Les conférences ont souvent permis de réunir l’ensemble des SCoT. Ce qui n’a pas toujours été facile. Ainsi, la conférence des SCoT de la région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur (Sud PACA) comprend 31 Scot dont 5 à cheval sur deux régions, 5 EPCI, soit 107 communes hors SCoT. Et, parmi ces SCoT, certains sont opérationnels, d’autres en cours d’élaboration avec, bien sûr, une grande diversité de territoires.
Pour s’en sortir, explique Franck Pero, président de la conférence des SCoT Sud PACA, il a été décidé de travailler dans le cadre des quatre espaces de dialogue déjà mis en place lors de la concertation du Sraddet, qui réunissent les élus représentants de SCoT.
Nicolas Haslé, président de la conférence Centre-Val de Loire (CVL), se félicite lui d’une très forte mobilisation des élus, facilitée au début par la visioconférence «qui permet au plus grand nombre de participer ». «Il est intéressant que l’échelle du SCoT nourrisse la réflexion, mais il est tout aussi important que la réflexion soit nourrie par l’échelle régionale », ajoute-t-il. Soucieux de mettre en œuvre une «intelligence collective », il a tenu à associer, au-delà des SCoT, les intercommunalités non couvertes par un SCoT, les associations départementales de maires, les maires ruraux, le département. En ce qui concerne la région, «elle a répondu présent à l’échelle technique et politique, ce qui est capital ».
D’une manière générale, les présidents de conférence se félicitent de l’implication des régions dans la concertation. En Pays de la Loire, où les SCoT avaient déjà l’habitude de se retrouver au complet en InterScot, le travail en commun à une telle échelle est malgré tout une nouveauté. L’appui des trois agences d’urbanisme a été apprécié pour piloter le travail, reconnaît Patrick Breteau, référent de la conférence Pays de la Loire.
Premier chantier des conférences : déterminer la maille qui sera retenue pour la territorialisation des moins 50 % à l’horizon 2031. Entre l’application telle quelle du pourcentage et la prise en compte des spécificités des territoires des SCoT, la marge est large. «Dans les conférences, chacun défend son territoire de SCoT. Aucun élu ne va dire qu’il n’a pas de besoins… », reconnaît Franck Pero. Dans le cas de Sud PACA, un scénario est écarté : celui de la maille communale.
Il est proposé à la région soit de donner elle-même le taux d’effort de chaque espace de dialogue, soit de laisser ceux-ci répartir les moins 50 % en leur sein, en mettant en place une gouvernance spécifique si cela est souhaité. En Pays de la Loire, deux scénarios sont proposés à la région : l’un prend en compte les besoins en logement de chaque SCoT et sa capacité à y faire face, ce qui aboutit à des taux d’effort entre moins 32 % et moins 83 % ; l’autre tient compte des efforts passés et des besoins mais contient le taux d’effort entre moins 40 % et moins 60 %. Limite de l’exercice : la fiabilité des projections en besoin de logement.
En Centre-Val de Loire, il est demandé à la région de laisser «les territoires porteurs de SCoT décliner l’objectif territorialisé au plus près des priorités locales ». Pour cela, il convient que région et conférence, ensemble, construisent les critères de territorialisation et élaborent une stratégie foncière. Il est envisagé, ici aussi, de mettre des bornes inférieures et supérieures aux efforts demandés : pas moins de 30 % ou 40 % de réduction de consommation et pas plus de 60 % à 70 %. «Il faut différencier à partir de critères objectifs et transparents, et récompenser les efforts déjà faits », pense Nicolas Haslé.
De fait, la plupart des conférences demandent à la région de tenir compte des efforts déjà réalisés afin de ne pas pénaliser les territoires vertueux depuis 2011 ou même avant. Pour ceux-ci, les Hauts-de-France préconisent de disposer d’un compte particulier géré par la région et les élus du bloc communal. Selon Françoise Rossignol, présidente de la conférence des SCoT des Hauts-de-France, ne faudrait-il pas sortir du quota ce qui est vertueux pour le développement durable, comme les pistes cyclables, les aires de covoiturage, les stations d’épuration, de traitement des déchets ?
La prise en compte des projets d’envergure nationale et régionale est un autre sujet sur lequel les conférences étaient invitées à s’exprimer. Toutes, même celles qui ne sont pas lourdement impactées à ce jour, s’inquiètent. Premier problème : ces projets ne sont pas bien recensés. Sud PACA demande donc aux SCoT et aux EPCI non couverts de les inventorier et de les remonter tels quels à la région appelée à statuer.
