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14/03/2023
Citoyenneté Santé Sécurité - sécurité civile

L'offensive contre les dérives sectaires reprend de la vigueur

Les 9 et 10 mars se sont tenues les Assises nationales de la lutte contre les dérives sectaires au ministère de l'Intérieur. La rencontre a réuni tous les acteurs qui combattent ces phénomènes et qui accompagnent les victimes. Les échanges ont mené à l'annonce d'un plan d'action interministériel qui doit trouver sa traduction dans une feuille de route « avant l'été ».

Selon Sonia Backès, secrétaire d'État chargée de la Citoyenneté, le plan s'articulera autour de trois axes : prévention des populations, accompagnement des victimes, adaptations juridiques pour mieux poursuivre les auteurs.
« Ces Assises donnent une force considérable : la peur a changé de camp ! ». C’est ainsi que le président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), Christian Gravel, a conclu la première journée de ce qui a été unanimement reconnu comme « une nouvelle étape »  dans la lutte contre les dérives sectaires. Habituellement, aborder ce sujet provoque de multiples menaces de la part des personnes et organisations visées et la crainte d’être confronté à de multiples procédures judiciaires longues et coûteuses, de subir des menaces physiques ou morales, du harcèlement, etc.

Les 9 et 10 mars, les quelque 150 acteurs présents à ces premières Assises nationales de la lutte contre les dérives sectaires (État, gouvernement, parlementaires, associations, médecins, chercheurs, collectifs de citoyens…) ont, au contraire, exprimé leur satisfaction de se retrouver, d’échanger et de travailler sur les moyens de mieux contrecarrer cette pieuvre toujours plus tentaculaire. Plusieurs victimes, présentes dans la salle des fêtes de l’Hôtel de Beauvau, ont même témoigné sur leur « expérience sectaire »  à visage découvert.
 

Un fléau qui concerne tout le monde

« L’Etat doit réadapter ses outils, changer d’échelle ! », a martelé Sonia Backès, la secrétaire d’Etat chargée de la Citoyenneté, à l’origine de ces Assises. « Je ne veux plus que les victimes aient honte de parler ! Ce fléau nous concerne tous. Chacun peut se laisser entraîner dans ces dérives car nous avons tous nos fragilités et nos faiblesses. »  La ministre sait de quoi elle parle : elle a dû se rebeller contre sa propre mère, adepte de l’Église de scientologie. 

Hasard (ou pas) du calendrier, le 9 mars, le naturopathe, influenceur sur le réseau social Youtube aux 592 000 abonnés, Thierry Casasnovas, qui prônait le jeûne et le crudivorisme (c’est-à-dire le fait de manger des légumes et de fruits crus pour guérir de l’autisme ou de maladies comme le cancer, le diabète ou la dépression), a été mis en garde à vue dans le cadre d’une information judiciaire ouverte à Perpignan, avant d’être mis en examen dès le lendemain pour notamment « exercice illégal de la médecine et de la pharmacie »  et « abus de faiblesse ».

Selon nos confrères du Parisien, il faisait l’objet de « plus de 600 signalements »  auprès de la Miviludes. L’annonce de cette garde à vue en clôture des Assises a plus que réjoui les troupes. Autre fait, en Allemagne cette fois : l’attaque par un ancien adepte de Témoins de Jéhovah ayant fait huit morts.
 

Craintes pour l’avenir

La recrudescence des mouvements sectaires, sur laquelle la Miviludes a attiré l’attention dans son dernier rapport, s’explique en grande partie par un cocktail détonant : essor du web et multiplication des gourous 2.0, contexte anxiogène (crise sanitaire, guerre en Ukraine, crise climatique, difficultés sociales et économiques). Le domaine de la santé et du bien-être a concentré 25 % des saisines de la Miviludes en 2021. Suffisamment inquiétant pour faire l’objet d’une table ronde aux Assises.

Beaucoup de participants craignent en effet que cette tendance se poursuive, voire s’accroisse, à l’image du député Frédéric Valletoux (Seine-et-Marne), ancien maire de de Fontainebleau et ancien président de la Fédération hospitalière de France : « Le système de santé est dans une crise profonde, l’accès aux soins sera encore en crise pendant au moins dix ans le temps que les mesures prises comme la fin du numérus clausus produisent leurs effets. Je crains que certaines personnes renoncent aux soins. Cette situation est la porte ouverte aux médecines parallèles », s’est-il ému devant l’assistance.  
 
