), SRCE (schéma régional de cohérence écologique), schéma régional climat air énergie (SRCAE), SRIT (schéma régional des infrastructures et des transports) et PRPGD (plan régional de prévention et de gestion des déchets). Il définit des orientations pour influer sur la teneur des documents sectoriels préexistants et leur mise en cohérence avec les politiques publiques infra-régionales qui s’en inspirent. De plus, il associe les territoires pour que les initiatives locales alimentent la réflexion à l’échelle régionale.

Co-construction en Occitanie
Baptisé « Occitanie 2040 » (1), le Sraddet d’Occitanie devrait être arrêté avant mi-2020. La région expérimente la co-construction de politiques publiques en associant les territoires à toutes les étapes. Elle privilégie les EPCI, les pays, les PETR (pôles d’équilibre territoriaux et ruraux), les Scot, les PNR et les départements. Des ateliers ont eu lieu dans cinq villes, en octobre et novembre 2018, avec les DGS des EPCI concernés pour affiner ensemble le projet de Sraddet. Sont encore programmées deux plénières de restitution des travaux avec les territoires, l’agence d’urbanisme et les services de l’État. Les citoyens ne sont pas oubliés avec un Mooc dédié, une plateforme contributive, des cafés citoyens ou de nombreuses réunions auxquelles ils ont été conviés depuis le départ.

Témoignagne
Nicolas Lebas,
vice-président de la région 
Hauts-de-France, maire de Faches-Thumesnil et président 
de l’Association des maires du Nord
« Dans les Hauts-de-France, notre objectif a été dès le départ d’élaborer le Sraddet en concertation avec les territoires en nous appuyant sur la création de huit espaces de dialogue, s’affranchissant des frontières institutionnelles et administratives. Ils ont permis, avec les élus, de trouver un langage commun et de la confiance. Chez les maires, il y a encore souvent de la méconnaissance et donc de la méfiance. Notre but est vraiment de leur montrer toutes les opportunités qu’offrira le Sraddet qui, finalement, n’est pas si compliqué que cela. Nous avons une responsabilité forte pour associer les maires à ce document. Nous ne pouvons pas nous opposer aux territoires dans l’élaboration de ce document. Sur le calendrier, notre projet de Sraddet a été arrêté en séance plénière du conseil régional le 31 janvier dernier. À présent, c’est la phase de consultation et d’enquête publique. La délibération d’adoption est donc prévue en fin d’année avec, dans la foulée, l’arrêté d’approbation du Sraddet par le préfet. Nous arriverons donc début 2020. C’est un bon timing car juste avant les élections municipales de mars. Il est normal que les équipes puissent se présenter en connaissant les nouvelles règles et les aides régionales dont elles pourront bénéficier pour la mise en œuvre de leurs projets. »
 
Philippe POTTIÉE-SPERRY
n°367 - Avril 2019