« Les projets d’envergure nationale doivent être comptés dans une enveloppe nationale », réclame Franck Pero, à l’instar de ses collègues. Ce que la Première ministre a confirmé, le 24 novembre, lors du Congrès des maires (lire ci-dessous). Mais cela ne suffit pas pour lui : «Il est important que l’État soit aussi partie prenante de l’effort de réduction sur ses propres projets. » Les Hauts-de-France sont emblématiques du problème : «Avec le canal Seine-Nord, les parkings du Brexit, la liaison ferroviaire Oise-Roissy et le port de Dunkerque, il ne reste presque rien » aux élus pour développer leurs projets, affirme Françoise Rossignol.
S’agissant des projets d’envergure internationale, tel ITER, le réacteur thermonucléaire expérimental international près de Cadarache (13), ils ne devraient pas non plus entrer dans un calcul national.
Les projets régionaux sont aussi à prendre en compte. Problème : il n’existe pas de liste de ces projets. La conférence Centre-Val de Loire a identifié des thématiques, grands équipements structurants, unités de production d’énergie décarbonée, infrastructures de déplacement, projets de réindustrialisation. Patrick Breteau propose d’attribuer ces projets aux décideurs, État ou région, et non aux financeurs : «Par exemple, une prison dans l’agglomération angevine, sur 70 hectares, relève d’une initiative d’État qui ne doit pas être imputée à la région. »
Les conférences se sont toutes heurtées au problème du chiffrage de la consommation foncière passée. Les fichiers fonciers sont mis à disposition par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) via le portail national de l’artificialisation des sols (https://artificialisation.developpement-durable.gouv.fr). Celui-ci sera complété, en 2024, par un outil d’observation de «l’occupation du sol à grande échelle » (OCS GE). Certaines régions disposent de leurs propres mesures parfois plus précises, par exemple le MOS (mode d’occupation des sols) ou l’OSCOL (occupation du sol). Chaque méthode a ses avantages et ses inconvénients, mais elle ne se superpose pas. En outre, des données font défaut : «la vision rétrospective complète des dix dernières années manque, notamment pour les grands projets, la transition énergétique ou le bâti agricole », précise Stella Gass.
L’exercice se révèle donc complexe, et même «source d’excitation collective », confie Nicolas Haslé, président de la conférence Centre-Val de Loire. Il faut en effet élaborer un nouveau modèle d’aménagement respectueux des ressources, résilient, avec des villes denses et vertes en même temps, préservant la souveraineté alimentaire et énergétique, permettant de réindustrialiser le pays, anticipant les risques naturels, le retrait du trait de côte, les crises politiques et l’arrivée de réfugiés, tenant compte du vieillissement, du changement climatique.
Avec une préoccupation politique générale : ne pas mettre les territoires en concurrence. «Les objectifs quantitatifs imposés pour 2031 mettent de côté l’enjeu qualitatif », regrette Sylvain Robert, maire de Lens (62) et co-président de la commission aménagement, urbanisme, habitat, logement de l’AMF. «Les élus disent tous qu’on ne peut avoir une approche chiffrée », confirme Stella Gass. Pour celle-ci, il s’agit rien de moins que d’une révolution de l’aménagement du territoire, qui impose aux élus d’élaborer «un projet politique de qualité afin de ne pas être coincés par les questions techniques ».
Alors que les conférences devaient disparaître après le 22 octobre 2022, partout il a été décidé de les maintenir «comme instance démocratique territoriale et régionale » pour continuer la concertation avec les régions, explique Nicolas Haslé. Car il faut encore définir les projets d’envergure, poursuivre sur les hypothèses de territorialisation, concevoir un aménagement du territoire qui aborde la consommation d’espace, participer à la révision du Sraddet. Et penser à la suite : «sans stratégie foncière à toutes les échelles, n’achèteront du foncier que ceux qui en auront les moyens et les autres n’auront plus rien », alerte-t-il.
En général, «le délai trop court n’a pas permis de finaliser le document autant que nous l’aurions voulu », regrette Franck Pero. «Alors que la loi est applicable depuis août 2021, nous n’avons pas tous les décrets. Alors qu’il faut faire des propositions. » «Nous allons consommer du foncier sans savoir si nous serons en règle avec le Sraddet lorsqu’il sera adopté », ajoute Philippe Chalopin, maire de Baugé-en-Anjou (49), dont le PLU est en cours d’adoption, et qui craint l’insécurité juridique découlant de ce décalage.
L’absence de financement, le manque d’ingénierie, les règles du jeu mal définies, l’inachèvement de la définition de l’artificialisation – sous la pression de l’AMF, le gouvernement a consenti à réécrire le décret en concertation avec les élus – sont unanimement déplorés par les élus.