Face à ces pratiques non conventionnelles de soins (PNCS), la ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale et des Professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, également présente aux Assises, a annoncé le lancement d’un comité d’appui pour encadrer ces pratiques. « Il ne s’agit pas d’une chasse aux sorcières mais de faire le tri et de poser un cadre, tout en reconnaissant certaines d’entre elles pour leur apport », a-t-elle expliqué.
 

« Démultiplier les moyens » 

L’objet de ces Assises nationales de la lutte contre les dérives sectaires était de concocter un nouveau plan d’action pour « démultiplier les moyens », selon les termes Sonia Backès. Ce plan s’articulera autour de trois grands axes : prévention des populations, accompagnement des victimes, adaptations juridiques pour mieux poursuivre les auteurs. 

Une campagne nationale de sensibilisation rappelant notamment la nécessité d’avoir un esprit critique devrait être lancée. Un travail associant les plateformes numériques sera mené plus particulièrement sur la question des réseaux sociaux, qui sont les outils de recrutement à la mode (formation des modérateurs, action sur les algorithmes pour faire davantage remonter des contenus vérifiés et/ou scientifiquement prouvés).

Un kit sur les « gestes qui sauvent »  devrait être mis au point. La France essaiera également de convaincre l’Union européenne (moins avancée dans la lutte contre les dérives sectaires) de mettre en place un observatoire international sur le sujet. Les dispositifs de signalement devraient aussi être facilités en « démultipliant les moyens »  de la Miviludes dont les effectifs devraient passer « de 12 personnes à 15 ou 16, soit une augmentation de 25 % », a annoncé Sonia Backès. 
 

Référents dans les préfectures

Les services déconcentrés de l’État seront aussi concernés : ainsi le maillage territorial des contacts vers lesquels pourront se tourner les victimes sera renforcé, grâce aux associations, mais aussi au sein des préfectures. Un référent sur les dérives sectaires devrait être nommé dans chaque préfecture et ministère, à l’image de ce qui a été fait avec les référents laïcité.

Le secrétariat d’État va en outre travailler avec le ministère de la Justice pour éventuellement élargir le fonds de garantie des victimes à celles des dérives sectaires. Des formations des différents acteurs susceptibles de recevoir ces victimes (police, gendarmerie, justice…) pour mieux accueillir les victimes, comme celles dispensées sur les violences faites aux femmes, pourraient être mises en place. 

En matière de santé, outre l’encadrement des pratiques non conventionnelles de soins, les agences régionales de santé pourraient voir leurs pouvoirs renforcés : elles pourraient obtenir le droit d’interdire à des praticiens de soins non conventionnels d’exercer. 
 

Évolution des sanctions pénales

Enfin, le secrétariat d’Etat à la Citoyenneté compte aussi travailler avec le ministère de la Justice et les parlementaires à faire évoluer le champ pénal pour créer un délit d’incitation à l’arrêt des soins, renforcer les sanctions pour abus de faiblesses, faire de la « suggestion psychologique »  une circonstance aggravante des crimes et délits, et interdire la publicité de pratiques non conventionnelles de soins lorsqu’elles promettent la guérison de maladies graves. 
 

Mieux protéger les enfants

Outre Agnès Firmin Le Bodo, ces Assises ont accueilli deux autres membres du gouvernement : Sarah El Haïry, la secrétaire d'État chargée de la Jeunesse et du Service national universel, et Charlotte Caubel, secrétaire d’État chargée de l'Enfance, qui ont toutes deux promis d’agir pour mieux protéger les enfants face aux dérives sectaires, avec notamment l’éducation à l’information pour la première, et une plus grande collaboration avec les départements et les communes pour la seconde. 

Ce plan d’action, que devra mettre en œuvre la Miviludes, doit maintenant être travaillé au niveau interministériel pour établir la feuille de route de la mission interministérielle « avant l’été ». 
 

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Par Bénédicte Rallu
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