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Seuls 20 % des EPCI déclarent disposer d'une connaissance précise de l'état du foncier (pollution ou non, travaux).
La France doit se réindustrialiser. Et il faut préserver le foncier naturel et agricole. Bienvenue dans le monde des injonctions paradoxales. Dans le monde du zéro artificialisation nette (ZAN), les élus commencent à s’y habituer. Comment accueillir de nouvelles implantations lorsqu’il faut réduire de 50 % la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) d’ici à 2031 et atteindre le ZAN en 2050, tout en créant aussi logements, équipements et infrastructures ? La demande foncière ne faiblit pas alors que l’offre, elle, se raréfie.
Conséquence, ainsi que le révèle une
enquête d’Intercommunalités de France, en septembre 2022, 67 % des intercommunalités interrogées ont refusé des implantations ou subi des déménagements d’entreprises du fait du manque de foncier disponible. Dans dix ans, la quasi-totalité des zones d’activité devraient être saturées. Un appel à manifestation d’intérêt (AMI) «Grands sites industriels » de la direction générale des entreprises (DGE) en mars 2022 n’a pas abouti.
« Le foncier devait être de 300 hectares d’un seul tenant, prêt à l’emploi, dans des territoires dynamiques et bien équipés », résume Lucas Chevrier, conseiller économie-industrie à Intercommunalités de France. Or, seules 3 % des EPCI sondés disposent de parcelles de 100 hectares ou plus. L’enquête a montré que la pénurie concerne également les petites emprises. Une situation suffisamment alarmante pour que l’AMF demande, dans ses «
20 propositions pour la mise en œuvre du ZAN », d’« articuler le ZAN avec les besoins d’infrastructure et de réindustrialisation ».
Michel Leprêtre, avec les 24 communes de Grand-Orly-Seine-Bièvre (720 000 hab., Val-de-Marne et Essonne) qu’il préside, a publié, en décembre 2021, un «Manifeste pour un territoire industriel et productif », signé par les divers acteurs économiques du territoire. Un recensement y a identifié 300 hectares disponibles, souvent de petites parcelles, que l’élu souhaite «sanctuariser (…) afin d’équilibrer les volumes de logements, d’équipements et d’activité économique ».
Garder la propriété du foncier
L’inventaire du potentiel foncier économique disponible est, en effet, la première étape pour tout élu soucieux du développement local. Il ne s’agit pas seulement d’identifier le foncier, mais de connaître son état (pollution ou non), sa connexion avec les infrastructures, les services publics, son accessibilité, les stratégies des industriels, et de savoir à quelle échéance il peut être mobilisé. L’observation ne peut être statique. «Le taux de rotation du foncier économique n’est pas mesuré.
Pourtant, il y a constamment du foncier remis sur le marché », remarque Jean-Louis Fournier, co-animateur du comité stratégie foncière du Laboratoire d’initiatives foncières et territoriales innovantes (Lifti). Tous les fonciers ne sont pas disponibles à la même échéance. «Il faut les hiérarchiser, certains n’ont du sens que dans le temps long », ajoute-t-il.
Les territoires disposant de friches sont avantagés. À condition d’avoir les moyens de les dépolluer et de les aménager, même si les élus peuvent mobiliser depuis fin janvier les crédits du Fonds vert (mairesdefrance.com/1932) pour cela. Les parcelles réhabilitées et viabilisées par les collectivités sont généralement vendues aux entrepreneurs : 88 % du foncier économique est ainsi aux mains du secteur privé. Certes, cette vente permet aux collectivités d’équilibrer leur budget. Mais les élus perdent la main sur le devenir de ce foncier.
« Ce modèle génère la raréfaction foncière », constate Lucas Chevrier, qui préconise de privilégier les baux à construction ou emphytéotique (le bailleur accorde à un preneur un droit réel immobilier qui porte uniquement sur les constructions, en restant propriétaire du terrain).
En Charente-Maritime, la Sem Patrimoniale 17 propose aux porteurs de projet des baux de 9 à 12 ans renouvelables. Airbus Développement en a ainsi bénéficié. Tous les élus ne sont pas prêts à franchir le pas : l’entrepreneur connaissant le mieux ses besoins, ils estiment légitime qu’il soit propriétaire du foncier.
