« Depuis des décennies, quand nous faisions nos budgets chaque année, la seule question qui nous intéressait, c'était : "Comment vais-je améliorer les réponses aux attentes de mes concitoyens, comment vais-je faire pour que le service public soit plus efficace et plus innovant ?" Cette année, je me demande ce que je vais pouvoir éviter d'affaiblir, voire d'amputer… »
Cette nouvelle approche du maire d’Issoudun (36), André Laignel, illustre ce à quoi sont confrontés les 35 000 édiles du pays face à la hausse historique des prix, celle des taux d’intérêts ou encore celle des rémunérations des agents. Et, pour 2023, «on ne saura pas faire », a assuré le premier vice-président délégué de l’AMF, lors du débat sur les finances locales du 24 novembre.
Avec des marges de manœuvre qui se réduisent et une inflation qui pourrait se maintenir jusqu’en 2025, des «sacrifices » douloureux vont devoir être fait par les élus locaux pour équilibrer le budget de l’année prochaine. Seulement, «l’imagination » s'épuise, ceux-ci ne voient plus vraiment où faire de nouvelles économies… déjà réalisées par le passé. « La très forte inflation bouleverse la construction de nos budgets. Faire plus avec moins, c’est la quadrature du cercle à laquelle les maires sont plus que jamais confrontés », a confirmé Antoine Homé, maire de Wittenheim (68) et coprésident de la commission finances de l’AMF.
« On nous dit de faire attention à notre masse salariale, à nos dépenses de fonctionnement. Mais on supprime quoi? Je ne sais pas comment on fait plus en termes d’économies globales et de mutualisation. On a attendu jusqu’au bout du bout pour allumer le chauffage dans les écoles, dans nos crèches, dans nos services municipaux. De quoi faut-il se passer ? De policiers, de cantonniers, d’animateurs, d’agents de restauration, de médecins ? », s’est désolée Nadège Azzaz, maire de Châtillon (92), qui vit son premier mandat, mais alerte déjà des risques pesant sur «la cohésion nationale » si les maires ne peuvent plus jouer leur rôle de «bouclier social ».
Même son de cloche à Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane, à la frontière surinamaise, où les enjeux sont pourtant différents. Près de 50 000 habitants officiellement, plus de 70 000 en réalité. La commune possède 32 groupes scolaires et crée «une école tous les huit mois», «un tiers du budget » allant aux affaires scolaires. «Faire plus avec moins, on le fait depuis longtemps. Mais l’an prochain, ce sera quasiment impossible », a affirmé Sophie Charles, la maire de cette commune.
Sans compter le «petit supplément » d’inflation réservé aux ultra-marins qui voient le panier du maire alourdi encore par «la continuité territoriale » : «Lorsque 70 % de tout ce que nous utilisons est importé de l’Hexagone », il y a des frais de transports à intégrer et «cela signifie que sur une même facture, nous avons eu une augmentation de 30 % cette année », a calculé l’élue.
Au-delà même de la question du coût de l’énergie, qui fait la Une de l’actualité, c’est aussi celui des matières premières qui frappe les communes. «L’augmentation des coûts du gravillonnage pèse sur les budgets et inquiètent les maires ruraux. C’est 200 euros la tonne d'augmentation, ça c’est du concret pour un maire d’une commune rurale », a tonné Dominique Amiard, maire de Cures (72), qui a vu son village de 491 habitants fragilisé par «des pertes de dotations de l’État », celui-ci s'insurgeant contre «les inégalités scandaleuses qui existent dans le pays ».
À Trouville-sur-Mer, station touristique du Calvados, la maire, Sylvie de Gaetano, s’est réjouie, elle, de pouvoir annoncer un budget 2023 qui sera «à l’équilibre ». C’est d’ailleurs l’une des rares communes qui avaient prévu de le voter d’ici la fin d’année et à ne pas le reporter au printemps, compte tenu des multiples incertitudes. Mais, cela se fera au prix de plusieurs sacrifices. Et ce, malgré la perception de 2 millions d’euros de recettes annuelles provenant de son casino. La piscine a ainsi été fermée. Un véritable «drame » pour l’élue locale qui vit elle aussi un premier mandat «compliqué ». Elle a également mis en place des «extinctions nocturnes » de l’éclairage public, baissé les subventions aux associations, augmenté le prix du stationnement et «rogne sur tout ».
« Nous devons dire la vérité aux Français. Nous ne ferons pas plus l’an prochain. Nous ferons moins car nous avons moins », a résumé le coprésident de la commission finances de l'AMF, Pierre Breteau. Malgré la hausse annoncée de la DGF en 2023, des bases fiscales en augmentation et la mise en place de dispositifs d’aides face au prix de l’énergie, «le delta restera négatif », a rappelé le maire de Saint-Grégoire (35). Résultat, «ce qui est en jeu, c’est au mieux la baisse de l’investissement [car] la question des services publics est posée. »