Les conférences demandent donc que régions et État les accompagnent avec une ingénierie de qualité. «Surtout pour les territoires ruraux », précise Nicolas Haslé. Dans le même temps, «la fiscalité locale devrait être totalement refondue. Tout doit converger vers la sobriété foncière. » Ce qui implique de revoir la taxation sur les logements vacants, le foncier non bâti, les plus-values immobilières. Pour financer la renaturation, pourquoi ne pas envisager la création d’une taxe de «désaménagement » ?
L’aménagement urbain est à revisiter, reconnaissent les conférences : repenser les zones d’activités, travailler sur la densité, mutualiser des équipements, créer de nouvelles formes d’habitat… Mais l’accès au foncier est un problème. «Quand il a fallu développer la production agricole, on a inventé les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer), rappelle Patrick Breteau. Il faut avoir l’équivalent pour la mise en œuvre du ZAN, pouvoir acheter du foncier dans l’enveloppe urbaine, racheter des résidences secondaires. Cela pourrait passer par une loi rendant obligatoire la création d’établissements publics fonciers de l’État (EPFE) ».
Qu’en est-il de la diffusion de l’information au-delà des élus des SCoT ? Pas de pédagogie ni d’accompagnement du côté de l’État. «Je l’ai fait à l’échelle de mon SCoT, y compris chez les maires ruraux », confie Franck Pero. En 2027, le processus sera conclu par la révision des PLUi. On réfléchira alors à la parcelle. Certains arbitrages risquent d’être douloureux. Raison de plus pour que les élus les plus proches du terrain soient informés, formés et commencent à sensibiliser les habitants à l’imminence d’une révolution de l’aménagement du territoire.
Les élus locaux et la Haute assemblée conjuguent leurs efforts pour améliorer le dispositif. Elles ont formulé concomitamment des propositions, le 14 décembre.
Dans une démarche concertée, l’AMF et le Sénat (lire ci-dessous) sont conjointement montés au créneau, le 14 octobre, pour formuler des propositions destinées à lever les difficultés d’application du principe de zéro artificialisation nette (ZAN) prévu par la loi Climat et résilience. Depuis des mois, l’AMF n’a cessé d’alerter l’État sur ces difficultés et a engagé une action devant le Conseil d’État (CE) en attaquant les décrets d’application de la loi Climat et résilience relatifs au ZAN, «contraires à des dispositions de ladite loi et créant une insécurité juridique pour les collectivités », affirme David Lisnard (le CE pourrait rendre un arrêt à la fin du 1er trimestre 2023).
Malgré les engagements du gouvernement pour corriger les textes règlementaires, réitérés devant le Congrès des maires en novembre, «aucune initiative gouvernementale n’a été engagée, malgré l’urgence au vu des échéances légales », déplore le président de l’AMF. Pour maintenir la pression sur l’exécutif, l’Association a donc formulé, le 14 décembre, «20 propositions pour surmonter ces difficultés ». Parmi celles-ci : «sécuriser la méthode d’observation et de mesure de l’artificialisation des sols » en réécrivant le décret du 29/04/2022 relatif à la nomenclature (préciser les échelles d’appréciation de l’artificialisation ; clarifier la méthode de calcul de la consommation effective d’espaces naturels, agricoles et forestiers…).
Autres propositions de l’AMF : «planifier la mise en œuvre du ZAN » (ce qui suppose une réécriture du décret du 29/04/2022 relatif aux Sraddet) parmi lesquelles, comme le Sénat le suggère aussi, l’allongement «d’un an des délais prévus (… ) de révision des Sraddet, des SCoT, des PLU et cartes communales ». Et «la prise en compte des efforts passés dans les critères de territorialisation à l’échelle régionale ».
Plusieurs propositions permettraient d’articuler le ZAN avec les autres objectifs de politiques publiques tels que le développement rural et la réindustrialisation (sortir les projets d’envergure nationale et européenne de l’enveloppe régionale du ZAN, notamment). Enfin, pour répondre aux besoins d’ingénierie des communes et EPCI, l’AMF propose «une majoration de la dotation générale de décentralisation (DGD) et la révision de ses critères d’octroi (…) afin que l’État participe au coût de l’ingénierie dans l’élaboration des documents de planification ».
L’AMF «est à la disposition du gouvernement et du Parlement pour travailler à l’évolution du dispositif ». Sinon, les élus seront empêchés «d’atteindre les objectifs de maîtrise de l’artificialisation des sols, auxquels les maires souscrivent pourtant avec la volonté de pouvoir agir de façon pragmatique », souligne David Lisnard.
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