Jérôme Mât, vice-président chargé du développement économique de Châlons-en-Champagne Agglo (46 communes, 80 000 hab., Marne), propose plutôt que l’état récompense les reconversions de friche réalisées par les collectivités par un bonus foncier supplémentaire.
La communauté de communes Rumilly Terre de Savoie (17 communes, 37 000 hab., Haute-Savoie), a décidé de ne plus vendre de foncier. «Il y a dix ans, nous avons vendu un terrain 30 €/m². Dix ans plus tard, il était revendu dix fois plus cher. Nous nous sommes fait rouler dans la farine », enrage encore Roland Lombard, maire de Hauteville-sur-Fier. Ainsi, un entrepreneur ne pourra s’installer à Rumilly qu’avec un bail emphytéotique. Pas facile à faire admettre à un investisseur pour lequel la propriété foncière est une garantie contre les aléas de l’économie. Et il faut tenir bon lorsqu’une entreprise séculaire menace de partir si elle ne peut s’étendre en maîtrisant son foncier.
Densifier les zones d’activité
Le constat d’une sous-occupation du foncier industriel est souvent fait, les entrepreneurs anticipant une extension de leur activité. Or, celle-ci ne se réalise pas toujours. C’est pourquoi des urbanistes et aménageurs réfléchissent à la densification des zones d’activité, que le ZAN rendra toujours plus nécessaire. Mutualisation des zones de stationnement, de la restauration collective, construction en hauteur si possible.
Lorient (56) dispose ainsi d’un partenariat avec un cabinet conseil sur la densification des implantations. Les élus doivent aussi tenir compte du fait que les entreprises ne cherchent plus seulement du foncier. Elles ne peuvent recruter que si les salariés trouvent logement, écoles, vie culturelle, qualité de vie. «Il faut avoir une vision globale du développement. Une stratégie foncière est territoriale et donc transversale. Les élus le savent, mais les moyens en ingénierie manquent », regrette Jean-Louis Fournier.
L'exemple suisse
À Genève, le foncier est rare, cher et convoité. Depuis 1960, la
Fondation des terrains industriels (FTI), établissement public autonome composé notamment des communes, gère la quasi-totalité des périmètres industriels du canton. Objectif : coordonner l’aménagement d’une zone industrielle avec l’acquisition de parcelles et la création d’infrastructures.
La propriété du sol étant dissociée de celle des constructions, c’est un droit de superficie qui donne à son titulaire (une entreprise) le droit de construire et de détenir, pour une durée limitée, un ou des bâtiments sur un terrain appartenant à autrui (une commune par exemple). 3 % du territoire cantonal est affecté à l’activité industrielle et artisanale. Face à la pénurie foncière, la FTI travaille à la densification des zones industrielles avec mutualisation des espaces et bâtiments partagés.
TÉMOIGNAGE
Alain Chrétien, maire de Vesoul (70),
co-président de la commission développement économique, tourisme et commerce de l’AMF
« Mieux articuler les objectifs »
« Nous sommes face à des injonctions contradictoires. On veut réindustrialiser le pays tout en imposant la sobriété foncière. Le ZAN a été adopté sans réfléchir aux conséquences financières : renchérissement du coût d’un terrain à bâtir, coût de la réhabilitation des friches industrielles polluées qui revient sept à dix fois plus cher que de viabiliser de la terre agricole.
Qui doit assumer le surcoût ? L’entreprise ? La collectivité ? Nous avons une zone d’activité de 50 hectares. Si nous voulions l’étendre, les obligations de compensation rendraient ce projet impossible. Il n’est pas simple de densifier les zones d’activité. C’est un sujet à évoquer avec les industriels. Nous manquons d’outils d’information géographique, d’ingénierie, de la capacité financière pour agir.
L’AMF a donc présenté
20 propositions pour la mise en œuvre du ZAN afin de mieux l’articuler avec les autres objectifs de politique publique. »
© Victoria Viennet
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Par Martine Kis
n°410 - MARS 2023