L’exemple le plus emblématique de cette dynamique est sans doute celui de Port Camargue. Créé il y a tout juste 50 ans, devenu le premier port de plaisance d’Europe avec près de 5 000 bateaux amarrés à l’année, il abrite entre 2 000 et 3 000 personnes, soit plus du quart des habitants du Grau-du-Roi (30). Cette population se répartit entre 2 240 marinas, des immeubles résidentiels, des zones pavillonnaires et les bateaux eux-mêmes, lorsqu’ils sont utilisés comme habitation. Difficile donc d’imaginer aujourd’hui le Grau-du-Roi, un village qui comptait environ 3 000 habitants dans les années 1960, sans le quartier de Port Camargue. « Nous avons entre les mains un outil unique », reconnaît Robert Crauste, maire du Grau-du-Roi et vice-président de l’Union des villes portuaires d’Occitanie. Un outil unique et performant : Port Camargue génère environ 400 emplois.
Géré par une régie autonome, ce port est animé tout au long de l’année grâce à des salons, des festivals et des événements nautiques. Au-delà de cette politique attractive, la stratégie de développement de Port Camargue s’appuie sur plusieurs leviers. « Une nouvelle école de mer inaugurée en mai dernier a déjà reçu 4 500 stagiaires ; elle prépare les plaisanciers qui, demain, seront peut-être de futurs usagers du port, détaille Robert Crauste. Nous avons aussi misé sur le développement des formations aux professions de la mer et aux métiers liés au nautisme, ainsi que sur l’offre du yacht club, orientée vers le tourisme d’affaires grâce à ses salles de séminaire. » S’agissant des sports nautiques, ils surfent sur un engouement croissant : pas moins d’une dizaine d’activités sont proposées à Port Camargue.
Relier le port au territoire
Au Grau-du-Roi comme ailleurs, les élus souhaitent développer de concert le port de plaisance et le territoire. Lancé par la FFPP il y a dix ans, le programme Odyssea avait ainsi pour ambition de relier les ports de plaisance à la cité et à l’arrière-pays, en conjuguant tourisme littoral et tourisme rural, en valorisant le patrimoine culturel des cités marines, en s’appuyant sur le rôle historique des ports de plaisance. Selon Serge Pallarès, c’est aujourd’hui chose faite : « Le concept de cette mise en réseau a été pris en compte par les élus. Ce lien entre les activités proposées sur terre et les usagers de la mer est désormais établi. »
À l’échelle communale, il s’agit d’intégrer le port dans une réflexion visant à l’ouvrir sur la ville. « Toutes les communes concernées travaillent dans cet esprit, confirme Serge Pallarès. Les réhabilitations des infrastructures se font en adéquation avec le territoire, tant au niveau de l’immobilier de tourisme, de l’habitat permanent, des commerces ou des services. » Cette réflexion implique d’offrir aux usagers un port vivant toute l’année, comme le souligne Christine Lair, déléguée générale de l’Association nationale des élus du littoral (ANEL) : « Les ports de plaisance représentent autant de portes d’entrée dans les villes. À partir de ce constat s’est mise en place une palette d’offres : gastronomie, culture, patrimoine… La restauration, les commerces et les activités se développent dans toutes les communes concernées. »
Michaël Quernez, maire de Quimperlé (29) et président du Syndicat mixte des ports de pêche et de plaisance de Cornouaille, établit le même constat en Bretagne : les communes portent désormais une attention particulière à leurs ports de plaisance afin qu’ils s’insèrent dans le tissu urbain. « Les élus territoriaux souhaitent faciliter l’accès à leur espace portuaire et l’interface ville-port, explique l’élu. Cette complémentarité entre le plan d’eau et le centre-ville implique une vision urbanistique et architecturale. » Déplacements doux et écomobilité, cheminements piétons et aménagements paysagers, accessibilité et accueil des personnes handicapées, cette nouvelle vision a un coût pour les collectivités. Michaël Quernez cite l’exemple du port de Vannes (56), qui a subi une importante mutation, notamment grâce à la création d’un parking souterrain. De tels investissements s’additionnent aux travaux nécessités par la modernisation des ports, comme le rappelle Christine Lair : «De nombreuses communes ont sécurisé l’accès à leurs quais, et ceux-ci ont dû être réaménagés car les bateaux ont évolué et prennent davantage de place. Ces coûts s’ajoutent au dragage des ports, qui représente un lourd poids financier. »
Pour Michaël Quernez, seule une vision territorialisée permet de coordonner et d’équilibrer ces investissements. «Il faut avoir une vision à l’échelle de l’usage du plaisancier, et s’appuyer sur un ou plusieurs EPCI ou sur un syndicat mixte comme le nôtre, lequel gère sept ports. Cette démarche favorise une réflexion globale en matière d’investissements non pas concurrents mais complémentaires. »
Évolution des profils d’usagers
Ces investissements sont aussi liés aux usagers, dont le profil a évolué : les fous de voile d’hier ont vieilli et sortent moins en bateau, les plaisanciers d’aujourd’hui ne sont plus forcément propriétaires mais volontiers copropriétaires de leur bateau. Les attentes ont donc changé, ce qui n’est pas sans créer de nouvelles problématiques pour les gestionnaires qui doivent multiplier les outils mis à disposition. « Des touristes viennent au port pour dormir sur un bateau, comme dans une chambre d’hôte, raconte Michaël Quernez. Certains usagers cherchent une activité pour leurs enfants. D’autres veulent se connecter et travailler dans la capitainerie ou demandent des services de conciergerie… Et toutes ces nouvelles attentes convergent vers un même lieu » : la mairie.
Nombre d’élus de communes portuaires sont confrontés à un autre problème. Selon la FFPP, les ports de plaisance situés sur le littoral offrent environ 260 000 places. « Entre 8 et 10 000 places supplémentaires ont été créées depuis une demi-douzaine d’années, essentiellement grâce à l’optimisation des espaces portuaires », précise Serge Pallarès. Or, si certains ports de plaisance, notamment dans le Nord, possèdent des places vacantes, la situation s’avère plus tendue en Méditerranée où les listes d’attente sont parfois longues. À Port Camargue, le délai d’attente dépasse dix ans, voire plus. En Bretagne, où la tension est moindre, certaines listes d’attente sont gérées à l’échelle d’un bassin de navigation, autrement dit sur des communes distantes de deux ou trois jours de navigation. Un plaisancier à la recherche d’une place peut ainsi faire une demande sur différents ports, ce qui a permis d’écourter leur attente. Pour Michaël Quernez, chaque solution permettant d’optimiser ces outils de développement est précieuse : «Les ports de plaisance sont en pleine mutation. Ils se sont transformés en vrais carrefours d’activités et de villégiature. C’est une chance pour les élus. À nous de les rendre les plus qualitatifs possible. »