« Les maires sont des praticiens du quotidien, ils doivent relever de multiples défis climatiques, économiques, sociaux, numérique, sécuritaire, énergétique, et résoudre une crise civique. Ils veulent être utiles et apporter des solutions à leurs concitoyens. Or, ils sont sous la tutellisation financière de l’État et subissent une bureaucratie et un carcan règlementaire qui entravent leur action. Il faut leur redonner le pouvoir d’agir de manière urgente ! », a lancé David Lisnard, président de l’AMF, le 22 novembre, en ouverture du 104e Congrès. Exemples emblématiques de cette «complexification » de l’action locale, les textes règlementaires relatifs au zéro artificialisation nette (ZAN) «élaborés par l’administration centrale sans concertation avec les élus et donc inapplicables et dangereux pour le développement des communes rurales. L’AMF a déposé un recours et le gouvernement est en train de les réécrire », a illustré le maire de Cannes (06).
Devant les congressistes réunis Porte de Versailles, il a donc appelé l’État à engager une «révolution copernicienne », à rebours du mouvement de recentralisation en cours, qui comportera plusieurs axes : appliquer le principe de subsidiarité, privilégier la différenciation territoriale car l’uniformité n’est pas la bonne réponse aux crises actuelles, mettre en œuvre une simplification administrative, respecter la libre administration des collectivités, les doter de ressources pérennes garantissant leur autonomie financière et fiscale, revoir l’organisation territoriale de l’État ».
Le vecteur principal de cette «révolution » serait l’adoption d’une «grande loi sur les libertés locales» que l’AMF appelle de ses vœux depuis 2018 et la création, à Marseille, de «Territoires Unis » avec l’Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France. Soutenues par le président du Sénat – la Haute assemblée remettra ses propres propositions d’ici à mai prochain, a indiqué Gérard Larcher –, les trois associations ont de nouveau plaidé en faveur de ce nouvel acte de décentralisation, le 23 novembre.
Quarante ans après l’adoption des premières lois de décentralisation, les élus prennent en effet au mot le chef de l’État : le 10 octobre, lors d’un déplacement en Mayenne, Emmanuel Macron s’est prononcé en faveur de ce nouvel acte à condition qu’il se traduise par le transfert de blocs de compétences clairs et de moyens correspondants. Un engagement qu’il a réitéré, le 23 novembre, devant les maires qu’il recevait à l’Élysée. «Ce sont quasiment les mots employés par l’AMF dans ses dernières résolutions », s’est réjoui David Lisnard, en renvoyant aux propositions formulées en la matière par l’AMF, en mars dernier, lors de l’audition des candidats à l’élection présidentielle.
Territoires Unis maintient la pression sur l’Élysée : reçues en septembre dernier pour évoquer ce sujet, les trois associations attendent avec impatience une nouvelle date de réunion dès janvier.
Ce nouvel acte de décentralisation, «essentiel si l’on veut renforcer la performance de l’action publique » doit reposer, selon le président de l’AMF, sur un «changement radical d’état d’esprit : l’État ne doit plus infantiliser les élus, rompre avec une forme de paternalisme et faire confiance aux élus ». «L’État et les élus font partie de << l’équipe France >>. Cette union est essentielle pour relever tous les défis », a rappelé Carole Delga, présidente de Régions de France.
« Nous sommes dans une crise de l’action publique, a estimé François Sauvadet, président de l’ADF. Les élus éprouvent une crise de confiance car l’État ne les considère pas. Ils ne peuvent agir car ils doivent passer leur temps à regarder ce qu’ils ont le droit de faire ou non. On marche sur la tête ! »
La confiance est donc à retisser. «Le ton du gouvernement a certes changé, il est plus aimable mais le fond ne change pas », a résumé André Laignel. Le fond ? «Ce sont notamment les finances locales qui sont dans un état calamiteux », a déploré le premier vice-président délégué de l’AMF. Il a fustigé les suppressions successives de recettes fiscales locales - taxe professionnelle, taxe d’habitation et, désormais, la CVAE «dont on ignore encore les modalités précises de compensation » -, autant de décisions qui «nationalisent la fiscalité locale et mettent fin à l’autonomie des collectivités ».
Il a critiqué la volonté du gouvernement de remettre en place des «contrats » limitant la hausse des dépenses de fonctionnement des collectivités (inflation – 0,5 %), «un acte de méfiance inacceptable, visant à nous pointer comme de mauvais gestionnaires alors que ne pesons en rien sur les déficits publics » et qui «menace l’investissement local et les services publics ».
« L’inflation nous taraude », a-t-il souligné en estimant que la réponse du gouvernement «n’est pas à la hauteur ». Pour André Laignel, la hausse prévue de 320 millions d’euros de la DGF l’an prochain est à comparer aux «800 millions d'euros », au bas mot, que l’inflation va coûter aux collectivités cette année. «Ces 320 millions d'euros correspondent en effet à une inflation de 1,74 % quand elle est de 7,2 % cette année et sera d’environ 4,2 % en 2023 ». L’État procède donc «un assèchement de nos finances locales », estime le maire d’Issoudun (36) en rappelant que l’AMF a demandé l’indexation de la DGF sur l’inflation.
Les annonces du gouvernement en matière de soutien face à la hausse du prix de l’énergie (reconduction du filet de sécurité, en 2023, mise en place d’un «amortisseur électricité »…) ne convainquent pas plus le président du Comité des finances locales : «Ces annonces seront payées en billets de Monopoly. En fait de filet de sécurité, c’est une épuisette aux mailles très larges… », estime André Laignel, en relayant la demande de l’AMF en faveur d’un «dispositif de compensation universel et simple car toutes les collectivités sont concernées par l’explosion des prix de l’énergie ».
« D’année en année, les collectivités sont devenues une variable d’ajustement du budget de l’État, a conclu André Laignel. Or, il n’est pas de libertés locales sans moyens. Il est urgent de restaurer les principes constitutionnels d’autonomie financière et fiscale des collectivités. »
Invitée à conclure le 104e Congrès de l’AMF, le 24 novembre - Emmanuel Macron avait préféré déambuler la veille dans les allées du Salon des maires et des collectivités locales (SMCL) -, la Première ministre a tenté de déminer le mécontentement des élus sur le plan financier, sans rien céder sur le fonds.
Le gouvernement maintient les contrats limitant les dépenses de fonctionnement des collectivités dans les prochaines années «mais notre intention n’est pas de maintenir un mécanisme de sanction [en cas de non-respect des objectifs par les élus] », a indiqué Élisabeth Borne. L’État n’indexera pas non plus la DGF sur l’inflation : l’augmentation de 320 millions d’euros de ce concours financier l’an prochain (dont 200 millions d'euros pour la dotation de solidarité rurale) «permettra à 95 % des communes de voir leur DGF se stabiliser ou augmenter », a-t-elle justifié.
L’exécutif ne reviendra pas sur la suppression de la CVAE en deux ans (2023 et 2024) dont le dispositif de compensation " par de la TVA " sera calculé sur les années 2020-2023. Élisabeth Borne s'est engagée à ce que le produit 2023 de CVAE soit " intégralement reversé aux collectivités " en indiquant que " la dynamique de TVA sera répartie dès 2023 " en concertation avec les élus.
Le gouvernement mettra en place un dispositif d’intéressement des communes pour les inciter à accueillir des entreprises, a-t-elle précisé, en annonçant au passage la poursuite et l’amélioration, en 2024, des zones de revitalisation rurale (ZRR).
Pour atténuer la hausse des dépenses d’énergie, le gouvernement mobilisera «2,5 milliards d’euros l’an prochain » pour soutenir les collectivités. «Le filet de sécurité sera renforcé pour les collectivités les plus vulnérables », les seuils d’accès seront abaissés et les critères d’éligibilité simplifiés.
Le dispositif de «l’amortisseur électricité », consistant pour l’État à prendre en charge la moitié du surcoût de la facture au-delà d’un prix de référence (fixé actuellement à 325 euros le MWh), sera simplifié, a annoncé la Première ministre.
Concernant la décentralisation, la cheffe du gouvernement n’a pas évoqué l’élaboration d’une loi mais estimé nécessaire de «faire un bilan complet » de ce mouvement dans un premier temps. Elle a assuré les élus que l’État bâtira «cette nouvelle décentralisation avec [eux] ». Ce chantier figurera dans «l’agenda territorial » que le gouvernement élaborera en concertation avec les associations d’élus en début d’année prochaine.
S’agissant du ZAN, Elisabeth Borne a annoncé que «les projets nationaux ne seront pas décomptés à l’échelle régionale mais à l’échelle nationale ». Une liste de ces projets sera établie au premier trimestre 2023. Le décret sur la nomenclature de l’artificialisation sera réécrit «pour qu’il soit plus lisible et opérationnel » et le gouvernement garantira aux petites communes, qui ont peu construit dans le passé, «une possibilité de construction ».
Pas sûr que ces différentes mesures calment l’inquiétude des élus et répondent à leurs attentes. Pour maintenir la pression sur le gouvernement, l’AMF a adopté à l’unanimité une résolution offensive.